Mise à l'abri partielle de demandeurs d'asile organisée par la préfecture de Mayotte.

A Mayotte, la préfecture choisit la répression plutôt que l’accompagnement des jeunes auteurs de violences

DÉCRYPTAGE

Dans son dernier communiqué, la préfecture de Mayotte revient sur les violences scolaires des dernières semaines et sanctionne les auteurs. En choisissant de retirer leur titre de séjour aux parents, le préfet renforce une politique répressive au détriment d’une politique plus sociale. 

Ce jeudi 13 mars, la préfecture de Mayotte, poste trois photos sur son compte Instagram prefet976 avec le texte suivant: « #sécurité #sanctions Ce matin, les familles de dix mineurs auteurs de violences en milieu scolaire ont été convoqués à la mairie de Dembéni et à la préfecture à Mamoudzou. La réponse à ces violences est ferme: le préfet de Mayotte a ainsi notifié aux parents de ces mineurs leur procédure de dégradation et de retrait de titre de séjour. Les mineurs feront également l’objet de sanctions scolaires ».

Droit dérogatoire à Mayotte

C’est en septembre 2020 que la préfecture de Mayotte a commencé à brandir la menace du retrait de titre de séjour pour les parents d’enfants mineurs impliqués dans des violences. A cette époque, le préfet Jean François Colombet, déclare qu’il « réunira la commission des titres de séjour pour regarder si nous suspendons ou supprimons les titres de séjour de ceux qui n’auront pas rempli leurs devoirs à l’égard de leurs enfants ». 

Officiellement, cette mesure est alors présentée comme une réponse aux violences commises par des mineurs, sans qu’aucun texte de loi ne prévoit explicitement le retrait du titre de séjour d’un parent en raison des actes de son enfant. 

Le Code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile (CESEDA), notamment les articles R.311-14 et suivants, définit les conditions d’octroi, de renouvellement et de retrait des titres de séjour, mais ne mentionne jamais la possibilité de sanctionner un représentant légal pour les faits commis par un mineur. 

Pourtant, déjà à l’époque, le préfet considérait que l’on parle là d’un acte administratif délivré par la préfecture, et qu’elle peut le retirer si les conditions n’en sont pas respectées par l’usager : « Je considère que des parents qui laissent aller leurs enfants en pleine nuit pour projeter des cocktails Molotov et des cailloux, manquent à leur contrat social. »

Une vision très éloignée du droit qui nous dit que le titre de séjour peut être retiré à une personne mais seulement dans des cas très spécifiques de délits et crimes définis dans le Code pénal. Néanmoins, Mayotte a toujours été un laboratoire de la lutte contre l’immigration irrégulière et dans ce cadre-là, a toujours fait l’objet d’une application dérogatoire du droit français.

Dès 2014, dans un projet d’ordonnance pour l’application du CESEDA à Mayotte, le rapporteur explique que « ces différences par rapport au droit commun découlent principalement de la volonté de dissuader autant que possible l’immigration irrégulière, notamment de mineurs, en provenance essentiellement des Comores ». 

Caricature de l’ordre colonial

Si le retrait de titre de séjour des parents d’enfants mineurs auteur de délits n’est pas nouveau sur le 101e département français, ce qui est nouveau c’est la communication aussi directe de la préfecture sur le sujet. Dans ce post, les parents et les enfants sont photographiés alors qu’ils se font sermonner par le préfet. On est  dans la caricature de l’ordre colonial: le Muzungu qui sermonne le local. 

Avec cette communication, la préfecture rappelle la place qu’elle occupe ainsi que la toute puissance du préfet, François-Xavier Bieuville, qui peut décider, seul, et du jour au lendemain, de retirer le titre de séjour d’un individu sans qu’aucun garde-fou ne puisse lui être opposé. 

Une politique de la répression et de la peur qui rejette toute idée d’un accompagnement social des jeunes auteurs de délits pour tenter de comprendre et d’endiguer le phénomène des violences sur l’île. Une sanction qui crée instantanément une situation d’irrégularité. L’individu, par la notification du préfet, redevient un étranger et retrouve alors les craintes liées à la précarité de son statut administratif. 

Avec sa sanction, le préfet va plus loin qu’une simple sanction administrative. En déclarant qu’ « un travail est également en cours avec la caisse de sécurité sociale de Mayotte (CSSM) afin darrêter les modalités de suspension temporaire des versements sociaux aux parents des mineurs auteurs dacte de délinquance », le préfet sanctionne socialement ces familles. Cette décision, au lieu d’apporter une solution, ne fait que renforcer les mécanismes d’oppression et d’exclusion qui favorisent les comportements violents d’une partie de la jeunesse mahoraise. 

Selon Nicolas Roinsard, sociologue et auteur de plusieurs articles et ouvrages sur Mayotte, « les violences sont la conséquence de logiques cumulées de survie économique, de lutte contre l’oisiveté, de tension sociale et de déscolarisation ». Autant de problématiques auxquelles l’Etat ne répond pas en adoptant une posture répressive. 

Confirmation d’une politique migratoire durcie

Depuis le début de l’année, cette politique répressive ne cesse de faire des émules et s’est étendu au territoire réunionnais avec lorsque le 25 janvier, le préfet Patrice Lafon déclarait que « si le gamin est un trouble-fête, s’il se distingue par la délinquance, je serais amené à supprimer ou dégrader le titre de séjour de ses parents » en marge d’une opération « coup de poing » dans le quartier du Moufia à Saint-Denis. 

En janvier 2024, cette fois dans l’hexagone, c’est le préfet du Bas-Rhin qui a envoyé un courrier aux parents d’enfants auteurs de délits et leur a rappelé leur responsabilité ainsi que leur obligations parentales. Mais concernant les parents étrangers, il va plus loin et les menace dans son courrier de revenir sur l’octroi de leur titre de séjour dans le cas d’une récidive. 

Une démarche qui a été suivie par d’autres représentants de l’Etat sur le territoire hexagonal et qui a été salué officieusement par le ministre de l’Intérieur. Dans son entourage, on considère que « la répression est la meilleure des préventions ».

Cette sanction de la préfecture et la communication faite autour, ne sortent  pas de nulle part et interviennent dans un climat national où les questionnements autour de l’immigration reviennent fréquemment. Le 23 janvier 2025, la circulaire Retailleau, qui fait suite à l’entrée en vigueur de la nouvelle loi immigration, tend à durcir les conditions d’accès au dispositif d’admission exceptionnelle au séjour en précisant que « la lutte contre l’immigration irrégulière » constitue une des priorité du Gouvernement. 

Dans le même temps, on ne cesse de discuter d’une suppression du droit du sol à Mayotte et certains vont même jusqu’à proposer d’étendre cette doctrine à l’ensemble du territoire. Une proposition de loi a d’ailleurs été votée le 6 février dernier pour durcir le droit du sol à Mayotte. Une proposition soutenue par le centre, la droite et l’extrême droite. 

Les Républicains se sont d’ailleurs félicité qu’un texte de cette ampleur soit voté avec néanmoins quelques craintes quant à une possible censure par le Conseil constitutionnel au vu de la dureté du texte. 

Mais le ver est dans la pomme. Que ce soit à Mayotte ou sur le reste du territoire national, on ne cesse d’observer un durcissement des règles relatives aux droits des personnes étrangères qui va de pair avec une multiplication des comportements violents envers ces même publics. 

Olivier Ceccaldi

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