Trois kazes ont été démolies ce jeudi 24 juillet dans le quartier de La Colline – Bas de la Rivière à Saint‑Denis. Jugées à risque après les cyclones Bélal et Garance, elles ont été détruites par la Ville et la Préfecture. Une intervention présentée comme nécessaire et humaine. Mais sur le terrain, des familles ont vu s’effondrer plus que leurs murs.
Une procédure enclenchée dans l’urgence post‑cyclonique
La Ville de Saint‑Denis et la Préfecture de La Réunion ont procédé à la démolition de trois habitations situées en zone rouge. Construites « sans droit ni titre » sur un terrain communal, ces maisons ont été fragilisées par les cyclones. Selon les autorités, elles menaçaient de s’effondrer à tout moment et leur démolition était devenue « indispensable pour protéger la vie de leurs occupants ».
« Dans ce dossier délicat où il est question de risque pour la vie humaine, la position de l’État aux côtés de la Ville n’a jamais varié. (…) Je tiens à rappeler qu’une des cases jugées à risque par le BRGM après le cyclone BELAL a été purement et simplement balayée par le cyclone GARANCE » explique le préfet Patrice Latron qui justifie l’opération par l’imminence du danger.
L’expertise du BRGM (Bureau de recherches géologiques et minières), commandée après Bélal et confirmée après Garance, est invoquée : les habitations sont « sous-cavées », leurs fondations fragilisées, le risque d’effondrement qualifié de « grave et imminent ».
Transparence revendiquée, mais contestée sur le terrain
Pour prévenir les critiques, les autorités mettent en avant une procédure rigoureuse et transparente. Trois réunions publiques ont été organisées entre mars et avril 2025 pour expliquer les conclusions du BRGM. Une phase contradictoire a été engagée en juillet.
Le 2 juillet, une notification officielle proposant une phase contradictoire a été signifiée par huissier à chaque famille. Le 18 juillet, l’arrêté de péril a été signifié, également par huissier.
Trois conférences de presse ont eu lieu, un bâtiment communal a été détruit pour éviter toute occupation. « Nous avons agi avec humanité, méthode et fermeté, avec les services de l’État. Ce que nous faisons ici, nous le faisons pour protéger. Protéger parfois aussi des personnes contre elles-mêmes, lorsqu’elles ne prennent pas conscience du danger » insiste madame le maire Ericka Bareigts.
Témoignages des familles : colère et incompréhension
Derrière les protocoles, des témoignages recueillis dans le quartier décrivent une souffrance profonde.
« La moindre des choses, c’est de dialoguer avec les familles… soi-disant qu’ils sont là pour protéger les habitants. Finalement on constate une drôle de protection », confie un proche d’une des familles.
« J’étais sur un chantier quand le voisin m’a appelé pour me dire que ma maison était détruite. Je travaille, j’arrive en catastrophe, et il n’y a plus rien », explique Lorenzo Dijoux. Il refuse l’offre de logement social et lance : « Qu’on nous aide à acheter une maison ».
D’autres habitant·e·s évoquent l’absence de travaux d’endiguement pourtant promis :
« On a toujours demandé un endiguement, un enrochement et non la démolition de l’habitation », regrettent-ils.
La zone est classée en zone rouge depuis 2000, mais environ 55 familles y vivent encore, malgré la menace persistante.
Partir, c’est quitter ses repères
Du côté de la Ville, on revendique un accompagnement renforcé et individualisé. Chaque foyer a reçu « au moins trois offres concrètes », des logements meublés ont été mobilisés, avec appui associatif (ESF) et aide sociale (psychologique, administrative, dons).
Cependant, « une dernière famille n’a pas encore souhaité donner suite aux propositions, mais son logement reste à sa disposition, et la main demeure tendue. Les clés sont disponibles à tout moment, par l’intermédiaire de l’étude d’huissier » précise la mairie de Saint-Denis.
Cette résistance illustre l’attachement des familles à leur lieu de vie, souvent transmis de génération en génération. Partir, c’est quitter ses repères, sa communauté, son histoire.
Une aide exceptionnelle…
La Ville indique aider les familles à constituer leur dossier pour bénéficier du fonds Letchimy, dispositif d’indemnisation exceptionnelle pour les occupants sans titre d’habitation en zone à risque grave. Des estimations ont été réalisées « pour permettre aux familles de bénéficier d’une cotation la plus favorable possible ».
Le Fonds Letchimy, une solution d’urgence pour les oubliés du droit
Créé en 2022, le Fonds Letchimy vise à indemniser les familles occupant un logement sans droit ni titre, menacé par un risque naturel majeur. Financé par l’État et géré par l’Agence nationale de la cohésion des territoires, il peut couvrir tout ou partie de la valeur estimée du logement détruit pour faciliter le relogement ou l’accès à un logement social. Mais son activation demande des expertises techniques et un accompagnement social long.
Protéger tout en détruisant
À La Colline, les expertises techniques et les alertes cycloniques justifient l’urgence. Pourtant l’opération révèle une méthode réactive où, en finalité, la destruction prévaut sur la prévention. Les discours de protection ne sauraient masquer le poids de l’expulsion.
La maire rappelle : « Ce que nous faisons ici, nous le faisons pour protéger ». Même si la protection des personnes reste un impératif, il paraît indispensable que chaque famille concernée se voit offrir les moyens de rester digne et entendue.
Jean Fauconnet
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