« Coup de tonnerre », a écrit Sébastien Gignoux dans le Quotidien pour qualifier la condamnation de l’Association réunionnaise interprofessionnelle de la pêche et de l’aquaculture à 60 000€ d’amende. Du 2 février 2011 au 21 mars 2022, soit 11 ans et 1 mois, L’Aripa a faussé le marché du poisson à La Réunion en fixant une « grille de prix ». Elle a instauré une « collusion généralisée ». Elle a contraint ses adhérents à une « discipline collective » ; à défaut de s’y soumettre, ils risquaient de perdre leurs droits aux aides et subventions publiques… On vous a récupéré la décision intégrale de l’Autorité de la concurrence. Lisez la, c’est affligeant.
« Coup de tonnerre » en effet puisque l’Aripa a, en principe, renoncé à ses pratiques anti-concurrentielles. Les pêcheurs indépendants, écartés de la combine, parleraient plutôt de « pratiques mafieuses ».
Les 60 000€ d’amendes, en revanche, ce n’est pas trop tonitruant. Ça fait moins de 15€ par jour d’infraction au code du commerce. 15€ par jour pour une escroquerie généralisée envers les consommateurs et une domination abusive sur les acteurs de la pêche et de l’aquaculture. Une broutille quoi. Le business devrait pouvoir s’en relever.
Ce pourrait presque être drôle comme l’Autorité de la concurrence — la même qui a validé le quasi monopole du Groupe Bernard Hayot sur la grande distribution à La Réunion — s’attaque, en condamnant l’Aripa, à l’essence-même du système économique d’une île comme la nôtre. Comme si personne n’avait remarqué que l’esprit associatif (eh oui, l’Aripa est une association), comme l’esprit coopératif (faut-il citer ici les grosses coopératives de la place?), est systématiquement dévoyé.
Qui ne s’est pas un jour insurgé contre la pesanteur de ces réseaux qui, apparemment proprement, mettent La Réunion à genoux ? On peut faire valoir les textes de la république et prouver qu’il y a « entente illégale », « collusions », etc. C’est ce qu’ont fait les deux pêcheurs indépendants et l’Association des victimes de l’allocation des aides européennes, qui ont porté plainte contre l’Aripa. C’est intellectuellement réconfortant. Et alors ? La belle affaire…
Il est tellement plus simple de rentrer dans le rang et de rejoindre les réseaux, plutôt que s’y opposer. Ici, « tout s’arrange ». Depuis de Gaulle que ça dure. Et Giscard qui disait qu’il fallait en finir avec les usages coloniaux. Puis Mitterrand, puis Chirac, puis Sarkozy, Hollande et Macron… Tu parles.
Même que ça dure depuis le roi Soleil et Colbert, et La Bourdonnais. C’est l’île des « arrangements », de ces « arrangements » qui ne se conçoivent que sur une injustice originelle. Reste pauvre, reste en-bas, ou arrange toi. Pour t’arranger, il faudra courtiser. C’est bien d’être courtisan. Regarde les courtisans. Eux, ils ont toujours leur place au palais. Le roi, la reine changent. Mais le courtisan, il reste. Il s’arrange… et il sourit quand le « coup de tonnerre » survient. Un éclair dans un ciel bleu.
Franck Cellier