[Alexis Chaussalet] Trublion défait mais pas vaincu

PORTRAIT

Alexis Chaussalet n’a pas réussi à empêcher l’élection du premier député réunionnais d’extrême-droite. Son parcours est pourtant l’un des plus remarquables de la séance politique que nous vivons. Histoire d’un vaincu qui ne se l’avoue jamais.

La France vient de vivre des élections historiques avec une dissolution psychodramatique, le spectre de l’extrême-droite au pouvoir et le rebondissement salutaire d’un front républicain entre les deux tours. A la sortie de cette tempête politique, on pourrait retenir que La Réunion a envoyé son 1er député du Rassemblement National à l’Assemblée. 

C’était dans la 3e circonscription dominée par la très droitière ville du Tampon. En fait, la victoire de Joseph Rivière, employé de longue date d’André Thien Ah Koon et porté par l’appareil municipal, était attendue, voire inéluctable dans le contexte particulier de cette élection. Mais elle cache un autre événement qui pourrait se révéler plus durable, plus marquant pour La Réunion : l’émergence de l’encore jeune Alexis Chaussalet (31 ans).

Malgré l’adversité Alexis Chaussalet a mené une campagne active.

Il était déjà passé à 50 voix de la qualification pour le second tour de l’élection législative de 2022. Cette fois-ci il échoue d’un rien avec 48,6 %des voix au second tour. Résilient dans l’adversité, le seul candidat défait du front populaire ne laisse personne indifférent. Même à droite, on reconnaît son talent. « Ça fait mal de le reconnaître, mais ce gamin est ce qui nous manque », a-t-on entendu dans les rangs gaullistes….

Fondateur de l’UNL-Réunion (Union nationale des lycéens)

Depuis son retour à La Réunion, pendant la période Covid, Alexis Chaussalet s’est fait une petite place dans le personnel politique de la gauche réunionnaise, version Bello. Il a été l’attaché parlementaire de Karine Lebon lorsque celle-ci a succédé à Huguette Bello à l’Assemblée nationale en 2021. Le choix s’est vite porté sur lui qui est l’un des rares jeunes réunionnais de gauche diplômé de sciences-po.

Le candidat entouré d’Huguette Bello et Graziella Leveneur.

Aujourd’hui, il est l’attaché de groupe de la majorité régionale et pointe dans un petit bureau de Pierrefonds. Ne voir en lui qu’un conseiller zélé, apparatchik au profil de premier de la classe serait méconnaître la nature profonde de sa motivation. Il conjugue son sourire charmant à sa forte gueule et son caractère de frondeur. Il n’a pas froid aux yeux et ça vient de loin…

Dès ces années lycées, à Roland-Garros, en 2008, il apparaît en tête des manifestations lycéennes contre les réformes libérales et les réductions d’effectifs. Un cône de signalisation en guise de porte-voix, un tee-shirt à l’effigie de Che Guevara, et une tignasse lui tombant sur les épaules, c’était un rebelle qui venait de monter l’Union nationale lycéenne (UNL) à La Réunion.

Ne jamais s’habituer à l’injustice

Il était le fils de la pharmacienne de Pont-d’Yves et d’un papa cuisinier. Tous les deux votaient à droite. Rien ne le prédisposait à devenir gauchiste sauf, peut-être ses grandes soeurs Mélissa et Leslie. « J’ai fait ma première manif quand j’étais encore au collège. Ma soeur était étudiante à Paris 8, j’étais en vacances et c’était contre le CPE de Villepin », se souvient-il.

En creusant plus profondément dans le passé, il accompagnait sa mère qui livrait des médicaments à des familles vivant dans la misère. « Je revois M. et Mme Vingadassalom qui habitaient dans une case de Ravine des Cabris avec le sol en terre battue. Je me rappelle de ça comme les débuts de ma révolte. Ma mère me disait de ne jamais m’habituer à l’injustice. » 

Devenu leader syndical lycéen, il est allé au-delà de ce conseil en luttant activement contre toutes formes d’injustice et en mobilisant ses camarades pour aller manifester. L’UNL s’implante alors dans 41 établissements. Le jeune Chaussalet est vite repéré par les responsables politiques et syndiqués du fait de ses prises de parole et son aptitude à galvaniser les manifestants.

Trois gardes-à-vue

D’un côté, il est reconnu pour son engagement lycéen et citoyen. Il fait partie du conseil municipal des jeunes du Tampons dont le maire s’appelle alors Didier Robert. D’un autre côté, allant au devant des forces de l’ordre et des officiels, jusqu’à la limite de l’affrontement, il est aussi rapidement fiché par les Renseignements généraux. « J’étais une grande gueule. Je jouais à la marge et j’agaçais les flics . »

Ce qui lui vaut trois gardes-à-vue à considérer comme les trois premiers galons de sa carrière militante. Il est en seconde pour la première d’entre elles. A l’issue d’une réunion d’organisation sur le front de mer de Saint-Pierre, des policiers en mission de surveillance l’interpelle avec deux autres lycéens au prétexte que l’un d’entre eux avait sorti un joint. « Jamais la moindre infraction n’a pu être retenu contre moi mais ils voulaient m’humilier, m’impressionner. Dans le commissariat, ils montraient des vidéos de moi en se vantant d’avoir chopé ce petit con. Ils ont dit à mon père que j’étais un fumeur de joints dépravé… Moi qui n’avais fait que manifester pour mon petit droit démocratique, ça m’a radicalisé. »

La deuxième garde-à-vue intervient en 2010 lors d’une visite de deux jours du président Nicolas Sarkozy. Alexis Chaussalet est d’abord arrêté alors qu’il se rend à l’aéroport. « Ils m’insultent et me maltraite devant mon père, sa voiture est fouillée de fond en comble. C’est le jour où il a arrêté de voter à droite ». Le lendemain, craignant une action démonstrative du « trublion »  lors de la visite du Parc des Palmiers au Tampon, les policiers l’attrapent. « Ils m’ont jeté dans le dépôt d’une quincaillerie désaffectée entouré de deux camions de CRS venus de métropole. J’étais seul assis par terre pendant trois heures alors qu’en fait, je voulais juste remettre une lettre à Sarkozy pour protester contre ma première garde-à-vue. »

De la gauche aux indépendantistes

La troisième garde-à-vue, en 2011, fait suite à la « une » d’un journal titrant « la pression monte » à propos de manifestations syndicales et lycéennes contre les suppressions de postes. « On nous voyait en photo en train de déplacer des poubelles alors que des gendarmes tentaient de nous expulser. Les gendarmes ont débarqué à 6h du matin. Nous étions trois jeunes en garde-à-vue. Ils m’ont demandé de me déshabiller et m’ont passé les menottes. 200 à 300 personnes sont venus manifester pour demander ma libération. Il y avait Gélita Hoarau (ex-sénatrice), Huguette Bello (alors députée), les profs du lycée… » Résultat : les griefs d’entrave à la circulation, d’outrage à agent et de vol en réunion (pour avoir fait une barricade avec des bidons de chantier) se sont évaporés en un coup de fil du commandant de la gendarmerie demandant de libérer les trois manifestants.

« J’étais une grande gueule. Je jouais à la marge et j’agaçais les flics . »

Alexis Chaussalet baigne alors dans les milieux politiques de gauche : de Jean-Jacques Vlody (PS) à Elie Hoarau (secrétaire général du PCR) ou Huguette Bello. Il fréquente les cercles plus radicaux du NPA (Nouveau parti anticapitaliste) de Lutte ouvrière et la frange indépendantiste de Nasyon Réyoné d’Aniel Boyer.

Mais, bac en poche,  il quitte La Réunion pour intégrer Sciences-Po Aix en septembre 2011. Soient cinq ans d’études dont une année passée au Mexique à proximité de la défense des peuples indigènes par le mouvement zapatiste. En 2016, il effectue son stage de fin d’études à Attac (Association pour la taxation des transactions financières et pour l’action citoyenne) en qualité de coordinateur « couteau suisse ».

Gîteur et cuisinier

Le voilà au carrefour des mouvements sociaux et des partis politique de gauche. Il coordonne les campagnes du collectif Stop TAFTA contre les accords de libre échange avec les Etats-Unis et le Canada, assure les relations avec les médias, imagine des slogans, colle des affiches, Il discute avec les euro-députés à Bruxelles ou placarde des autocollants sur les devantures des banques à Paris. « Je gagne moins de 2000 € net mais c’est gratifiant, passionnant. Je suis à fond dans ma vie militante ».

Il aurait pu, comme sa collègue Aurélie Trouvé, porte-parole d’Attac de 2016 à 2021, prendre le wagon de la relève de La France Insoumise. La voie était tracée. Mais l’épidémie mondiale de Covid et un besoin existentiel de retrouver ses racines réunionnaises le font bifurquer. Il est en vacances à La Réunion quand débute le confinement. « J’ai vu beaucoup de militants se griller dans leurs luttes et me suis dit qu’il fallait me reconnecter au local, à la terre, à ma passion pour la cuisine. Billes en tête, j’ai monté un gîte avec un couple d’amis pour en faire un lieu culturel : la Bulle verte ».

« En même temps », il assure le job d’attaché parlementaire de Karine Lebon, à mi-temps. Sauf que la notion de temps partiel relève de la pure théorie. Son cerveau doit en fait jongler en permanence entre le baba-figue à trouver pour cuisiner selon la tradition de sa grand-mère  et les notes d’un projet d’amendement. Et puis, dès qu’il y a une manifestation, il en est. Il scande toujours aussi fort ses slogans contre le libéralisme ou la malbouffe.

Faire sa place à LFI

Dans cette quête d’un équilibre entre militantisme et retour à la terre, Alexis Chaussalet rappelle à ses anciens camarades l’énergie des manifs d’il y a dix ans. Il réconcilie les syndicalistes égarés dans leurs querelles internes. Il apporte du « liant » là où les luttes sociales s’étaient fracassées de déceptions en divisions. Après le brouillard du soulèvement des Gilets jaunes ou des manifs contre le pass sanitaire, un impérieux besoin de clarté politique se fait sentir.

Lui qui travaille intérieurement pour éviter le « surinvestissement militant » n’échappe pas à l’attraction du pouvoir. Il se sent obligé de représenter la gauche radicale dans sa circonscription lors de l’élection législative de juin 2022. Vocation ? Ambition ? Mission ? Destin ? On pourrait épiloguer des heures sur ses motivations. Le fait est qu’il s’impose en interne à LFI, au prix de discussions houleuses, face à d’autres prétendants comme Rémi Bourgogne ou Virginie Grondin. Et surtout que la mayonnaise prend. 

Pendant toute la campagne, Alexis Chaussalet tenait une réunion chaque soir.

En fait, il rate de peu le second tour en 2022 (51 voix derrière Nathalie Bassire qui est élue députée). Après s’être beaucoup investi dans la campagne des élections européennes, il est le candidat incontesté après la dissolution de l’Assemblée et réalise un score inespéré le 7 juillet dernier. Il réveille la gauche dans un territoire acquis de longue date à la droite et à la dynastie Thien Ah Koon (hormis l’exception de Jean-Jacques Vlody dans les années 2010). 

Plus militant que politique

Dans une Réunion qui se cherche de nouvelles personnalités politiques, le « petit con » — aux yeux des policiers qui le gardaient à vue — s’est fait un nom, une popularité, presque une notabilité. Bien que défait, le soir du 7 juillet, il avait autour de lui deux cents camarades motivés quand le vainqueur n’était entouré que d’une poignée d’agents de la mairie dont le chauffeur du maire.

Jusqu’alors, il s’est singularisé en apparaissant plus mitant que politique. Il amène avec lui des supporters séduits par l’action mais « qui n’ont pas envie de se farcir des heures de réunion avec des vieux qui racontent toujours leurs même histoires ». Il ne veut pas que l’on retienne qu’Alexis Chaussalet est le seul candidat de gauche à ne pas avoir réussi à barrer la route à un député RN.

Ça le rend triste. Il accuse le coup, y compris les coups fourrés. Il sait la dureté des combats et les manoeuvres politiciennes. Il énumère tous les « parasitages » et lance : « Ils ont réussi un truc, c’est me motiver à aller me battre à chaque fois ». 

Franck Cellier

A propos de l'auteur

Franck Cellier | Journaliste

Journaliste d’investigation, Franck Cellier a passé trente ans de sa carrière au Quotidien de la Réunion après un court passage au journal Témoignages à ses débuts. Ses reportages l’ont amené dans l’ensemble des îles de l’océan Indien ainsi que dans tous les recoins de La Réunion. Il porte un regard critique et pointu sur la politique et la société réunionnaise. Très attaché à la liberté d’expression et à l’indépendance, il entend défendre avec force ces valeurs au sein d’un média engagé et solidaire, Parallèle Sud.

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