VIOLENCES SEXISTES (SYSTÉMIQUES?) AUX TERRES AUSTRALES ET ANTARCTIQUES FRANÇAISES
Une hivernante a déposé plainte pour harcèlement sexuel dans une île isolée des TAAF. Résultat, c’est elle qui a dû partir et le harceleur présumé est resté en poste. L’administration promet une réponse adaptée… qui concernera les prochaines missions.
Éloignés du monde, soumis à la promiscuité et à une météo hostile, les habitants temporaires des terres australes et antarctiques françaises (TAAF) vivent en huis clos. Ce qui se passe aux TAAF, reste aux TAAF ? Eh bien non ! Lors du dernier hiver austral, des faits de harcèlement sexuel ont été jugés suffisamment graves par une trentaine d’hivernants de la base Martin-de-Viviès sur l’île d’Amsterdam pour qu’ils cosignent, le 19 décembre dernier, un courrier à la préfète des TAAF et à l’ensemble des directeurs. Ils y dénoncent plusieurs situations de harcèlements sexuels et les réponses inadaptées apportées par les différentes administrations concernées.
L’élément déclencheur fut un acte de harcèlement sexuel commis le 22 août 2022 sur la base des îles de Saint-Paul et Amsterdam située à 2 880 kilomètres du siège administratif installé à Saint-Pierre de La Réunion. Le 16 septembre, la victime a déposé plainte auprès du chef de district qui fait office d’officier de police judiciaire. La justice n’a pas donné suite à cette plainte. Ce que ne contestent pas les signataires.
En revanche ils déplorent que ce soit la victime et non pas la personne mise en cause qui ait dû prendre la décision de quitter le district. « Ce choix a été très difficile puisqu’il lui inflige la double peine du harcèlement et du départ de la base. C’est malheureusement pour elle la seule façon d’échapper à une situation absolument invivable lui imposant de vivre quotidiennement avec son agresseur. Cela nous inspire une profonde injustice et nous inquiète au plus haut point », écrivent-ils.
Ambiance pesante et délétère
Le cas évoqué n’est pas isolé. Uniquement sur Amsterdam et en 2022, une autre plainte du même ordre avait été déposée en avril et une seconde situation de harcèlement avait eu lieu un mois plus tard. Au point que les trente signataires, autant d’hommes que de femmes, évoquent « l’aspect systémique que leur semblent prendre les violences d’ordre sexiste et sexuel dans les TAAF ».
Nous avons tenté de contacter la plupart des signataires du courrier. Sans succès, signe supplémentaire de l’enclavement des TAAF et, peut-être, du silence qu’impose la situation. Il est fait état dans le courrier d’une « ambiance pesante et délétère » : « un fort impact émotionnel et psychologique aussi bien pour les hivernants sortants que pour les nouveaux arrivants ». La présence de l’auteur des actes de harcèlement, « peut par ailleurs donner le sentiment aux personnes qui le côtoient quotidiennement de cautionner des agissements pourtant révoltants, mener à une fragmentation générale des relations sociales sur la base ».
« Mais par-dessus tout, le maintien sur base de personnes capables de tels agissements instaure un climat d’impunité pour les auteurs de violences et d’insécurité pour toutes les personnes présentes sur base, tout particulièrement les hivernantes, qui ne seront plus que cinq à partir de janvier 2023. Attendra-t-on que ces cas se multiplient, ou pire, que des cas autrement plus graves induisant des atteintes physiques se produisent, pour sévir réellement ? », lit-on dans le courrier.
L’incompatible maintien du harceleur
C’est par le bais de l’amie d’une amie d’une amie, que cette alerte est parvenue à Parallèle Sud. Elle nous a relayé le choc qu’a pu provoquer, au-delà des actes eux-mêmes, la réponse — ou la faiblesse de la réponse — qui a été apportée par l’administration. L’auteur des actes de harcèlement est donc maintenu à son poste, ce qui est jugé « incompatible avec la pérennité de la mission ». Le sujet a été repris par une dépêche de l’AFP reprise à La Réunion par les sites Imaz Press et Réunion la Première. Que ce soit à La Réunion ou sur les sites nationaux (Express, TV5 Monde…) le titre est le même : « Dans les terres australes françaises, les autorités s’attaquent aux violences faites aux femmes ». Etonnant puisqu’aucune action nouvelle n’a pu être mise en œuvre depuis la dénonciation des faits. Voire provocateur au regard de l’écoute qu’il faudrait accorder aux victimes… notamment à celle qui s’est vu proposer de quitter le district.
En janvier, la préfète des TAAF, Florence Jeanblanc-Risler avait alors affirmé à l’AFP « le total engagement de l’administration des Taaf dans la prévention et la lutte contre le harcèlement et les violences d’ordre moral ou sexuel ». « Cette situation complexe a dégénéré, j’ai pris des mesures pour que la situation revienne à la normale, avait précisé la préfète, ajoutant que la personne mise en cause allait aussi quitter l’île au printemps sur décision administrative ».
De fait, à chaque saison, les équipes missionnées sur les TAAF sont renouvelées à 100%. Personne ne reste deux ans d’affilée là-bas. C’est donc essentiellement sur la relève que s’opérera le renforcement de la vigilance contre les violences sexistes.
On notera seulement, coïncidence malheureuse, que la page d’ouverture du groupe Facebook des TAAF affichait hier encore une photo d’archives (datant de 1963) sur laquelle on voit un hivernant en train d’enlacer la silhouette en bois d’un mannequin sexy. La mixité n’a été instaurée qu’en 1994 pour les hivernants. Jusque-là, les femmes ne pouvaient venir à Crozet, Amsterdam ou Kerguelen que pour quelques mois, durant la campagne d’été.
Un plan d’actions en construction
« Ce groupe Facebook n’est pas géré par nos services », nous a précisé hier Armelle Piccoz, directrice de cabinet de la préfète des TAAF. Elle vient d’être désignée référente pour lutter contre le harcèlement sur les TAAF. C’est donc à elle qu’échoit la mission de mettre en œuvre le plan d’actions provoqué par le courrier d’alerte du 19 décembre.
Pas question de répondre à toute question sur ce qui s’est passé et ce qui se passe actuellement dans les TAAF car « le dossier est en cours d’instruction ». En revanche, Armelle Piccoz assure que le sujet n’est pas une surprise. « Depuis de nombreuses années des mesures sont prises avant le départ des recrutés. Le sujet des rapports hommes/femmes est systématiquement abordé. Tous les cas signalés sont remontés jusqu’au siège et il y a un traitement adapté. »
Devenue référente sur le sujet du harcèlement, elle se rendra en avril sur les sites avec un ordre de mission qui s’articule autour d’une prévention renforcée au recrutement et dans les bases, de la refonte des grilles d’entretien psychologique, d’une amélioration du processus de signalement des cas, du traitement administratif et judiciaire des cas. Selon elle, la concertation a déjà commencé à distance, « de façon très constructive ». Des groupes d’échanges seront constitués en février.
Un sondage sera lancé en s’appuyant sur l’expérience du « baromètre du harcèlement au travail » mis en place par le ministère de l’Intérieur en novembre dernier. « Cet outil mesure la perception des personnels sur les questions du harcèlement et nous aidera à évaluer nos actions », conclut Armelle Piccoz.
Franck Cellier