LIBRE EXPRESSION
Personne ne peut aujourd’hui nier que la départementalisation a permis au peuple réunionnais de bénéficier d’une élévation de son niveau de vie et de l’amélioration de ses conditions d’existence. Pas plus, qu’on ne saurait contester que l’accès à l’éducation, à la santé, au logement, l’amélioration des infrastructures et équipements de tous ordres… sont autant de facteurs qui ont permis un réel progrès social et économique dans nout péi.
Mais peu nombreux, en revanche, sont ceux qui reconnaissent que derrière «la vitrine de l’Océan Indien » se cache un ordonnancement postcolonial maintenu par ce même statut départemental et adossé à divers systèmes de domination et d’assimilation qui sont la négation même de tous les droits attachés à une citoyenneté véritable, pourtant proclamée dans les textes fondateurs de la République.
La Réunion est aussi une « île intense » de ses souffrances : celles générées par la pauvreté qui frappe durement plus de 300 000 (37%) de nos compatriotes ; celles créées par un chômage endémique (180 000 personnes dans le halo du chômage) et l’illettrisme (115 000 Réunionais.es soit 21%) avec pour horizon indépassable une précarité institutionnalisée ; celles nourries par les discriminations et inégalités intolérables sur un si petit territoire ; celles prenant leur source dans un mal-être identitaire généralisé qui se traduit par des fléaux sociaux et de santé publique destructeurs du tissu social réunionnais ; et tant d’autres encore liées aux urgences sociales, économiques, climatiques… que subissent quotidiennement les Réunionnais.es.
Considérant que l’Etat français persiste dans son refus de donner à notre identité plurielle – nout kalité rényoné – la place qui lui revient de droit dans nout péi et au sein de la République française et que l’objectif de cette politique de déni de notre langue maternelle et de falsification de l’Histoire et des mémoires réunionnaises est clair : casser l’être et le penser réunionnais, invalider nos pouvoirs, oblitérer notre avenir et de fait, empêcher l’émancipation de notre peuple ;
Considérant dans notre contexte postcolonial, les centres décisionnels parisiens relayés à la Réunion par de puissants lobbies métropolitains et créolopolitains, sûrs d’eux, arrogants et dominateurs imposent aux Réunionnais.es leur vision néolibérale du monde et un développement exogène fondé sur une économie de comptoir où, perfusés par conteneurs entiers, nous sommes réduits au statut de machines à consommer ce que nous pourrions en partie produire ici et maintenant ;
Considérant que les politiciens de tout bord – dits « de Droite » comme « de Gauche » – sont d’accord sur l’essentiel : conserver le pouvoir en maintenant le modèle franco-français, les monopoles divers et le corset statutaire et ce, en persistant dans le clientélisme électoral et bientôt ethnique, l’instrumentalisation du ressentiment, des peurs et de la désespérance, lesquels participent au maintien d’une politique d’infantilisation et du ventre dont l’amendement Virapoullé (article 73.5 de la constitution) est le symbole ;
Considérant que la marchandisation de la terre réunionnaise, porteuse de projets écocidaires labellisés « goyave de France », transforme peu à peu nout zarlor en vaste parc d’attractions où nous sommes conviés à jouer le rôle de figurants et que par ailleurs, la spéculation immobilière effrénée et une gentrification galopante nous condamnent à n’être que des locataires ou des ultra périphériques sur notre propre terre ;
Considérant que le résultat des élections présidentielles de Mai 2022 nous raconte un péi « bato fou » sans boussole ni cap, aux cales remplies à ras bord de ses aliénations et dépendances, balloté au gré des alternances sur un océan de promesses sans lendemain et prêt, hier et peut-être demain, à confier la barre aux tenants de la haine et du racisme ;
Considérant enfin que les valeurs civilisationnelles créoles – si bien incarnées dans le concept de Batarsité ! – portées par un peuple qui s’est construit dans et par l’altérité tout au long d’une Histoire douloureuse sont menacées et qu’il nous faut donc sans attendre assumer pleinement nos responsabilités pour écrire une nouvelle page du récit réunionnais dans le respect des combats menés par les générations précédentes ;
Nous affirmons que persister dans la voie de la dépendance, c’est faire fi de la dignité du peuple réunionnais, insulter son avenir et le mettre hors-jeu de l’Histoire du monde ; c’est aussi invalider l’intelligence, les compétences, les savoir-faire d’une nouvelle génération de Réunionnais.es qui souhaitent participer pleinement à la construction et au développement de leur péi ; c’est enfin mettre en danger ce « Viv an rényoné » qui nous fait peuple quand bien même il est encore profondément marqué par la mémoire de l’esclavage et la question coloniale.
Conscients de l’attachement profond des Réunionnais.es à la République française et pour éviter le chantage au largage et/ou l’hystérisation des débats autour de la question de l’Autonomie, nous voulons être clairs et insistants sur le point suivant :
Notre projet et nos propositions d’évolution statutaire ne se conçoivent que dans le cadre de la République française et par conséquent, l’indépendance de la Réunion n’est pas une option envisagée ou programmée an misouk par le Parti Rényoné.
Au terme de notre analyse sur la situation de nout péi, nous avons donc acté le socle suivant :
– l’autonomie la plus large dans le cadre de la République française : les statuts de la Polynésie française et ceux de la Corse nous paraissent constituer d’excellentes bases de travail car ils offrent un panel de compétences, notamment avec les Lois de pays, qui répondent parfaitement aux problèmes systémiques posés dans nout péi;
– un projet réunionnais, seul capable de donner du sens à l’action politique et de moiliser toutes les énergies, visant à placer les Réunionnais.es et tous ceux qui partagent notre communauté de destin, au cœur des processus de décision affectant le développement humain, économique, social et culturel de leur péi ;
– une méthode de démocratie participative avec laquelle toutes les forces vives du péi seront mobilisées et fédérées autour d’une belle aventure émancipatrice qui a d’ailleurs déjà commencé sur le terrain à travers des projets relatifs à l’autonomie énergétique ou alimentaire.
Il ne peut y avoir de statut réunionnais sans projet réunionnais et réciproquement. C’est pourquoi notre projet global devra nécessairement intégrer les fondamentaux suivants :
– la définition d’un nouveau partenariat fraternel entre la France et la Réunion fondé sur la responsabilité et l’égalité des droits et devoirs étant entendu que l’Etat français conservera l’intégralité de ses fonctions régaliennes. Une démarche identique devra être initiée avec l’Union européenne
– la reconnaissance officielle du peuple réunionnais et de son identité plurielle qui implique notamment l’instauration du bilinguisme créole français, l’intégration de l’Histoire et des Mémoires de la Réunion dans les programmes officiels, la généralisation de l’option Langue et culture réunionnaises dans le cursus scolaire
– les compétences pour la maîtrise du foncier, la protection et la promotion de l’emploi local, l’instauration d’un statut de résident ou de toute mesure nécessaire pour la prise en compte des spécificités réunionnaises ;
– l’octroi à une collectivité réunionnaise autonome d’une compétence diplomatique régionale pour une réelle coopération avec les pays de l’Indianocéanie et une intégration au sein des organisations régionales de cet espace géopolitique ;
– un développement humain, harmonieux fondé sur la solidarité intergénérationnelle et intégrant les valeurs et l’éthique de la civilisation réunionnaise, sanctuarisant les terres agricoles et préservant les richesses patrimoniales et l’environnement de notre péi ;
– une transition écologique vers un modèle endogène « andémik », durable et résilient, innovant et solidaire, qui réponde aux aspirations légitimes et aux préoccupations quotidiennes des Réunionnais.es, notamment la capacité à vivre dignement sur la terre réunionnaise en préservant et valorisant durablement nos ressources locales ;
– la lutte contre toutes les formes de discrimination qu’elles soient socio-économiques, sociétales, culturelles, anthropologiques ou sociologiques (racisme, discriminations physiques ou de genre, ethniques, communautaristes, religieuses…) ;
Notre démarche s’inscrit naturellement dans le cadre des valeurs et principes fondamentaux de la République et de la démocratie mais participe également de l’expression d’une volonté forte d’ouverture maîtrisée au monde sur la base du respect et de la tolérance. Par ailleurs, elle permettra au peuple réunionnais de mener avec tous les autres peuples de la planète les combats essentiels pour la défense des libertés et droits fondamentaux et la préservation du patrimoine commun de l’humanité dont notre Biodiversité.
Sous l’égide de la créolité, Réunionnais.es parmi les Réunionnais.es, c’est avec détermination et ambition que nous souhaitons ouvrir ces voies nouvelles vers une réelle émancipation du peuple réunionnais. En effet, nous sommes tou.te.s, à titre individuel et en tant que citoyen.ne, responsables de l’avenir de nout péi et comptables de ce que nous aurons fait pour les générations futures. Pour assurer ce devoir de transmission, il nous appartient donc de lutter contre nos peurs, nos faiblesses et parfois les divisions qui constituent autant d’obstacles pour prendre en main le destin de nout péi.
Portés par l’héritage de nos ancêtres, soyons fier.ère.s du génie réunionnais
Lèr pou lévé larivé, nou lé paré !
Pour le « PaRé ! », Michaël Crochet, Secrétaire général
Chaque contribution publiée sur le média nous semble répondre aux critères élémentaires de respect des personnes et des communautés. Elle reflète l’opinion de son ou ses signataires, pas forcément celle du comité de lecture de Parallèle Sud.