Bras-Panon a inauguré récemment son Centre de Supervision Urbain (CSU) ainsi que 17 nouvelles caméras qui, à termes, seront au nombre de 48. Ce dispositif filme en continu les axes routiers fréquentés au centre-ville, des parkings, des ruelles et nous tous par la même occasion. Si on la compare uniquement aux plus grandes villes de France, Bras-Panon se classe deuxième ville avec le plus de caméras par habitants, derrière Nice.
Ce que représente le projet
L’inauguration des caméras et du Centre de Supervision Urbain (CSU) ont eu lieu le mois dernier. Une première dans l’Est : 17 caméras reliées à une salle de contrôle, qui comptera à terme 48 dispositifs de « vidéo-protection » dans toute la ville courant 2025. Le budget de ce CSU — situé juste derrière la brigade de gendarmerie nationale — et de la mise en service des caméras s’élève à 1 400 000 € (financé à 80% par l’État), sans compter son fonctionnement annuel qui représente 18 500 €.
Ces caméras de « vidéosurveillance » enregistrent 24h/24 et 7j/7. Selon la mairie, ces 48 enregistrements seront conservés pendant 30 jours, date limite fixée par la loi, sauf en cas de procédure judiciaire ou d’enquête de police. Parmi ces 48 caméras, plusieurs seront destinées à la reconnaissance de plaque d’immatriculation. Elles seront vraisemblablement installées aux différents points d’entrée de la ville, et permettront de savoir qui entre et sort deBras-Panon, pour « venir en appui d’enquêtes de la gendarmerie » d’après le dossier de presse du projet.
Si on fait les calculs, Bras-Panon compte 13 131 habitants (INSEE 2022), et obtiendra donc un ratio de 3,6 caméras pour 1 000 habitants. Pour faire un parallèle avec les plus grandes villes de l’Hexagone, Bras-Panon serait deuxième, derrière Nice (la gazette des communes et statista).
Pour une comparaison un peu plus détaillée, voici un tableau avec les autres villes de La Réunion.
On peut donc constater que les autres communes de La Réunion ont un nombre de caméras pour 1 000 habitants nettement moins élevé que celui que prévoit la mairie de Bras-Panon. Seule les Palmiplainois sont au-dessus, avec 4,48 caméras/1 000 habitants, grâce ou à cause de la politique menée par le maire du Rassemblement National, Johnny Payet, qui se rapproche dans ce domaine de celle appliquée par Jeannick Atchapa.
En interrogeant quelques passants dans les rues de Bras-Panon, les gens sont globalement favorables ou sans réel avis face à ce nouveau dispositif.
Néanmoins, quelques-uns ont exprimé des réticences quant à la lecture des plaques d’immatriculations à l’entrée de la ville « ah non, ça c’est trop. Ça part sûrement d’une bonne intention, mais le problème, c’est qu’avec l’IA on ne sait pas jusqu’à où ça peut aller. […] D’abord ils mettent des caméras normales, après pour les plaques, ensuite on va nous dire pour les visages aussi ? Ça peut prendre des dérives un peu trop extrêmes. En fait, ça peut être utile pour savoir si une personne âgée se fait voler son sac etc., mais de là à savoir qui entre qui sort de la ville, non. D’après ce que je sais, ce n’est pas la ville la plus dangereuse de La Réunion ? »
Pourquoi avoir pris cette décision ?
Au micro de Freedom, le 14 août, lors de l’inauguration du nouveau CSU de la commune, le maire Jeannick Atchapa dit vouloir « rassurer les investisseurs, car nous allons connaître un développement sans précédent. Nous avons aussi des grandes manifestations, comme la foire agricole de Bras-Panon. Les caméras sont capables de lire les plaques d’immatriculations, c’est aussi pour dire à ceux qui veulent venir commettre des délits à Bras-Panon de passer leur chemin. »
Fabrice Bonicel, sous-préfet de l’arrondissement Est, explique « Il faut vraiment démystifier ce qu’est la vidéoprotection, on ne parle pas de vidéosurveillance. On ne surveille pas les gens, on les protège en visionnant des images et en arrêtant les auteurs d’infraction. Ça c’est l’objectif numéro un. L’objectif numéro deux, c’est la protection préventive. On constate qu’à chaque fois qu’on installe une caméra dans un lieu pour la protection des commerces ou des établissements scolaires, la délinquance diminue. Les caméras ont été installées en mars, les chiffres vous le verrez, baisseront significativement. Pas qu’en arrêtant les auteurs d’infraction, mais en prévenant les futurs délits. »
Bras-Panon, ville dangereuse ?
Au cours des dernières années, Bras-Panon enregistre une hausse des délits. Cette hausse est en grande partie due aux « violences contre des personnes », en jaune dans le tableau ci-dessous.
Cette catégorie « violences contre des personnes » englobe trois types de délits. Violences sexuelles, coups et blessures intrafamiliaux, coups et blessures volontaires. Est-ce que les caméras peuvent aider à élucider certaines de ces affaires ou à appuyer des témoignages de victimes dans le cadre intrafamilial ou de violences sexuelles ?
Samuel Mardaye, responsable du CSU de Bras-Panon explique « Sur de la violence intrafamiliale non, c’est sûrement dans des endroits clos, la gendarmerie peut en revanche remonter, pour voir son trajet s’il était véhiculé. Sur le trafic de stupéfiants, on pensait qu’il était un peu plus futé, et qu’ils se déplaceraient mais à l’heure d’aujourd’hui on ne se cache plus. On est entre Saint-Benoît et Saint-André donc oui il y a de la drogue qui circule, on est très vigilant par rapport à ça, ces caméras sont utiles pour remonter aux têtes de réseaux, ou encore pour retracer leur itinéraire s’ils se déplacent dans un endroit à l’abri des caméras. »
Les caméras et le narcotrafic
Dans un article paru sur Franceinfo en octobre dernier, Bruno Retailleau, ministre de l’intérieur appelle le maire écologiste de Grenoble à se munir de « beaucoup plus de caméras de vidéoprotection ». Ce dispositif lui est conseillé pour lutter contre le trafic de stupéfiants, après la mort d’un mineur de 15 ans lors d’une fusillade entre trafiquants de drogue près d’un point de deal grenoblois le 22 octobre.
Le maire de grenoblois Éric Piolle est quant à lui convaincu que ce dispositif de vidéoprotection n’est d’aucune utilité contre le narcotrafic. « Allez voir à Nice (ville avec le plus de caméras de vidéoprotection en France), ce sont des morts, des fusillades. L’année dernière, c’était Nantes, après Toulouse, on se succède. Partout, c’est un échec. Il n’y a pas de couleur politique là-dedans. On ne va pas répéter les mêmes erreurs. Il faut avancer sur des questions de santé et de santé mentale. Si les gens se droguent, ce n’est plus récréatif, c’est pour les performances au travail, l’anxiété… Il faut arriver maintenant à parler de légalisation parce que c’est un échec. »
Le maire de Grenoble s’appuie également sur des études menées au Royaume-Unis, où des caméras de vidéoprotection ont été installés depuis 40 ans. Il dit que l’impact reste limité contre le narcotrafic.
Toujours selon l’article de Franceinfo : « Il n’y a aucune étude en France qui s’intéresse spécifiquement à l’efficacité de la vidéosurveillance pour lutter contre le narcotrafic. Le problème est que l’on ne peut pas juste prendre une ville au hasard et faire une sorte d’avant/après l’installation de caméras car il faut prendre en compte de nombreux autres paramètres, comme la densité de la population, l’éclairage nocturne, la fréquentation des lieux, l’évolution du nombre de policiers dans les rues, etc. Ce n’est donc pas possible de faire une comparaison purement statistique, c’est une analyse qui prend du temps et qui, jusqu’à présent, n’a pas été réalisée.
Le ministère de l’Intérieur s’était risqué à faire une étude d’impact des caméras sur la délinquance, dont le trafic de drogue, en 2009, sans prendre en compte ces autres facteurs. Ses conclusions étaient très positives mais elles ont été massivement rejetées par les spécialistes du domaine, comme le rapportait Le Monde, il y a quelques années. Les auteurs de ce rapport reconnaissaient eux-mêmes que “l’impact exclusif de la vidéoprotection [était] difficile à isoler”. »
Pour plus d’informations sur des études contradictoires menées à l’international, voir ce même article.
Les autres aspects de l’utilité de ces caméras
De manière incontestable, ces caméras de « vidéoprotection » placées un peu partout dans la commune permettent de constater des flagrants délits. Dépôts de déchets, mauvais stationnement ou encore dégradation de bien publics. Samuel Mardaye dit que « Sur réquisition judiciaire de la gendarmerie, suite au dépôt de plainte, on visualise les rushes. Sur une dizaine de réquisitions, il y en a 4 qui ont pu être élucidées. Là pour l’instant, on n’a pas d’agent derrière l’écran, mais pour tout ce qui relève des dépôts sauvages, violences ou rixes sur la voie publique, c’est un appui visuel aussi pour ceux qui sont sur le terrain. J’avais demandé des effectifs supplémentaires, je pense que deux recrutements se feront prochainement. »
Impact énergétique de ce dispositif
Bras-panon comptera donc 48 caméras. Elles enregistreront 24h/24 en Full HD, et les images seront conservés 30 jours. Une caméra pendant un mois représente 720h à stocker. Multiplié par 48 (nombre de caméras), on obtient 34 560h d’enregistrements à stocker en permanence, pour 13 131 habitants.
Le volume de ces dizaines de miliers d’heures de donnés représentes environ 31 To ou 62 To, en fonction du codage (H.265 ou H.264). À titre de comparaison, un seul mois de vidéoprotection à Bras-Panon génèrera l’équivalent de 13 000 DVD remplis à ras bord, soit presque un disque par habitant. Et sur une année, cela représente plus de 150 000 DVD à stocker et à gérer. Pour alimenter et refroidir une telle masse de données sur 1 an, les serveurs consomment autant d’électricité qu’une dizaine de foyers réunionnais moyens.
Derrière l’image rassurante de la caméra de surveillance, c’est donc tout un écosystème numérique — gourmand en disques durs, en climatisation des serveurs et en électricité — qui se met en place, avec un coût énergétique qui reste largement invisible dans le débat public.
Etienne Satre
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