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Solidarités International : « Chido a fortement impacté nos activités à Mayotte »

Un an après le passage du cyclone Chido et la publication d’un rapport sur son impact, le responsable de la mission Mayotte de Solidarités International, François Flor, nous donne son ressenti depuis le terrain. 

Olivier Ceccaldi : Un an après le cyclone Chido, où en est Solidarités International aujourd’hui à Mayotte ? Est-ce que vous êtes toujours dans une logique d’urgence ?

François FLOR : Chido a vraiment été une grande phase d’urgence. Aujourd’hui, on estime qu’on est revenus à une situation qui se rapproche de celle d’avant. En revanche, l’impact a été très fort sur nos activités. On est passés à une intervention sur une vingtaine de quartiers. Beaucoup d’acteurs sont venus puis repartis. Médecins Sans Frontières, par exemple, a ouvert des quartiers et a fait la transition avec nous. Résultat : on intervient aujourd’hui sur un territoire beaucoup plus large, notamment dans le grand Mamoudzou.

Quelles sont concrètement vos missions aujourd’hui sur le terrain ?

François FLOR : Elles sont très centrées sur l’eau et la prévention sanitaire. Dans les quartiers informels, on travaille sur l’aménagement, la réhabilitation et la maintenance de réseaux secondaires existants. Ce sont des captages en rivière ou en source, des réseaux communautaires souterrains, avec des cubes de stockage. Nous, on accompagne les communautés pour sécuriser cette eau, notamment par la chloration.

Vous parlez souvent d’« eau sécurisée » et non d’eau potable. Pourquoi ?

François FLOR : Parce que la réalité de Mayotte, c’est que 30 % de la population n’est pas raccordée à l’eau. Et si on parle des maisons en tôle, on monte à 56 %. Dire qu’on peut apporter de l’eau potable partout, ce n’est pas réaliste. Nous, on travaille sans jugement, sans discrimination, auprès des populations les plus vulnérables, surtout dans les quartiers informels, qui ne rentrent de toute façon pas dans les plans d’accès à l’eau. L’objectif, c’est d’éviter les maladies, pas de répondre à un standard réglementaire.

Est-ce que certaines missions d’urgence, comme le water-trucking, sont encore en cours ?

François FLOR : Non. Le water-trucking s’est arrêté. C’était une phase d’urgence, en collaboration avec la Croix-Rouge française, et ça a duré quelques mois. La Croix-Rouge a ensuite poursuivi avec une unité de traitement de l’eau certifiée par l’ARS, mais ce n’est plus notre mission aujourd’hui.

En dehors de la sécurisation de l’eau, quelles autres actions menez-vous ?

François FLOR : Après Chido, on a lancé énormément de distributions de kits d’hygiène : savon, contenants, moustiquaires. Ce sont des kits simples mais essentiels. Notre objectif reste la prévention des risques sanitaires : éviter le choléra, la typhoïde, les gastro-entérites, et les maladies vectorielles comme le chikungunya, la dengue ou le paludisme. On ne parle même pas vraiment d’accès à l’eau à ce niveau-là, mais de réduction des risques.

Comment travaillez-vous avec les autres acteurs, notamment l’ARS ?

François FLOR : On se coordonne beaucoup avec l’ARS. Lorsqu’ils identifient des foyers, par exemple de typhoïde, nous, on va analyser les usages de l’eau dans les quartiers concernés. On regarde s’il y a un problème de sécurisation ou si les populations continuent d’utiliser l’eau de rivière, ce qui est souvent le cas. Ensuite, on met en place un cycle complet : sécurisation de l’eau, distribution de kits, prévention et sensibilisation, parfois en porte-à-porte avec des relais communautaires.

Chido a-t-il eu un impact particulier sur la santé publique ?

François FLOR : Oui, très clairement sur les maladies vectorielles. Le cyclone a laissé énormément de détritus et de poches d’eau stagnante, ce qu’on appelle des gîtes larvaires. Ça a favorisé la prolifération des moustiques. Cette année, on est autour de 110 cas de typhoïde, et le chikungunya a eu un impact très fort. La situation a été contenue, mais le risque est structurel.

Après, à Mayotte, les chiffres de ces maladies liées à la consommation de l’eau impropre comparés à l’hexagone restent choquants : pour la typhoïde et la leptospirose, c’est 70 fois plus élevé et pour l’hépatite A, c’est 30 fois plus. 

Qu’en est-il aujourd’hui de l’accès à l’eau, notamment pour les populations les plus précaires ?

François FLOR : Les distributions massives de packs d’eau ont eu lieu uniquement au début de la crise. Aujourd’hui, le vrai problème, c’est le prix de l’eau, devenu prohibitif. Tout le monde ne peut pas acheter de l’eau en bouteille. Sur le terrain, nous constatons peu d’entraves autour des bornes-fontaines, mais d’autres organisations continuent de les dénoncer.

Vous avez testé un générateur atmosphérique d’eau. Est-ce une solution d’avenir ?

François FLOR : Sur le papier, c’est très intéressant, surtout avec le taux d’humidité à Mayotte. Mais ces machines coûtent entre 5 000 et 7 000 euros, demandent beaucoup d’électricité et ne sont pas certifiées ARS comme eau potable. Quand 77 % de la population vit sous le seuil de pauvreté, ce n’est pas réaliste à l’échelle des familles. En revanche, dans des écoles ou des lieux publics, ça pourrait faire sens, mais ça sort de notre mandat. 

Êtes-vous en lien avec les pouvoirs publics sur les solutions structurelles, comme le plan Eau Mayotte ?

François FLOR : Oui, notamment avec les équipes qui pilotent le plan eau. Il y a plusieurs pistes : retenues collinaires, deuxième usine de dessalement à Ironi Bé, campagnes de forage. La troisième retenue collinaire vient enfin d’être validée après des années de blocages fonciers. Mais tout ça prendra du temps et clairement ce n’est pas à la hauteur des enjeux, notamment financièrement. On est sur des problématiques structurelles qui demandent des investissements massifs.

Sur Chido, les acteurs n’étaient pas prêts. Il n’y a pas ici de culture du risque, comme à La Réunion. Personne n’avait anticipé. Ni les habitants, ni les institutions, ni les associations.

On est aussi en bout de chaîne logistique. Les conteneurs ont mis du temps à arriver, et quand ils sont arrivés, il y a eu des engorgements. La coordination a été compliquée, notamment du côté des services de l’État. Mais on sent quand même une accélération sur certains sujets, comme les infrastructures. Il y a une prise de conscience du fait que Mayotte est une zone à risques : cyclones, séismes, glissements de terrain.

La signature pour la troisième retenue collinaire, après des années de discussion, c’est un signe. Chido a sans doute accéléré certaines décisions. Mais ça ne va jamais assez vite, parce que le retard structurel est énorme.

Il y a aussi le problème de l’assurance : moins de 10 % des logements sont assurés. Donc la reconstruction est extrêmement lente. Et tout ça s’ajoute à des réseaux d’eau déjà insuffisants et en mauvais état.

La crise de l’eau concerne-t-elle uniquement les quartiers les plus précaires ?

François FLOR : Non, elle touche toute la population. Même si nous, on intervient surtout dans les quartiers les plus vulnérables, la crise concerne toute la population.

Quand on regarde les chiffres, c’est ce qui m’a fait venir à Mayotte : 30 % de non-accès à l’eau, 90 % sans assainissement collectif, 70 % de précarité. Les maladies hydriques et vectorielles, je le rappelle, sont 30 à 70 fois plus élevées qu’en métropole et la mortalité infantile est trois fois plus élevée.

Moi, je viens de contextes de conflits armés ou de grande pauvreté. Et quand tu arrives à Mayotte, département français, tu ne t’attends pas à un tel niveau de dégradation.


Pourtant, quand on parle de Mayotte, on parle beaucoup de violences, d’insécurité, parfois presque exclusivement de ça. Comment est-ce que vous, sur le terrain, vous reliez ces violences aux réalités sociales que vous observez ?

François FLOR : Déjà, il faut rappeler que la crise sociale ici est extrêmement profonde. La moitié de la population est mineure. Une personne sur deux a moins de 18 ans. Et parmi ces jeunes, environ 9 000 enfants n’ont pas accès à l’école selon encore un dernier rapport d’ UNICEF France. Ça veut dire des milliers de jeunes sans cadre, sans perspectives, sans avenir clairement identifié.

Quand on parle de violences, il faut remettre ça dans ce contexte-là. Ce ne sont pas des comportements qui sortent de nulle part. On est sur un territoire où les besoins les plus basiques ne sont pas garantis : l’accès à l’eau, à l’assainissement, à un logement digne, à l’éducation. Quand ces fondamentaux ne sont pas là, les mécanismes de survie prennent le dessus.

Donc pour vous, il y a un lien direct entre précarité et violence ?

François FLOR : Oui, clairement. Ça ne veut pas dire que la violence est légitime ou acceptable. Il ne s’agit pas de la justifier. Mais il faut l’expliquer. Quand une population est plongée dans une précarité extrême, quand elle vit dans une insécurité permanente, sociale, économique, sanitaire, ça crée énormément de frustrations, de colère, de tensions.

Ici, la précarité touche tout le monde. Les Mahorais eux-mêmes vivent dans des conditions très difficiles. Et c’est important de le dire, parce que parfois on a tendance à tout expliquer par la migration, alors que la réalité est beaucoup plus complexe.

Entretien réalisé par Olivier Ceccaldi

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A propos de l'auteur

Olivier Ceccaldi

Reporter citoyen, Olivier a tout d'abord privilégié la photographie comme support pour informer notamment sur les réalités des personnes exilées face à la politique migratoire de l'Union européenne. Installé sur l'île de La Réunion depuis 2024, il travaille principalement sur les questions de société.

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