Pour produire de l’électricité, Albioma a-t-il brûlé du bois issu de la déforestation ? Pour mettre fin au doute, la direction se déclare désormais intraitable sur la traçabilité du carburant de ses chaudières et a même refoulé une cargaison douteuse.
Transition écologique oblige, la France a renoncé à faire brûler du charbon pour produire de l’énergie. A La Réunion, les chaudières du Gol et de Bois-Rouge, gérées par Albioma, ont donc dû remplacer le charbon par du bois durant ces trois dernières années. Cette transition vers une biomasse a priori renouvelable est-elle aussi écologique qu’annoncée ? Qu’est-ce qui nous garantit que les pellets de bois importés à La Réunion ne participent pas à la déforestation de certains pays ? Nous avons posé la question au directeur d’Albioma.
Geoffroy Mercier reconnaît que cette transition, qui a coûté pas moins de 300 M€, ne s’est pas faite sans difficultés. Pressé de respecter les directives européennes sur la durabilité des forêts d’approvisionnement, Albioma affirme même avoir dû refouler une cargaison en provenance d’Asie, sans préciser la date ou la provenance exacte de ces pellets ne respectant pas l’éthique exigée.
En décembre 2021, au tout début de la transition, l’ONG Biofuelwatch, avait épinglé Albioma pour s’être fourni auprès de la société américaine Enviva. Celle-ci, présentée comme le plus grand producteur mondial de pellets, est accusée d’appauvrir des forêts riches en biodiversité pour les remplacer par des plantations de pins en monoculture, plus de 50% de ses usines contrevenaient à la loi américaine sur la qualité de l’air et la pollution générée affectait plus particulièrement les zones où vivaient des communautés noires et défavorisées.
Doutes sur les forêts du Vietnam
Plus récemment, Argus, qui se présente comme le « principal fournisseur indépendant d’informations sur les marchés mondiaux de l’énergie et des matières premières », relevait une exportation de 27 000 tonnes de pellets du Vietnam, « probablement destinés à Albioma ». Or les enquêtes du FSC — Le Forest Stewardship Council garantit que les produits forestiers (bois, papier, pellets, etc.) proviennent de forêts gérées de manière responsable, sur les plans environnemental, social et économique— ont révélé des fraudes sur les certifications vietnamiennes attestant un risque élevé sur la traçabilité.
En tout cas, la direction régionale d’Albioma assure être désormais intransigeante sur la traçabilité de son carburant. « À partir du moment où on a un doute sur la cargaison de pellets, elle est refoulée. Et le fournisseur est blacklisté », déclare Geoffroy Mercier.
Reste que le pellet, nouveau venu dans l’univers des centrales thermiques, questionne l’ambition d’atteindre le « zéro émission de carbone ». Brûler du bois émet autant voire plus de CO2 que le charbon dont le potentiel énergétique est deux fois plus élevé. Mais, en prenant le processus dans son ensemble (de l’extraction minière à la production d’électricité) Geoffroy Mercier explique : « On a une réduction d’empreinte carbone de l’ordre de 85 %, donc ça c’est plutôt très bon. On cherche toujours à réduire l’empreinte carbone. »
Peu ou pas de ressource bois à La Réunion
Cela passe par trois leviers principaux : d’abord la fabrication du pellet, ensuite le transport maritime, et enfin le transport terrestre. « On essaie de le faire venir de pays où l’électricité est décarbonée. Notamment d’Australie (Albioma a acquis une usine en 2023 à Tuan dans le Queensland et projette d’en construire une autre à Mount Gambier, Australie méridionale), où on a une bonne traçabilité du produit et une électricité qui est plutôt bien décarbonée. » En mars, Albioma a aussi testé des bateaux fonctionnant au B24, « un biocarburant ». Un test au biodiesel est prévu pour 2026 sur le transport terrestre.
En revanche, il ne faut pas trop espérer développer un « marché court » du pellet. La production de biomasse locale se limite à la bagasse, dont la production est plutôt à la baisse. Elle se situe entre 300 000 t et 400 000 t par an, comparées aux quelque 800 000 t de pellets brûlés dans les centrales de Bois-Rouge et du Gol. Les forêts réunionnaises ne sont pas pratiques pour produire des pellets. Heureusement, pourrait-on dire…
2 000 tonnes de bois brûlées par jour
Quant aux déchets verts, leur teneur en chlorophylle les rend impropre à la combustion, selon Albioma : ça endommagerait les chaudières. Seuls les CSR, fabriqués à partir des déchets ménagers viendront s’ajouter au bois et à la bagasse : 70 000 tonnes attendues par an à partir d’octobre 2026.
Albioma étudie également des approvisionnements en pellets plus proches : l’Afrique du Sud et/ou Madagascar. Mais Geoffroy Mercier prévient : « On ne veut travailler qu’avec des gens sérieux, et même très sérieux. Mais Madagascar et l’Afrique du Sud c’est quand même compliqué. On ne peut pas s’aventurer et rompre la confiance de nos partenaires en allant dans des pays touchés par la déforestation où les filières ne sont pas sûres et où il y a des problèmes de corruption. »
Même si ce n’est pas du « zéro émission de CO2 », les pellets importés ont de beaux jours devant eux à La Réunion qui en brûle déjà plus de 2 000 tonnes par jour en moyenne. Soit, pour Albioma, une puissance de production bien plus forte que les projets de centrales photovoltaïques, limités par la rareté du foncier, et celui de géothermie profonde dans le cirque de Salazie, vers Camp Pierrot. La première centrale géothermique pourrait produire ses premiers watts dans 6 ou 7 ans pour une puissance modeste d’environ 10MW, à comparer au 100MW des chaudières du Gol et de Bois-Rouge.
Franck Cellier
À suivre, publiée ce lundi 7 juillet à 12h00, la visite de la centrale thermique du Gol.
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