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Métropolitain ou Réunionnais, quel choix pour le PRMA ?

Qui du métropolitain Alexandre Lamothe ou du Réunionnais Stéphane Grondin aurait dû être choisi pour diriger le Pôle régional des musiques actuelles ? Devant la polémique sur les réseaux sociaux, forcément empreinte d’émotions, Parallèle Sud a tenté une approche plus objective. Résultat : bien sûr, nou lé kapab.

Depuis quelques semaines, une question secoue le Landerneau culturel local : « Pourquoi avoir choisi un métropolitain pour diriger le PRMA (Pôle régional des musiques actuelles de La Réunion aux dépends des compétences locales ? » En effet, un comité de sélection a dû choisir in fine entre deux candidats, Alexandre Lamothe de Grenoble et Stéphane Grondin de La Petite-Île. Parallèle Sud a décidé d’étudier les deux candidatures, en évitant l’écueil du repli sur soi et les biais de préférence régionale ou, à l’inverse, de goyave de France (qui pense que tout est meilleur quand ça vient de l’Hexagone). A noter que Stéphane Grondin étudie la possibilité de déposer un recours devant le tribunal administratif.

Au départ, les candidatures étaient nombreuses, certaines farfelues. Alain Courbis, président et directeur intérimaire bénévole de la structure, nous a confié avoir écarté d’abord celles rédigées par l’intelligence artificielle, ainsi que les candidats qui manifestement ne savaient même pas quel était le rôle du PRMA.

Souvent, on réduit ce rôle à l’aide aux voyages des artistes, mais le pôle s’occupe également de « l’organisation de concertations territoriales avec les acteurs de la filière, la fédération et l’animation des réseaux, la coordination du contrat de filière musiques actuelles, la mise en place d’actions d’information-ressource, d’expertise et d’observation pour le territoire ». Le PRMA développe en outre une plateforme numérique de valorisation du patrimoine musical et est le créateur du label Takamba grâce auquel on a découvert ou redécouvert des artistes tels que Alain Peters ou Henri Madoré, et nombre d’anciens, les zarboutans de la musique réunionnaise.

Le détail des deux candidatures

Cinq candidats ont été auditionnés par le comité de sélection composé d’Alain Courbis, président et directeur intérimaire de la structure après avoir été son premier directeur pendant quinze ans, Guilène Tacoun, conseillère musique et danse à la direction des affaires culturelles, Karine Fontaine, directrice de la culture à la Région, Alain Chan, secrétaire de l’association PRMA et, enfin, Laurent Chan Kam, son trésorier. Deux ont été sélectionnés, le métropolitain et le Réunionnais cités plus haut. 

Les deux profils sont très différents. Le métropolitain a 35 ans, a dirigé le lieu culturel La Bobine à Grenoble pendant dix ans, jusqu’en juin 2024 (coordinateur de la programmation et de la vie associative, puis coordinateur général), il est en pause professionnelle depuis un an. A noter que La Bobine a fermé ses portes en juin dernier à cause de difficultés financières. Il est titulaire d’un master en projets culturels dans l’espace public et d’un autre master en histoire. Deux masters et le bac obtenus avec la mention très bien. Et, pour être complet, un stage de quatre mois comme chargé d’actions culturelles. 

bureaux, siège du PRMA pole régional des musiques actuelles le Port Lycée Jean-Hinglo
Siège du PRMA au Port.

Pour sa part, Stéphane Grondin avoue avoir commencé à travailler à l’âge de 19 ans. Il a dix ans de plus que son concurrent et est actuellement coordonnateur de projet culturel à Saint-Joseph. Il est président et créateur de l’association La Maison du maloya, chanteur et musicien du groupe Mélanz Nasyon, découvreur de Lindigo et de Votia, a produit une trentaine d’albums… Son CV indique en outre qu’il a créé et organisé des spectacles vivants (notamment Les Nuits du Piton), assuré la direction artistique lors de l’enregistrement de plusieurs albums de musiques traditionnelles, produit des concerts dans l’île et dans le monde, organisé de nombreuses tournées en France et à l’international, est titulaire d’une licence d’organisateur de spectacles, auteur du livre Aux Rythmes du maloya, professeur de musique traditionnelle, concepteur d’une méthode d’enseignement du maloya… Il est aussi titulaire du concours externe de catégorie B de la fonction publique, niveau bac +2 spécialité technique de la communication et des activités artistiques option métiers du spectacle, en cours de validation d’un master administrateur de projets artistiques et culturels et possède le niveau troisième cycle en musique réunionnaise au conservatoire de Région. 

Synthèse par ChatGPT

Par ailleurs, dans un document de synthèse des deux entretiens réalisé par Chat GPT, qui résume le profil général du candidat, sa vision et ses propositions pour le PRMA, sa posture et son management, ses limites et fragilités, etc., on apprend que Alexandre Lamothe « a le profil le plus structurant, stable et immédiatement opérationnel pour animer une gouvernance partagée, relancer une dynamique collective et dialoguer avec les partenaires publics. Il coche toutes les cases techniques et humaines, tout en étant ouvert au contexte ultramarin », avec pour limites de n’être « pas encore implanté à La Réunion et nécessite un temps d’adaptation territorial, mais il en est conscient et méthodique ». Par ailleurs il s’engage par exemple à apprendre le créole avec des cours pour adultes (Ndlr: si tant est que ces cours existent). 

Pour sa part, Stéphane Grondin est qualifié d’ « homme de terrain culturel réunionnais fortement implanté dans le milieu musical local », qui considère « le PRMA comme un outil essentiel mais obsolète (critique sur l’absence de bilans, l’illisibilité des dispositifs…), qui appelle à « une refonte de la communication, de la gouvernance, et des critères de sélection des aides ». Au chapitre des limites, on lit « ton parfois virulent ou clivant qui peut être perçu comme non diplomatique en contexte institutionnel,  expérience de direction plus locale et fonctionnelle que stratégique au niveau d’un pôle régional, posture de rupture qui peut poser question en termes d’intégration dans une équipe existante ». 

Pour Alain Courbis, Alexandre Lamothe « coche quasiment toutes les cases d’une grille de critères objectifs ». Celui qui a été le premier directeur du PRMA ne peut pas être suspecté de favoriser une candidature exogène, tant il a œuvré pour la musique réunionnaise dont il a une connaissance fine. A l’inverse, il se refuse à « faire des choix en fonction des origines » pour choisir le candidat réunionnais. Il justifie son choix par des qualités managériales qui ont fait défaut aux équipes précédentes, les réseaux nationaux et internationaux dont dispose le Grenoblois, ainsi qu’une grosse expérience dans le monde des musiques actuelles.

Regret d’une audition par téléphone

« Son dossier et l’entretien sont au-dessus ; on aurait aimé le même niveau au niveau local », assure celui qui explique que le directeur choisi pourra s’appuyer, pour compenser sa méconnaissance de La Réunion, sur une équipe de cinq personnes, et que le choix est « purement professionnel et ne peut se faire en fonction du lieu d’origine des candidats ». Au cours de notre entretien, il a beaucoup insisté sur l’expérience managériale et le sens du contact du candidat.

Stéphane Grondin de son côté regrette d’avoir été auditionné par téléphone, « sans pouvoir interagir ». « J’ai eu le malheur de dire que le PRMA a une image d’endogamie », évoque-t-il. De fait, dans son projet, il prône une politique de rupture, d’une « structure exangue et prise au piège d’un système de collaboration à sens unique », « d’une restructuration totale ». Les mots sont forts et peuvent faire peur. 

A cette étape, il est bon de rappeler le profil recherché dans l’offre d’emploi. On peut aussi s’amuser à « cocher les cases » comme l’on fait les cinq membre du comité de sélection,  même si nous ne disposons pas exactement des critères effectivement appliqués. « Les délibérations du comité de sélection n’ont pas vocation à être rendues publiques », nous a dit Alain Courbis ; et c’est bien dommage, nous pensons au contraire que ce genre de décision devrait être totalement transparente, en tout cas quand il s’agit d’argent public. Voilà donc les qualités requises officiellement.

On refait le match ?

– « Formation supérieure et expérience confirmée dans le pilotage de projets et dans la direction d’une structure culturelle » : Deux masters pour l’un, dont l’un en histoire malheureusement pas d’histoire de La Réunion contre presque un master pour l’autre. Pour l’expérience, nous mettrons un point chacun, et un tout petit point pour la formation à Alexandre Lamothe.

« Bonne connaissance du territoire, des acteurs culturels de La Réunion et des musiques de l’océan Indien » : Un gros point pour Stéphane Grondin, et même trois si on détaille territoire, acteurs et musiques.

« Intérêt marqué pour le domaine des musiques actuelles et du patrimoine musical » : Allez, un point chacun.

« Connaissance approfondie des réseaux musiques actuelles et du patrimoine musical » : Le comité de sélection semble favoriser Alexandre Lamothe à cette occurence, comme aux trois suivantes. De notre côté nous pouvons aussi considérer qu’il y a égalité, faute de mieux connaitre les deux candidats. Si l’on parle du patrimoine musical réunionnais, c’est Stéphane Grondin qui marque le point.

« Connaissance approfondie des réseaux musiques actuelles nationaux et internationaux » : Au vu des éléments dont on dispose, égalité.

« Capacité à initier et à conduire, avec rigueur et intégrité, des projets complexes et transversaux » : Encore une fois, nous ne pouvons préjuger des qualités des deux candidats.

« Excellente capacité à mettre en oeuvre et à développer des partenariats durables et des échanges à l’échelle locale nationale et internationale » : Là non plus nous n’avons pas les éléments pour nous positionner.

« Capacité à appréhender l’organisation publique territoriale et nationale, connaissance des caractéristiques et des enjeux d’un territoire ultramarin » : Un point pour les enjeux d’un territoire ultramarin à Stéphane Grondin.

« Capacité à instaurer des échanges réguliers avec les partenaires institutionnels » : Là encore, nous pensons que le comité donne l’avantage à Alexandre Lamothe, mais c’est à l’usage qu’on aura une réponse. Pour ma part, je pense que travailler à Saint-Joseph et avec Patrick Lebreton est déjà une belle preuve de capacité aux échanges avec les partenaires institutionnels.

« Qualités managériales, humaines et relationnelles et goût pour le travail en équipe » : Comme nous l’avons vu, Alain Courbis loue ces qualités chez Alexandre Lamothe. Pour autant, on ne peut avoir l’expérience professionnelle de Stéphane Grondin sans en être doté.

« Qualités de diplomatie et d’engagement » : On peut mettre un point à Alexandre Lamothe pour la diplomatie, et un point à Stéphane Grondin pour l’engagement.

« Maîtrise de l’anglais indispensable » : Nous supposons que, pour arriver en finale, les deux parlent la langue de Shakespeare.

–  « Pratique de la langue créole souhaitée » : Évidemment, un gros point pour Stéphane Grondin. 

Depuis, Stéphane Grondin est revenu sur l’accusation des deux votes, démentie par tous les participants. En réalité, il y a eu un tour de table avant le vote, qui peut-être ne présentait pas un résultat identique.

Selon notre décompte, Stéphane Grondin gagne haut la main. Comme nous ne ferons pas l’affront aux membres du comité de sélection de succomber au syndrome du goyave de France, nous pensons que l’un présente un profil diplomate, consensuel, humble ; et que l’autre, avec son fort caractère et son projet de rupture, ne sera certainement pas aussi malléable. C’est probablement là où le bât blesse. Pour autant, plusieurs autres acteurs du milieu culturel local nous ont signalé qu’une troisième voie aurait pu être étudiée. La candidature de Julien Vabois (fondateur et musicien des groupes Rocksteady Sporting club et Holly Soul, responsable depuis de nombreuses années de l’accompagnement, du développement et des ressources pour les groupes et musiciens au Kabardock), en effet, aurait pu couper la poire en deux, allier connaissance de la scène réunionnaise, sens du consensus et ouverture vers toutes les formes de musiques actuelles.

Philippe Nanpon

NB : Puisque monsieur Lamothe, manifestement, lit Parallèle Sud, il nous serait agréable qu’il demande à l’avenir l’autorisation à la rédaction avant d’utiliser une de nos photos pour illustrer sa page Linkedin. Un peu de courtoisie ne fait pas de mal. Merci. 

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A propos de l'auteur

Philippe Nanpon

Journaliste. Déménageur, béqueur d'clé dans le bâtiment, chauffeur de presse, pompiste, clown publicitaire à roller, après avoir suivi des études d’agriculture, puis journaliste depuis un tiers de siècle, Philippe Nanpon est également épris de culture, d’écologie et de bonne humeur. Il a rejoint l’équipe de Parallèle Sud pour partager à la fois son regard sur La Réunion et son engagement pour une société plus juste et équitable.

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