Intervention de l'association Colosse aux pieds d'argile

[Harcèlement] Une poignée de sensibilisateurs contre des milliers d’images pornos

RENCONTRE AVEC JEAN FAUCONNET DE L’ASSOCIATION COLOSSE AUX PIEDS D’ARGILE

Sournoisement et massivement, les violences sexuelles, qui vont de pair avec toutes formes de violences familiales et sexistes, se répandent dans les quartiers, les écoles, les clubs, les familles et les lieux de travail. Rencontre avec l’association Colosse aux pieds d’argile qui s’est donné pour mission le combat contre ces violences, d’abord dans le mouvement sportif… et partout où elles s’insinuent. 

À vomir. À casser une vie. C’est un bénévole dans la fanfare et au club de rugby qui viole le fils de la cousine de sa femme. Ça se passe dans sa voiture chaque semaine avant de ramener l’enfant chez lui et boire un café avec ses parents. La victime subit ce calvaire de l’âge de 11 ans et demi jusqu’à 16 ans. Il lui faudra encore 18 ans pour dire les faits et faire traduire le violeur devant la justice qui le condamnera à 10 ans de prison.

Jean Fauconnet
Jean Fauconnet déplore : « Il est plus facile d’entrer dans un site porno que sur le site d’un service public ». © Philippe Nanpon

De cette histoire terrible dans le Sud-Ouest de la France, est née l’association du Colosse aux pieds d’argile fondée par Sébastien Boueilh en 2013. Une antenne est créée à La Réunion fin 2021, Jean Fauconnet en est l’intervenant régional. Il sillonne l’île pour porter le message dans les écoles, auprès des clubs de sport, partout où des mineurs peuvent être la proie de pédocriminels.

La mission est immense et englobe, au delà des violences sexuelles, les harcèlements, bizutages et sexisme et par extension les violences intra-familiales et les violences contre les femmes. Etant entendu que les schémas peuvent se reproduire et qu’un enfant victime peut devenir plus tard un agresseur.

Le combat est inégal. Il est mené par Colosse aux pieds d’argile ainsi que par l’association EPA (Écoute-moi, Protège-moi, Aide-moi) spécialisée dans le champ de l’inceste. On peut également compter sur les interventions de sensibilisation de la police ou la gendarmerie. Mais la vérité c’est qu’il y a peu de chances que ces sensibilisateurs parviennent à atteindre les quelque 200 000 jeunes en milieu éducatif.

Le porno dès 9 ans

En revanche les dérapages sur les réseaux Snapchat, Tik Tok sont permanents avec des images et vidéos humiliantes, dégradantes, hypersexualisées. « En moyenne les enfants se confrontent à la pornographie à partir de 9 ans. Il est plus facile d’entrer dans un site porno que sur le site d’un service public, déplore Jean Fauconnet. Un enfant peut trouver normal d’obliger une fillette à un acte pornographique, par mimétisme. Dès l’école primaire, nous y sommes confrontés. »

Protégeons nos enfants des images choquantes.

A défaut de statistiques spécifiques sur la pédocriminalité à La Réunion, Colosse aux pieds d’argile relève un contexte géographique et familial qui accentue le risque. 94% des agressions sur mineur se passent dans le cercle proche de la victime. C’est dur à entendre mais il faut davantage se méfier des tontons, cousins, cousines, entraîneurs, encadrants que d’un inconnu rencontré dans la rue. « Spécificité réunionnaise, les familles investissent souvent un territoire. S’il y a un agresseur, il a trente victimes potentielles autour de lui qui font partie de sa famille. Celles-ci  seront sous une pression forte qui verrouille leur parole. Personne ne te croit et tu as peur de faire exploser ta famille. »

Deuxième facteur aggravant : à La Réunion, il est impossible de s’éloigner de son agresseur à moins de sauter la mer. Les assistants et travailleurs sociaux font le constat d’une augmentation du nombre de cas. Certes, la parole se libère et multiplie les signalements, même pour des faits anciens, mais il y a bien une augmentation réelle des faits de violences sexuelles et harcèlements.

Comment repérer

Les violences sexuelles se font à l’abri des regards. En revanche, certains comportements, comme l’hypersexualisation d’une très jeune fille « maquillée comme une influenceuse des réseaux sociaux », peut constituer une alerte sérieuse. Tout comme un élève violent peut reproduire à l’école un contexte violent qu’il subit à la maison. Et il est très difficile de faire prendre conscience à ces enfants-là qu’ils sont des victimes tant ils croient être dans la normalité.

harcèlement sur enfant

Et lorsque ces enfants-là lancent l’alerte, ils le font par leur comportement, la parole, ou les deux. « C’est à ce moment là que l’adulte qui a entendu ce témoignage doit faire un signalement. Hélas, tout le monde n’est pas informé de la marche à suivre et, parfois, rien n’est fait, regrette Jean Fauconnet. En milieu scolaire, les faits graves doivent être signalés au niveau de l’académie. Parfois, un établissement préfère régler ça en interne pour préserver sa réputation. Il est également arrivé qu’une assistante sociale qui faisait trop de signalements se fasse taper sur les doigts ». Or c’est une obligation légale !

Comment aider

La première aide à apporter à une victime tient dans l’écoute. Il faut la laisser s’exprimer avec ses mots. La justice française a offert un contre-exemple saisissant et retentissant avec l’affaire d’Outreau qui fait l’objet actuellement d’une série documentaire passionnante. Il ne faut pas poser 50 000 questions qui pourraient vicier son témoignage, ne pas l’interrompre. C’est d’ailleurs souvent la victime qui va choisir son interlocuteur pour témoigner de sa souffrance. Colosse aux pieds d’argile propose donc de former le plus d’interlocuteurs possibles, de la cantinière au conseiller d’éducation… « Dans 97% des cas, ce qui est dit est vrai. Il faut donc considérer que c’est vrai puis faire confiance à l’enquête qui suivra. Ce n’est pas à l’écoutant d’enquêter, il se limite à noter les mots exacts exprimés par la victime et peut s’appuyer sur la communication non verbale », signale l’intervenant. Colosse aux pieds d’argile propose en complément des accompagnements psychologiques et juridiques gratuits aux victimes et à leurs proches.

Les agresseurs

Au-delà de la sanction de l’agresseur et de la mise en protection des victimes, il faut amener l’agresseur à prendre conscience qu’il est agresseur et l’inciter à se tourner vers le CRIAVS Centre de ressources pour les intervenants auprès des auteurs de violences sexuelles. L’idée est de faire en sorte qu’un pédophile — qui a des pulsions — ne devienne pas un pédocriminel — qui passe à l’acte. Il faut donc dépasser le stade de la culpabilisation du fait non commis pour se faire aider.

« La pédophilie n’est pas une maladie qui se soignerait avec des gélules. Il s’agit dune déviance qui peut apparaître y compris chez des jeunes de 14-15 ans attirés par des enfants de 7-8 ans. L’accompagnement est psychologique et aussi sur la prise de conscience de la notion de consentement qui n’existe pas chez les enfants. Le seul élément positif, c’est que la société a évolué au fil des siècles, on ne marie plus les filles à 10 ans et le viol est considéré comme un crime. Mais on part de loin », commente Jean Fauconnet.

Prévenir et agir

Le sentiment d’impunité, même s’il est attaqué aujourd’hui, domine dans tous les milieux (famille, travail, éducation, sport). Si rien ne se fait après une dénonciation, les victimes se tairont à tout jamais. Des mesures de protection doivent être prises, des enquêtes doivent être menées. C’est loin d’être toujours le cas. Des enfants dont il est avéré qu’ils ont été battus à la maison sont renvoyés, malgré tout, chez leurs parents faute de place pour les accueillir en foyer ou famille d’accueil.

Il est inconcevable que la société ne se donne pas les moyens de protéger les victimes.

Franck Cellier

A propos de l'auteur

Franck Cellier | Journaliste

Journaliste d’investigation, Franck Cellier a passé trente ans de sa carrière au Quotidien de la Réunion après un court passage au journal Témoignages à ses débuts. Ses reportages l’ont amené dans l’ensemble des îles de l’océan Indien ainsi que dans tous les recoins de La Réunion. Il porte un regard critique et pointu sur la politique et la société réunionnaise. Très attaché à la liberté d’expression et à l’indépendance, il entend défendre avec force ces valeurs au sein d’un média engagé et solidaire, Parallèle Sud.

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