PLACE DE PARTAGE
Peut-on vivre sans argent ? Pour Hugo et Emilie, de l’association Mocica, il faut avant tout redonner du sens à l’entraide et au partage que pratiquaient nos anciens. Ils organisaient dimanche 15 janvier la troisième « place de partage », basée sur le don, dans le quartier du Verval, à la Rivière Saint-Louis.
Les livres sont disposés sur les bords bétonnés, des stands croulent sous les vêtements pour enfants… On trouve des anciennes boîtes à maquillage réutilisées pour donner des graines, longanis, riz de terre… Ici, derrière le terrain de foot de la rue du Verval à la Rivière Saint-Louis, à l’ombre des arbres, rien ne se vend, tout s’échange, se donne. Dans le plaisir de partager ensemble, avec les habitants du quartier ou ceux qui ont fait le déplacement.
« Tout domoun i profite, kom si té un dimansh en famiy nou sa pikniké somin volcan mais nou lé somin verval ! Donk lé gayar parske pou sak na pwin transpor zot i giny nir a pié terla. » s’enthousiasme Emilie, co-organisatrice, originaire de la Rivière Saint-Louis. Elle raconte comment est née et s’est développée la place de partage.
Repas végétarien au feu de bois
C’est la troisième édition de cet événement qui met en avant le don et l’entraide plutôt que l’échange marchand. Chacun amène ce qu’il veut donner et repart avec ce dont il a besoin. Il est 11h, les bénévoles cuisinent le repas végétarien au feu de bois, tandis qu’un commerçant du quartier a participé à sa façon en préparant le cari poulet. La table en pierre du kiosque croule sous les plats et les desserts. « On va manger pas mal de poivrons parce qu’on a reçu une palette entière ce matin de la part d’un agriculteur« , prévient Laurent un participant actif, sourire aux lèvres.
Un peu plus loin, un coiffeur, peigne et tondeuse à la main, réajuste de près la coupe d’un homme. Les marmays jouent à des jeux en bois posés sur la piste de pétanque. Depuis la première édition de la place de partage en 2022, la fréquentation est grandissante, au moins autant que l’aide bénévole.
« Aterla, mi reswa ankor plis ke sak mi done »
« Zordi fo nou ashèt tout in ta dzafèr pou subvenir a tout in ta de bézwin tout in ta de konfor é défwa lé en tro ! » S’exclame Emilie. « Nou konsom tro, nou ran anou kont mé nou konsom ankor é ankor. Alors qu’on pourrait faire déjà avec ce qu’on a, on a déjà tellement. A nous de redonner sens à tout ça. Aterla, mi reswa ankor plis ke sak mi done et c’est ça en fait l’esprit de la place du partage. Si ou na pou doné lé gayar, viyin ! Parsk sak ou utiliz pa chez ou na domoun i va giny réitilizé. E aprè, ou tout sak ou va giny an rotour i pé èt matériel mé tout sak ou pé ginyé dimatériel mi pans ke lé ankor pli puisan.«
« Il n’y a pas d’argent en jeu et du coup ça créé du lien humain, c’est impressionnant. » Thibault Delacour connait bien le lieu. Depuis cinq mois, il met l’ambiance sous le préau du terrain de foot un jeudi sur deux. Thibault habite la Rivière Saint-Louis. Son objectif initial était de ramener la musique dans un quartier « un peu déserté par la culture » et créer des occasions de rencontre. Il a commencé seul en ramenant ses instruments et la mayonnaise a pris. Quelques mois plus tard, plus d’une quarantaine de personnes se retrouvent à ces occasions rue du Verval. Il a appelé ces événements les « jam Ô Ouaki« . Il raconte comment tout a commencé :
Transmission de connaissances
Ce dimanche 15 janvier 2023, Thibault Delacour est chargé de la programmation musicale pour la place de partage. Il est accompagné pour l’occasion d’un ingénieur du son affairé, Alex. Un passionné de son en analogique, diffusé par des caissons qu’il a lui-même fabriqués.
Pour cette troisième édition de la place de partage, de nouvelles associations et musiciens viennent apporter leurs énergies, insuffler leurs univers, transmettre leur connaissance, partager, simplement. Toute la journée, plusieurs artistes se succèdent sur la petite scène aménagée : Sonnker, Papy’s sax, Olivier Cadet, Jade, Kese Kese, Nini…
Parmi eux, le chanteur Senseï (à gauche sur la photo) : « Ma nu faire in ti show terla pou zot parsk ma la entendu parlé de l’association mocica. Nou lé venu partage un moment musical ansanm banna. C’est ce concept de partage musical qui m’a attiré aujourd’hui. Le fait qu’on arrive, il y a la musique, tu peux prendre la guitare, les instruments, tout le monde peut prendre le micro et partager sa vibe.«
Une vraie dynamique de quartier
Pour les musiciens de l’orchestre Papy’s sax, qui fête son premier anniversaire, c’est l’occasion de retrouver un peu une ambiance de bal la poussière. « C’était dans le même style, des fois chez des gens des fois dans la rue, c’était dans le partage, les gens dansaient et ça faisait le bonheur de nos parents, arrières grands-parents« , raconte Vincent Paton. « On a un peu perdu ce côté-là, il ne faut pas oublier. » En remettant les cuivres à l’ordre du jour, l’ensemble de musiciens entend justement rendre hommage aux anciens artistes comme Luc Donat, Claude Vinh San…
Au fil des semaines, c’est une vraie dynamique de quartier qui se met en place grâce aux « jam Ô Ouaki », aux places de partage, mais aussi les associations déjà présentes dans le quartier, les habitants et d’autres bénévoles qui viennent donner la main. En marge de ces événements, des ateliers s’organisent, se réfléchissent avec les habitants : atelier jardinage et plantes médicinales, atelier low tech, etc.
Mis en pratique
« Et si l’argent disparaissait, que resterait-il ? » Interroge la vidéo de présentation de l’association Mocica sur YouTube. Hugo et Emilie Brisson s’inscrivent dans le mouvement Mocica qui prône un retour à l’entraide citoyenne, au partage, à l’autonomie. Le groupe s’est monté à la Réunion en 2020, se souvient Emilie. « Nou a fé kelke rényon avek plizièr bénévol, mi avou ke mwin té in pé kom in volkan an ébilisiyon mavé beswin pas an aksiyon. Nou koz, lé gayar ! Mwin mi aim kozé an plis, mé lé mié ankor kan nou giny met tousa an mod pratik.«
Le couple de co-organisateurs a conscience qu’aujourd’hui, il est difficile de sortir complètement du mode de fonctionnement de la société. « On ne parle plus d’un monde sans argent mais plutôt d’entraide, de gratuité, de partage, car on est dans une société marchande. E sa à la Rényon nout tout nou a connu sa! Soi kan nou té ti soi kan nou té pli zèn ek nout bann gran paran parske banna té marsh rienk kom sa mèm !«
Jéromine Santo-Gammaire