MAYOTTE
Pendant trois semaines, à l’Entre-Deux, au Tampon et à Saint-Pierre, l’ONG Terra Habilis, le Rotary Club de Pierrefonds, le CCAS de l’Entre-Deux, des entreprises et des dizaines de citoyens se sont mobilisés pour collecter des denrées alimentaires, des produits d’hygiène, du matériel de travaux et de première nécessité. Un premier container a pu quitter le Port en direction de Longoni, à Mayotte, le mercredi 15 janvier, il est arrivé à destination le lundi 20 janvier. Ailleurs sur l’île, d’autres associations ont pris les choses en main pour venir en aide aux voisins mahorais.
Les cartons passent de mains en mains et sont posés énergiquement au fond du container. Rapidement, il faut redescendre l’allée du Verger de la Chapelle, dans le village de l’Entre-Deux, où sont entreposés les produits. Les bénévoles s’activent dans la bonne humeur. Ce lundi, 6 janvier, est le dernier jour d’une intense mobilisation qui s’est initiée spontanément, quelques jours après le passage du cyclone Chido à Mayotte, le 15 décembre 2024.
L’élan de solidarité s’est rapidement étendu sur les réseaux sociaux pour venir en aide aux Mahorais qui ont tout perdu. Christelle, bénévole au sein de l’ONG Terra Habilis océan indien, a créé un groupe sur Whatsapp, elle a ajouté ses ami.e.s emporté.e.s dans le même élan qu’elle. Ceux-ci ont eux-mêmes intégré au groupe leurs propres connaissances et, très vite, la mobilisation s’est mise en marche.
Les Réunionnais se sont organisés en points de collecte : un au Tampon auprès de l’association Cœur de Récré, un à la Ravine des Cabris, et un autre sur le terrain familial de Laurent Fontanaud-Fontaine, le président de l’ONG Terra Habilis. Certaines entreprises ont également participé à l’effort, comme Auchan avec qui travaille déjà Terra Habilis en temps normal, la pharmacie de l’Entre-Deux, le CCAS de la commune, etc.
ONG Terra Habilis, Rotary Club, CCAS, Pharmacie, Auchan…
Les dons sont triés par les bénévoles, sélectionnés, pour n’envoyer que le nécessaire et ne pas envahir les locaux de biens qui ne pourront pas partir dans le container. L’alimentation, les produits d’hygiène sont plébiscités ainsi que du matériel pour la reconstruction. Quelques vêtements ont aussi été récoltés et sont entassés sous un chapiteau.
L’ONG Terra Habilis a fait de la solidarité et du partage un pilier de ses activités. Elle apporte une aide aux personnes qui en ont besoin tout au long de l’année. Elle récupère les invendus des supermarchés et les redistribue aux étudiants sur des actions ciblées, mais aussi à près de 25 familles de l’Entre-Deux. L’ONG est habituée à collaborer avec le Rotary Club de Saint-Pierre/Pierrefonds. Naturellement, le partenariat s’est remis en place, avec des dons en provenance de tout le sud.
« Aujourd’hui, au delà des discours, on voit qui se mobilise réellement. Quand on a de belles valeurs, on ne détourne pas les yeux, et ce n’est pas facile! » soulève le président de Terra Habilis.
Chacun y a mis du sien, même les emballages cartons ont été glanés un peu à gauche à droite, dans une station, un garage, une pharmacie… A travers ces achats de denrées et ces dons en tous genres, c’est aussi un fort soutien moral qu’envoient les personnes qui se sont mobilisées.
4 000 euros pour un container
« A trois semaines du cyclone, on est encore dans l’aide d’urgence », souligne-t-il. Le bateau transportant le container a accosté à Longoni lundi 20 janvier. Sur place, les produits seront réceptionnés et redistribués par les membres du Rotary Club de Mamoudzou avec qui son équipe est en contact. Un moyen de garantir les donateurs que l’envoi arrive bien à bon port.
Laurent Fontanaud-Fontaine salue la mobilisation des particuliers, en comparaison à celle de l’Etat. Il regrette toutefois sentir trop fréquemment, lors de discussions, un dédain de certains pour le territoire de Mayotte. « Ca se ressent, dans les non-dits, dans les postures. »
Pour cette action, le Rotary Club de Saint-Pierre a pris en charge la totalité de l’envoi par container soit un financement de 4 000 euros. L’ONG Terra Habilis, composée d’agriculteurs, ne cache pas qu’elle aimerait envoyer dans les semaines à venir un container de produits frais comme les bananes. « Mais l’envoi d’un Reefer, un container réfrigéré de 40 pieds, coûte 7 000 euros », précise Laurent Fontanaud-Fontaine. L’action n’est donc pas encore décidée.
Maîtriser toute la chaîne, de la collecte à la distribution
« Pour mener ce genre d’opérations, il était important de maîtriser toute la chaîne, de la collecte, à la distribution sur place, en passant par l’acheminement », fait remarquer le président de Terra Habilis OI, qui a vu de belles initiatives de collectes avorter faute de container. Pour éviter ce problème, d’autres associations ont trouvé la solution : livrer directement la Délégation de Mayotte à La Réunion. Les associations habilitées – réunionnaises ou mahoraises – organisent la collecte, le transport d’un local à un autre, le tri et enfin l’acheminement des produits jusqu’à Mayotte. Les dons civils y sont redistribués sur place par les associations avec lesquelles la Délégation est en lien. Les collectes sont toujours en cours actuellement.
C’est l’option qu’a choisie l’association réunionnaise Nout Gazon d’Riz, issue du groupe Facebook Leu Confinement, actif depuis le confinement à Saint-Leu afin d’y organiser la solidarité entre les habitants. « Nous avons reçu énormément de dons. Les gens étaient vraiment généreux », raconte Karim Juhoor, le président de l’association, qui a également une entreprise à Mayotte. « C’était formidable. Dès qu’on a annoncé notre intention de lancer cette action à Saint-Leu, quatre commerçants m’ont contacté pour faire des points de collecte chez eux. Le lycée Leconte de Lisle a fait un point de collecte pour nous. Les petits boucaniers de Boucan Canot ont eux aussi fait une grosse collecte pour nous et ont voulu participer au bénévolat. » Lui-même a prêté une fourgonnette pour aider au transport et a stocké les produits dans son bureau.
Un camion par semaine
Depuis les fêtes, trois fourgons pleins ont été envoyés par l’association Nout Gazon d’Riz à la Délégation de Mayotte. « On était sur un camion par semaine, mais là on a un peu stoppé, je pense qu’on sera sur un camion toutes les deux semaines. Les gens ont beaucoup donné avec les fêtes donc maintenant ça ne donne plus trop. »
Malgré cet élan spontané, Karim Juhoor a lui aussi constaté des comportements déplacés envers la population mahoraise. « Des gens dans la critique n’ont pas donné. Les gens confondent beaucoup de choses et font des amalgames. On ne peut pas sortir indemnes d’élections législatives où le RN arrive en tête. »
Pour Karim Juhoor, il est important de rester solidaire dans le temps et poursuivre les collectes. « Le jour ou se passe la catastrophe tout le monde est solidaire, il y a un afflux de dons. Mais quand tout le monde se retire, c’est là que ça devient très difficile parce qu’on manque le plus de choses. C’est très dur là bas et l’Etat ne peut pas assumer son rôle. Je ne dis pas qu’il n’en a pas la volonté, mais déjà avant la catastrophe, les outils n’étaient pas en place : il y avait déjà des problèmes d’eau, de salubrité, d’emploi, de routes… Pour que l’aide fonctionne réellement aujourd’hui il faudrait libérer la lourdeur administrative pour pouvoir agir et faciliter les partenariats public-privé et le travail avec les associations. Mais pour ça, il faut que l’Etat mette la main à la pâte et la main à la poche. »
Concerts, expositions, ventes au profit de Mayotte
D’autres associations, soutenues parfois par des collectivités, ont plutôt misé sur l’organisation d’événements afin de collecter de l’argent. Depuis décembre, plusieurs concerts ont ainsi eu lieu. Le plus rapide était bien sur le concert au Kerveguen à Saint-Pierre qui a mobilisé une trentaine d’artistes en à peine quelques jours. Un événement autour du fonkèr au Vieux Domaine, un nouveau kabar solidaire au Parc Expobat à Saint-Paul le 18 janvier… Et toutes les initiatives individuelles : l’artiste peintre Medhi MLC qui organise une expo vente de ses œuvres et annonce reverser 50% de son bénéfice à Mayotte. Le tisaneur Franswa Tibèr qui participera à un événement à Paris le 1er et 2 février et redonnera 70% de ses recettes à Mayotte…
Reportage vidéo : Urvashi Véléchy
Texte : Jéromine Santo-Gammaire
Reportage photos : Maï Noël
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