RANDONNÉE ACROBATIQUE
Escaladées pour la première fois en juillet 1991, les Trois Salazes se sont ensuite illustrées au générique de l’émission culte de l’extrême Ushuaïa. Aujourd’hui leur vertige et leur splendeur sont à la portée de tous. Un must touristique, une mode…
Le 1er septembre 1939, un groupe de jeunes téméraires, composé de Roger Défaut, Albert Barbot, Maxime Gruchet, Jean Piat, Saül Dijoux et Benoît Hoareau avait vaincu le Gros Morne, à plus de 3 000 mètres d’altitude. La presse de l’époque avait publié la photo mais l’exploit avait été totalement occulté par la déclaration le même jour de la deuxième guerre mondiale… L’heure n’était pas à l’essor de l’alpinisme tropical. Il n’en fut pas davantage question durant les premières décennies de la départementalisation… à part quelques rares expéditions (Plus de détails).
Avant que, dans les années 1990, Pascal Colas ne popularise les canyons et les falaises de l’île au générique de l’émission Ushuaïa, il était entendu que les parois rocheuses des massifs du Piton des Neiges et de la Fournaise étaient trop friables pour accueillir des cordées d’alpinistes.
Depuis trente ans, l’ouverture de voies d’escalade aux quatre coins de l’île ont — sinon démenti cette crainte — du moins permis de la dominer. Il a fallu attendre la mode des murs artificiels pour que l’escalade trouve toute sa place dans l’offre des loisirs de La Réunion.
En milieu naturel, parmi tous les pics que propose la topographie réunionnaise, il en est un qui connaît un incroyable succès de fréquentation : celui des trois salazes qui séparent les cirques de Mafate et de Cilaos. Equipées les 23 et 24 juillet 1991 par une expédition de Pascal Colas (Plus de détails), les Trois Salazes ont ensuite été filmées sous tous les angles, dans toutes les positions. C’est cet atout télégénique qui fait leur charme. Chaque jour ou presque, si la météo le permet, une dizaine de personnes monte à leur assaut.
« Ne pas avoir la phobie du vide »
Les images sont à couper le souffle. Des funambules tendent une corde entre ces pieux rocheux (salazes en malgache) pour jouer les acrobates sur slack line. Les moins équilibristes glissent de l’une à l’autre en tyrolienne. Visionner l’une des ces vidéos donne le vertige ! Alors y aller en vrai…
C’est ce que nous avons fait la veille du 14 juillet. En fait, contrairement aux apparences, l’expédition est à la portée de toute personne en bonne forme physique. Pas besoin d’être un adepte d’escalade. Le guide, Thierry Gillet, se fait fort d’expliquer en deux temps trois mouvements le maniement des cordes, mousquetons, baudriers et freins de rappel. Ancien militaire du Peloton de gendarmerie de haute montagne (PGHM), il s’est reconverti dans le tourisme et a fait des Trois Salazes son bureau. « Il suffit de ne pas avoir une phobie du vide », dit-il comme seul critère de sélection.
Rendez vous à 4h00 du matin sur la route d’Ilet à Cordes au début du sentier du col du Taïbit. Lampes frontales éclairées, l’ascension jusqu’à la crête dure un peu plus de deux heures en passant par la Tisanerie de l’îlet des Salazes, le Cap Bouteille et la source du même nom.
Le soleil se lève au moment où le groupe atteint le col Choupette (du nom de la chienne de Pascal Colas qui l’a accompagné lors de la première expédition). Il éclaire les sommets où se déchirent les nuages. En dessous, les villages et les îlets s’éveillent à l’ombre des remparts. Les vaches du plateau Kerval ne sont pas encore allées s’abreuver à la mare.
Cordée sur une crête de vingt centimètres de large
C’est le moment de s’équiper et de former la cordée. Sans cette corde à laquelle chacun s’accroche, il serait bien effrayant de progresser sur la crête qui mène jusqu’aux trois salazes. Par endroit le sentier rocheux est à peine large d’une vingtaine de centimètres au-dessus de gouffres de plusieurs centaines de mètres de profondeur de chaque côté.
Quelques murs verticaux se présentent sur la progression. Il faut les escalader, trouver la bonne prise. Un jeu d’enfant si nous étions à un mètre du sol mais nettement plus compliqué au-dessus du vide. D’où l’importance du guide, de ses conseils et de son aptitude à évacuer le stress.
Il a écrit une feuille de route qu’il répète chaque jour au millimètre. Il connaît chaque pierre, chaque crochet scellé dans le basalt, chaque cadrage pour les images qu’il prend avec sa Gopro, son appareil photo et son drône. Il ne semble pas lassé pour autant alors que ses clients vivent à coup sûr un instant exceptionnel. Il met le vertige des alpinistes à la portée des simples promeneurs. Il les fait jouer au « cochon pendu par les pieds » entre les salazes avant de les entasser sur l’une d’entre elles. On fait le plein de souvenirs avant d’entreprendre le chemin retour émaillé des quelques descentes en rappel.
Voilà comment les Trois Salazes sont passées en 31 ans d’un privilège d’explorateurs à un must touristique. Accessibles à tous. Mais attention quand même, la moindre imprudence se termine en drame.
Franck Cellier