Surprise de l’hiver austral : une route a poussé au milieu du Tampon, la fameuse voie urbaine. Alors que l’enquête préalable à la déclaration d’utilité publique n’est pas terminée, un collectif d’opposants crie au scandale.
Attendue depuis des décennies, la future voie urbaine du Tampon est réapparue en juillet comme un éclair dans la vie des habitants du centre-ville jusqu’au 14e. Elle est même tombée comme la foudre à en juger la soudaineté de l’ouverture du chantier. Les tractopelles s’activent en divers lieux du tracé de 5 km qui relie à travers les maisons le rond-point des Azalées à la RN3 au niveau de la station d’essence Vito.
Au début du mois de juillet des dizaines de propriétaires se trouvant sur le tracé (93 selon le Collectif qui s’oppose au projet) ont reçu, par voie d’huissier un courrier du maire Patrice Thien-Ah-Koon les informant qu’ils étaient concernés par l’enquête parcellaire pouvant donner lieu à des expropriations. Dans le même temps l’enquête publique préalable à la DUP (Déclaration d’utilité publique) du projet a démarré, elle se termine à la fin du mois d’août.
Ça va vite. Très vite. Au point que Jacques Aulet, coordinateur du « Collectif contre la voie urbaine du Tampon » qui vient de se créer crie « au scandale » : « Les travaux ont déjà démarré alors que l’enquête n’est même pas terminée. On met des courriers dans les boîtes à lettres des gens en leur disant “Attention, vous allez être expropriés”, alors que l’utilité publique n’est pas encore déclarée. Cette route n’a pas lieu d’être. Nous espérons que le préfet ne l’autorisera pas. »
Négociations foncières
Il a réuni une quinzaine de personnes cette semaine pour en parler aux journalistes, « mais nous sommes bien plus nombreux », affirme-t-il. Parmi les mécontents, Emilie Ah-Hot, rappelle que ce projet n’est pas nouveau. Il a près de trente ans. Au début ce devait être une rocade sous forme de voie rapide. La dernière version consiste en une voie urbaine ouvrant plusieurs de ses tronçons à des voies réservées au bus (TCSP) et aux modes doux (vélos et piétons).
« Le dossier s’épaissit d’année en année, mais c’est flou, on noie le poisson », s’exclame Emilie Ah-Hot qui conteste la proposition d’indemnisation qui lui est faite. » Ils me prennent 128m2 mais ils ne retiennent que 44m2 pour m’indemniser. J’ai vu qu’ils ne proposaient que 400€ à un pauvre Monsieur. C’est du vol. Nous allons remuer ciel et terre pour que les tractopelles s’arrêtent ! »
Pasquin Paradis, responsable du pôle aménagement à Maraina, maître d’ouvrage délégué, assure que la commune maîtrise déjà 95% du foncier impacté par la future voie urbaine. « Sur les 5% restants à négocier, 90% relèvent d’une simple régularisation. Personne n’est exproprié de chez lui. La commune rachète au prix fixé par les domaines qui est généralement supérieur au prix du marché. »
Une ville en construction
Lors des audiences de la commissaire-enquêtrice de l’enquête publique, les propriétaires ont défilé devant elle pour comprendre quel arrangement leur serait proposé. Chacun faisant ses comptes dans sa tête. C’est à cette occasion que nous avons rencontré l’un d’entre eux qui a la particularité d’avoir obtenu un permis de construire en février 2024. Aujourd’hui, sa maison en fin de chantier est en partie sur le tracé. Il y a semble-t-il eu « un bug administratif » à réparer, peut-être en modifiant le tracé… Mais l’heure est à la négociation plutôt qu’à la contestation.
Sur les registres de l’enquête, les avis défavorables se disputent aux avis favorables. « Ce sont des employés envoyés par la mairie qui disent qu’ils sont favorables », accusent les opposants… La commissaire enquêtrice donnera son avis d’ici la fin du mois de septembre puis le préfet signera, ou pas, la déclaration d’utilité publique.
Pour résumer les débats, les promoteurs du projet et leurs supporters avancent que cette nouvelle voie fluidifiera la circulation dans une ville qui voit se multiplier les constructions. C’est d’ailleurs un thème récurrent dans les discussions. Le Tampon est en train de rattraper son retard en matière d’immeubles collectifs et de logements sociaux, mais la ville se donne-t-elle les moyens d’accueillir ces nouvelles populations en termes d’équipements scolaires, sportifs, médicaux, de loisirs, etc.?
« La moindre pluie va raviner chez les gens »
Ils affirment aussi que les voies réservées au bus et aux vélos participent au développement durable de la cité et à la protection de l’environnement. Parmi les contestataires, Jean-Laurent Dalgé et son épouse disent : « Chiche ! » Et proposent que la nouvelle route soit « entièrement dédiées aux transports doux et au bus. Pas de voiture, ce serait révolutionnaire ! »
Protection de l’environnement encore : De nombreux palmiers seront plantés. Les opposants regrettent quant à eux les arbres arrachés. Ils relèvent les réserves quant aux nuisances sonores et à la pollution qu’engendrera cette nouvelle route. « Ça va rendre invivable le quotidien de plus de 30 000 Tamponnais. Le projet engendrera jusqu’à 74 décibels, ce qui dépasse les recommandations de l’OMS. »
De grosses inquiétudes se portent aussi sur les risques d’inondation que fera peser la bitumisation de parcelles en friches. « À la moindre pluie tout va raviner chez les gens », annonce Jacques Aulet : « Il y a des pentes qui sont à 10–15 %, donc il va falloir terrasser énormément. Ça veut dire que les maisons qui sont en dessous, elles vont être sous la route. ».
« Pas une goutte chez les riverains »
Ce à quoi Pasquin Paradis répond : « On va largement améliorer les conditions hydrauliques du centre-ville et puis de tous les bassins versants. Il n’y aura aucune goutte d’eau de la route qui pourra aller chez un riverain, c’est impossible. »
Alors que ces débats animent toutes les conversations tamponnaises, n’était-il pas prématuré de commencer les travaux ? Les engins de la SBTPC, notamment, sont en action sur plusieurs tronçons. « Les gens confondent un petit peu démarrage des travaux et les opérations de débroussaillage. On ne touche pas du tout à la surface, c’est vraiment les végétaux », insiste-t-il.
Selon lui les travaux à proprement dit devraient débuter d’ici la fin de l’année si la DUP est accordée. Ils dureront 15 mois et coûteront environ 54 M€ financé à parts égales par l’Europe, la Région, le Département et la Casud. « Nous, on met l’accent sur l’importance de ce projet concernant la crise du BTP. Ça permettrait un peu de redonner de l’air à certaines entreprises de l’île », conclut-il. C’est justement ce que déplorent les opposants estimant que ce projet ne sert pas leurs intérêts.
Franck Cellier
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