ITINÉRAIRE PATRIMONIAL DU GRAND SUD DE LA RÉUNION
Haut perché dans le sud, le sentier Fah’âme serpente sur 200 kilomètres entre les Avirons et le Tremblet. Cette liaison inédite se découvre aujourd’hui sous un aspect patrimonial et culturel. Plus tard peut-être elle deviendra une voie parallèle de développement et un itinéraire sportif.
« Sentié Fah’âme », sonne comme un nom de code depuis près de deux ans. On en parle dans les coulisses sans que le concept soit très clair. Presque une légende…
Il y a eu une première cérémonie le 28 mai dernier. Un zarboutan sculpté par Jean-Claude Jolet a été dressé sur l’aire de pique-nique de la forêt du Tévelave. Et le conteur Sergio Grondin, directeur de la compagnie Karanbolaz, a raconté l’histoire de Bonom et Zanakal. Ce conte fantastique, spécialement écrit pour l’occasion, plonge l’auditoire à l’aube du peuplement de La Réunion, entre brouillard et racines, tout en rendant hommage au botaniste Thérésien Cadet.
Ce moment d’échange, essentiellement réservé aux habitants des hauts des Avirons, a gravé la première empreinte du sentié Fah’Âme (l’orthographe a son importance). Si la technique assure, le promeneur découvrira désormais au pied de ce premier zarboutan un QR code. Il pourra le scanner à l’aide de son smartphone et se retrouver sur le site internet dédié à zistoir faham (l’orthographe est différent mais l’esprit reste le même).
Un nouveau zarboutan va débarquer dans le petit cirque de la Plaine des Grègues dans les hauts de Saint-Joseph. Le 9 juillet prochain il accueillera lui aussi sa cérémonie et son conte concocté par la compagnie Karanbolaz. Cette fois-ci, il sera interprété par Nelly Cazal. Elle racontera l’histoire de Mamzèl Safran, inventée à partir de la parole des habitants.
Trois porteurs de projets
Maintenant que les premiers jalons sont plantés, il est temps de comprendre ce qu’est vraiment ce sentier Fah’âme, imaginé par Amine Valy, directeur du GAL Grand Sud — Terres de volcans. C’est un sentier de 200 kilomètres qui rejoint les dix communes concernées par cette association de promotion des hauts ruraux (Les Avirons, l’Etang-Salé, Saint-Louis, Cilaos, l’Entre-Deux, le Tampon, Saint-Pierre, Petite-Ile, Saint-Joseph et Saint-Philippe).
Le tracé reprend en grande partie des sentiers existants (lire ci-dessous) mais, pour l’instant, il ne s’agit ni d’un parcours sportif, ni d’une balade touristique. Ça viendra… Il a surtout été question d’un parcours administratif depuis que s’est dessinée, en 2018, l’idée de cet « itinéraire patrimonial du Grand Sud de La Réunion ».
L’appel à manifestation d’intérêt s’est focalisé sur l’aspect culturel et patrimonial de cette liaison des hauts qui ne descend sur le littoral qu’au niveau de Saint-Philippe. Trois « porteurs de projet » ont été retenus : Juliette au pays des marmailles qui propose « tisane en l’air et histoires domoun », Karanbolaz qui a monté « Zistoir Faham », et le Théâtre Luc Donat avec « Romans Lao » animé par Gilbert Pounia et Annie Grondin de Ziskakan mais aussi par Sabine Deglise qui composera un récital intitulé « Parlez chemins ».
Leurs interventions et les dates des spectacles à venir sont détaillées dans les dossiers de presse joints à cet article. On retiendra que la démarche s’appuie à chaque fois sur une rencontre avec les habitants des lieux traversés pour raviver les mémoires et sauver leurs histoires de l’oubli. L’aventure ne fait que commencer et se poursuivra pendant au moins six mois.
Arrête de scroller et écoute…
En attendant les prestations des autres artistes, Sergio Grondin est pour l’instant le crapahuteur le plus visible de ce sentier Faham. Le projet est lourd puisqu’il comprend l’écriture de dix contes mis en musique par Axel Sorres, la fabrication de dix sculptures et l’édition d’un site internet. Il fallait avoir les épaules solides pour se lancer dans ce « plus-que-grand-raid » de 200 kilomètres.
Le conteur saint-joséphois se plait souvent a localiser la « vraie Réunion » entre les rampes de Manapany et le pont de la Rivière de l’Est. Le sentier Faham élargit son royaume mais l’esprit demeure rural, empreint de tradition et d’histoire. Il s’amuse du paradoxe à passer par un QR code pour plonger dans la culture des hauts : « Le numérique permet de se relier à l’immatérialité de notre patrimoine oral. Mais quand on se connectera, il faudra s’arrêter de scroller, se poser et écouter l’histoire ».
Pour l’instant, seule celle du Tévelave est disponible. Celle de la Plaine des Grègues ne saurait tarder. Les autres sont en cours de création. Histoire de pêcheur à Saint-Philippe. Histoire de Tak au Tampon (Non c’est une joke, un foutan?)… « J’aimerais que ceux qui atteignent les zarboutans décrochent un bonus en accédant à une musique en plus de l’histoire », précise-t-il.
Amine Valy s’explique quant à lui sur le choix orthographique du sentier Fah’âme : « âme avec un accent circonflexe parce que l’on parle de l’âme de la population des hauts, parce que l’objectif est politique ». Politique et aussi économique. Au-delà des premiers jalons patrimoniaux et culturels, le sentier Fah’âme pourrait aussi desservir des activités agricoles et de loisirs. Un sentier qui va loin…
Franck Cellier
L’agenda
Les rendez-vous les plus immédiats concernent Ziskakan, à la rencontre des habitants de la Plaine des Grègues dimanche (26 juin) et de ceux de Cilaos le 9 juillet. Et Karanbolaz tiendra son « kozman, lektir, bal koktèl » également le 9 juillet à la Plaine des Grègues.
L’ouverture du sentier pour mi-2023
Le sentier Fah’âme peut-il devenir un tracé sportif de type grand-raid ? Pourquoi pas, mais ce n’est pas sa vocation première. L’essentiel du tracé passe par des sentiers entretenus par l’ONF. Des sentiers parmi les plus beaux de l’île : un passage vertigineux sur la crête entre le cirque de Cilaos et le bras de la Plaine et l’ascension minérale de Cap Blanc à la Plaine des Sables.
Les randonneurs reconnaîtront sur la carte des tronçons mythiques et d’autres plus confidentiels. Départ du Tévelave, direction la crête du Grand Bénare après un crochet par les hauts de l’Etang-Salé. Nous voilà ensuite à la Fenêtre des Makes. Puis descente vers le Tapage de Saint-Louis et le bras de Cilaos. Puis remontée vers l’Entre-Deux, le Dimitile, les échelles, le plateau Kerveguen et Cilaos. Une petite boucle par le Bloc, retour sur Mare à boue et la Plaine des Cafres. La traversée de la forêt de Notre Dame de la Paix, les hauts de Montvert et de Piton des Goyaves. Les traversées des rivières de Saint-Joseph. Le périple vers la Plaine des Sables puis le volcan. La redescende vers Basse Vallée puis le sentier littoral jusqu’au Tremblet.
A retrouver sans doute sur le site RandoPitons. On se demande par exemple par où descendre du Tapage (Saint-Louis) dans le lit du bras de Cilaos et par où remonter vers l’Entre-Deux… Les tentatives des crapahuteurs de RandoPitons signalent que l’expérience n’est pas évidente comme on peut le lire sur ce descriptif de la randonnée entre le Petit Serré et le Tapage, classée très difficile et dangereuse.
« Il reste à s’accorder avec certaines familles car le sentier Fah’âme passe sur des propriétés privés. Il faudra aussi s’assurer de la sécurisation de certains tronçons avec l’ONF et le Parc national. Mais on prévoit l’ouverture de l’ensemble du tracé pour mi 2023 », annonce Amine Valy.