Mission Saphir1, roman de Nicolas Puluhen, est le récit prenant d’une quête, d’une enquête originale dont le but est de retrouver les bénéficiaires potentiels de l’important héritage d’un personnage marginal, surnommé Capi, diminutif de Capitaine.
Situation initiale
Le personnage menant l’action, Michel Ravel, généalogiste successoral, est chargé de rechercher d’éventuels légataires de la fortune sordidement acquise jadis par les parents d’un certain Capi, qui vient de décéder solitaire, paradoxalement dans un état de totale misère alors que le trésor dort dans une des chambres de l’habitation, et dont le cadavre en cours de décomposition a été découvert dans une vieille voiture qui semble être son seul abri, à proximité de ce qui reste de sa ferme bretonne délabrée, isolée, dont l’intérieur dégorgeant d’immondices réfère au désormais bien connu syndrome de Diogène.
Intrigue
Les démarches de Ravel, soigneusement datées dans leur chronologie, se concentrent rapidement sur la personne d’Herveline, institutrice retraitée qui a suivi avec bienveillance dans son école tout le parcours primaire de Capi, enfant battu, et qui, résidant dans le voisinage, a bien connu la famille et a entretenu plus tard une relation régulière avec ledit Capi réinstallé à son retour d’une carrière dans la marine dans la ferme familiale après la mort de ses parents.
En émettant un doux bruit de cuisson, la louche déversa sur la plaque fumante ce qui deviendrait une galette. Le tour de main d’Herveline prolongea avec grâce l’exquise mélopée de la crêpe qui apparut…
Peu loquace à la première visite de Ravel, la vieille dame mise en confiance par l’amabilité du visiteur et l’appétit dont il fait preuve pour les crêpes qu’elle lui prépare, dévoile peu à peu les premiers indices qui mettent l’enquêteur sur la piste de l’existence possible d’un enfant qu’aurait eu le marin au long cours quelque part dans le monde.
La reconstitution, lente, complexe, de la carrière militaire de Capi permet à Ravel de retrouver Lavanant, un ancien compagnon d’armes qui évoque une mission Saphir au cours de laquelle, durant une escale à La Réunion, le personnage aurait eu une relation torride avec une créole d’une grande beauté, suite à quoi de vagues rumeurs auraient circulé sur une présumée paternité.
Je vous ai dit tout à l’heure, reprit Lavanant, que Capi n’était jamais complètement saoul… Jamais, sauf une fois. Et il se trouve que j’y étais…
C’est à partir de cet élément narratif que devient évident le dessein primordial de l’auteur, en cohérence avec ses combats citoyens, particulièrement avec son engagement associatif, humanitariste dans la « vie réelle » qui s’est manifesté notamment par la réalisation de Mon P’tit Loup, un livre-disque contre les violences sexuelles faites aux enfants.
En effet l’itinéraire de Ravel le plonge soudainement dans l’une des plus scandaleuses pages de la cinquième république, qu’on connaît comme l’affaire des enfants de la Creuse, cette déportation forcée de deux mille cent cinquante enfants réunionnais entre 1962 et 1984 vers la métropole, impulsée par Debré, alors député de La Réunion, et organisée systématiquement par les DDASS, dans l’objectif abjectement avoué de « repeupler les campagnes françaises » les plus touchées par l’exode rural ; ces enfants arrachés à leurs familles qui n’auront plus d’eux souvent aucune nouvelle seront, pour certains d’entre eux, soumis par leurs familles d’accueil à asservissement, travail forcé et sévices de toute nature.
Quel est le lien entre cette infamie et la mission Saphir ? Le suspens est adroitement entretenu par le narrateur.
Ravel se retrouve alors à La Réunion, où il poursuit ses investigations, à l’occasion de quoi le lecteur découvre les paysages époustouflants et les écarts les plus étonnants d’une des plus belles îles du monde.
Mais lorsqu’il arriva à Aurère la souffrance sembla s’envoler pour laisser place à un sentiment d’allégresse. Les dernières notes de violoncelle vinrent sceller à jamais l’image incroyable de cet écrin de verdure sur lequel reposaient de petites cases aux toits colorés…
Le jeu narratif gagne par ailleurs tout du long en densité, donnant au personnage une épaisseur provoquant l’empathie par le fait que l’auteur entrelace le fil de cette quête passionnante avec la vie personnelle, privée, passée et présente du généalogiste, marquée par sa récente résolution, qu’il a parfois du mal à respecter, de tirer un trait sur son addiction à l’alcool, par sa relation difficile d’une part avec l’épouse dont il vient de se séparer, d’autre part avec ses deux enfants qui lui reprochent d’avoir été trop absent, par sa vision du monde, par la passion avec laquelle il mène son enquête, par sa volonté irréductible de trouver ce qu’il cherche, et par son souci de rencontrer tous les protagonistes potentiels de cette affaire de succession.
Saphir avait bien compris qu’il était du genre à bouffer du curé et que, dans son imaginaire à lui, les gars qui fréquentaient les églises étaient plutôt du genre bolos, comme disaient les jeunes.
Alors, sur qui tombera-t-il au bout de sa quête ? Le lecteur tenu en haleine sera mené vers un dénouement tout à fait vraisemblable qui, entre autres conséquences, verra la vie amoureuse de Ravel prendre un nouveau et heureux départ…
Chut ! On n’en déflorera pas davantage.
Patryck Froissart
Contribution bénévole
Ce qu’en dit l’auteur
Mission Saphir n’est pas un roman policier au sens classique, mais un récit prenant qui en adopte les codes pour mieux servir une quête de vérité. À travers l’enquête d’un généalogiste successoral, il plonge dans une page oubliée — parfois volontairement effacée — de l’Histoire de France : le drame des Enfants de La Creuse. Ce récit lève le voile sur un scandale d’État encore trop peu reconnu.
Entre les années 1960 et 1980, des centaines d’enfants réunionnais furent arrachés à leur île natale et déplacés en métropole, sous couvert d’un programme politique aussi cynique que dramatique.
Ces parcours brisés méritent qu’on les raconte, qu’on les transmette, qu’on les entende.
Mon roman s’appuie sur une construction narrative forte, alternant passé et présent, révélant peu à peu les failles, les secrets et les silences familiaux. Ce va-et-vient entre les époques confère à l’enquête une tension dramatique puissante, tout en rendant palpable le poids de la mémoire.
Le choix de faire d’un généalogiste successoral le moteur de l’intrigue offre une perspective originale, loin des figures traditionnelles du polar. À la fois enquêteur, historien et confident malgré lui, ce personnage atypique nous guide dans une quête intime et administrative, à la croisée des vies et des mémoires.
Mission Saphir interroge la place de l’enfant dans notre société, le rôle de la mémoire collective, mais aussi la responsabilité morale de l’État face à ses fautes. À travers une intrigue à la fois documentée, sensible et percutante, le roman donne voix à celles et ceux que l’Histoire a trop longtemps laissés dans l’ombre.
Extrait
« Michel laissa l’esprit d’Herveline voguer quelque temps, lui ménageant un silence nécessaire au contrôle d’une émotion soudaine et imprévue. Comme s’il voulait trouver une certaine contenance, le bout de ses doigts glissait sur la toile cirée, s’attardant sur le centre de la table où une casserole trop chaude semblait avoir été posée un jour. La pulpe de ses doigts lui renvoyait alors la sensation presque agréable d’une découverte qu’à l’œil nu il n’aurait pas faite, tant les motifs de la nappe étaient chargés. Il enchaîna, pour meubler, sur les caractéristiques de son métier, et, à l’instar d’un malvoyant, il caressa les ridules contenues dans ce cercle qu’il avait à présent en tête sans l’avoir regardé. Car, lorsqu’il s’adressait à quelqu’un, Michel le regardait dans les yeux.
C’était un principe, une marque de respect innée qui le rendait présent dans l’échange. Cette attention qu’il avait pour les autres, il l’attendait également de ses interlocuteurs, mais il était souvent déçu. Déçu, mais renseigné aussi. Car un regard qui ne tenait pas était souvent, pour lui, le signe d’un non-dit, d’une parole qu’il n’entendrait pas et dont il aurait pourtant eu besoin pour son enquête. Ainsi, un simple regard qui retombait ou qui s’enfuyait pour s’attarder sur une chose futile l’incitait à creuser. Il était habile et expérimenté. Mais, aujourd’hui, il n’était pas réellement question de cela avec Herveline… Il savait qu’il était là en inquisiteur, certes, mais sa bienveillance prévalait sur le reste. Cette dernière était une arme qui neutralisait l’individu qu’il avait entre les mains. La gentille dame qui l’accueillait chez elle ressentait une telle joie en voyant sa monotonie rompue par une visite inhabituelle que la partie semblait gagnée d’avance. Si ses questions étaient habilement amenées, les informations qu’il obtiendrait feraient le sel de son enquête. Le tout dans un climat chaleureux où chacun trouverait son compte. »
Biographie
Nicolas Puluhen voit le jour en 1972 à Brest.
A peine étudiant il organise ses premiers concerts, une activité qu’il poursuivra toute sa vie en parallèle de ses activités professionnelles.
Infatigable entrepreneur, tour à tour manager de groupe, chef d’entreprise ou créateur de festivals, il connait pourtant une rupture brutale à l’aube de la quarantaine, lorsqu’il parvient enfin à parler des violences sexuelles subies dans sa petite enfance. C’est l’objet de son premier ouvrage, Mon p’tit loup (2022), qui connait un fort succès et trouve un prolongement dans un livre-CD du même nom (prix de l’Académie Charles Cros).
C’est aussi le début d’une nouvelle phase de sa vie, à La Réunion, où il creuse ce sillon littéraire (Suzie, en 2024) et son combat pour la protection de l’enfance, à travers des projets médiatiques et musicaux. Fruit de ces préoccupations et de son goût pour l’intrigue littéraire, Mission Saphir est son troisième livre.
Les bénéfices de Mission Saphir seront reversés intégralement à l’association Mon P’tit Loup qui lutte contre les violences sexuelles et les violences en général.
L’actualité littéraire à Parallèle Sud
Auteurs, autrices de La Réunion (de Maurice, de Madagascar…)
Si vous souhaitez une présentation, dans Parallèle Sud, de votre nouvelle publication, vous pouvez en envoyer un exemplaire (papier) en service presse à cette adresse, en précisant impérativement vos propres coordonnées postales et de courriel :
Patryck Froissart
13 rue des papangues – 97460 Saint-Paul
patryck.froissart@gmail.com
- Editions Orphie 3e trimestre 2025, ISBN : 979-10-298-0779-4, 320 pages, 16,50€ ↩︎


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