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Perdus dans le désert – Chronique de l’exil

LE PORTFOLIO D’OLIVIER

Dans ce nouveau format de Parallèle Sud, je vous emmène dans mes archives photographiques pour vous raconter une nouvelle histoire. Dans cet épisode, nous partons ensemble au Sud de la Tunisie dans la ville de Tozeur en octobre 2023, sur les traces des personnes sur le chemin de l’exil dans le but d’atteindre Sfax, portées par l’espoir qu’un bateau les emmène jusqu’en Europe.

Pour celui qui n’a jamais mis les pieds dans le désert entre la Tunisie et le Maroc, il est difficile de comprendre l’étendue de cet océan de sable, la chaleur, la sensation de soif et parfois celle d’être perdu au milieu de nulle part. A l’extérieur de Tozeur, au Sud-Ouest de la Tunisie, le désert nous ouvre ses portes, le sable s’étend à perte de vue, et on peut trouver des bâtiments vides, restés debout tels des témoins de la présence des hommes.

C’est dans l’un d’eux que par hasard je rencontre un groupe de jeunes hommes en exil depuis la Gambie. Alors que je prends une photo du désert, j’entends un bruit, et lorsque je me retourne, deux yeux apeurés me fixent dans l’obscurité. C’est par cet échange de regards que se fera la rencontre avec Lamine et ses amis.

Arrivés la veille à Tozeur, ils ont marché depuis la frontière algérienne où le dernier passeur les a laissés. Sans eau, nourriture et surtout sans moyen de communication avec leurs proches ou le prochain chauffeur qui pourra les amener à Sfax, point de départ du périple vers l’Italie. Bakary, Lamine et les autres se sont rencontrés sur la route et aujourd’hui ils fonctionnent comme une famille. Lorsque je les rencontre, ils peuvent enfin contacter leur passeur et prendre contact avec un chauffeur.

Le premier qui leur répond demande le prix de 350 euros par tête soit une petite fortune pour eux. Ils s’énervent, refusent et reprennent déjà la longue liste des numéros écrits au stylo sur une feuille de papier roulée. Les hommes se mettent d’accord sur le prix de 200 euros et finissent par entrer en contact avec un chauffeur qui accepte de les récupérer là où ils sont après envoi d’une photo et d’une vidéo pour qu’il puisse les retrouver.

Malheureusement, le départ n’a jamais eu lieu et je les retrouve deux jours plus tard, toujours au même endroit. Le chauffeur n’est jamais venu et sans internet, ils n’ont pas pu le rappeler. A mon arrivée, le même ballet d’appel reprend donc et le chauffeur leur dit être venu mais n’avoir trouvé personne.

Maintenant il refuse de venir jusqu’à Tozeur et dit qu’il ne pourra les prendre qu’au départ de Gafsa à 92 kilomètres d’ici. L’ambiance est morose mais une décision est prise: si ce soir aucun chauffeur n’est trouvé, ils partiront à pied pour Gafsa dès que la nuit sera tombée. Finalement, les hommes se préparent, il faut manger et boire en prévision de la longue marche de plusieurs jours.

Lettre écrite d’après l’histoire de Bakary qui fait partie d’une série plus large du projet « Nous ne faisons que passer »

Perdu dans le désert

Tozeur, le 9 octobre 2023

Il y aura bientôt deux mois que j’ai quitté mon pays. La Gambie et plus précisément la ville de Banjul d’où je suis originaire. Je suis parti le 25 Août dernier, c’était un vendredi soir. La situation était devenue trop compliquée pour moi et ma famille. Banjul est une ville magnifique, qui s’ouvre sur l’immensité de l’océan Atlantique. Parfois, en fin de journée j’allais sur la plage pour observer le coucher du soleil loin sur l’horizon. Depuis mon départ je n’en ai aperçu aucun qui égale sa beauté. Depuis que j’ai rejoint le désert en passant au Sénégal, je ne connais du soleil que sa morsure brûlante. Celle qui fait naître en moi une soif qui plus jamais ne s’épanche. 

C’est au Mali que j’ai rencontré pour la première fois des passeurs. Des hommes qui contre la somme de 70000 Dalasi m’ont promis de m’amener jusqu’à Faks, une ville qui se trouve de l’autre côté de l’Afrique depuis laquelle je pourrais rejoindre l’Europe. Nous avons sillonné le désert pendant de longues semaines. Souvent il fallait se cacher, pour éviter des hommes armés d’après ce qu’ils nous disent. Je ne suis plus seul d’ailleurs. Je voyage aux côtés d’une trentaine de personnes dont un groupe de jeunes hommes gambiens avec qui je me suis lié d’amitié. A certains moments nous avons dû marcher à pied dans le désert. Il est difficile de marcher lorsque tu n’as pas de chaussures. La chaleur du sable me brûlait mais je n’avais pas le choix alors je continuais en espérant que bientôt cela finirait. 

Il y a quelques jours ( j’ai perdu la notion du temps), la voiture dans laquelle nous étions s’est arrêtée et les hommes nous ont expliqué qu’il fallait descendre et continuer à pied. Ils nous ont indiqué une direction et expliqué que dans plusieurs kilomètres nous serions en Tunisie. Alors nous avons marché, surtout la nuit, nous cachant dans les palmeraies qui se trouvaient sur notre route. 

Depuis trois jours, nous avons trouvé refuge dans un vieux bâtiment et nous nous cachons dans un coin. Nous sommes à l’extérieur d’une ville qui s’appelle Tozeur. C’est un homme qui nous l’a appris. Il est entré dans le bâtiment il y a deux jours et nous a trouvé par hasard. Nous sommes sept, tous originaires de Gambie. Il y a Lamine, Ousmane, El Hadji, Bouba, Madi et El Amine. Nous essayons désespérément de contacter un chauffeur pour atteindre Faks. Personne ne nous répond. Je ne le dis pas mais j’ai peur. Peur de rester bloqué ici, peur de ne pas atteindre ma destination. Mais je ne veux pas le montrer aux autres. Je suis le plus âgé et suis devenu sans le vouloir le traceur de cette horde. 

Samedi nous avions réussi à joindre un chauffeur mais finalement il n’est jamais venu nous récupérer. Alors nous avons attendu, en vain. Puis aujourd’hui l’homme est revenu, et nous avons alors pû reprendre contact avec un autre chauffeur. Malheureusement, il ne pourra pas venir jusqu’ici. Pour le rejoindre nous devrons d’abord atteindre Gafsa qui se trouve à plus de 100 km de marche. 

Alors nous nous préparons pour le long chemin que nous avons à parcourir. Nous avons avec nous une carte dessinée sur un morceau de papier par cet homme venu lui aussi d’ailleurs. Nous préparons les quelques vivres dont nous disposons encore et attendons le coucher du soleil. Nous partirons lorsque la nuit sera pleine et que nos ombres ne feront qu’une avec l’obscurité. 

Bakary Fathy

Textes et série photographique « Perdus dans le désert » : Olivier Ceccaldi

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A propos de l'auteur

Olivier Ceccaldi

Reporter citoyen, Olivier a tout d'abord privilégié la photographie comme support pour informer notamment sur les réalités des personnes exilées face à la politique migratoire de l'Union européenne. Installé sur l'île de La Réunion depuis 2024, il travaille principalement sur les questions de société.

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