Arrêté par une quinzaine de policiers à son domicile à Cilaos, Cédric Famibelle-Pronzola, coordinateur du parti indépendantiste Ka-Ubuntu, a été gardé à vue 30 heures à Saint-Denis avant d’être relâché. Il est accusé d’avoir affiché sur les réseaux l’oeuvre controversée du peintre Boss Blow mais il dénonce la stratégie d’intimidation de l’Élysée à l’origine de son arrestation.
Grand banditisme, menace terroriste ? En tout cas le mardi 12 août dernier, à 6h00 du matin, plusieurs forces de police réunies autour de l’unité d’élite du Raid ont forcé la porte d’un militant indépendantiste dans un quartier paisible de Cilaos.
Le récit nous vient de Cédric Famibelle-Pronzola, coordinateur du jeune parti indépendantiste Ka-Ubuntu. C’est lui qui était visé par cette opération spectaculaire. Le fracas de sa porte défoncée l’a réveillé en sursaut.
« Pour moi c’était des voleurs… j’ai eu peur, je me suis armé avec ce que j’avais sous la main. Un couteau et un hachoir. » Un quinzaine de policiers ont fait irruption dans l’escalier, les agents à l’avant-garde l’ont mis en joue pour lui faire déposer les « armes ». Il a obtempéré immédiatement.
« Il n’y a pas eu de violence en soi, mais c’était clairement une opération antiterroriste »
Cédric Famibelle-Pronzola
Après l’avoir menotté, l’inspecteur de la criminelle lui explique que son arrestation fait suite à une vidéo que le militant indépendantiste a déposé sur les réseaux sociaux le 9 juin. Sur ce post, il porte un tee-shirt reproduisant le tableau controversé de l’artiste guadeloupéen Boss Blow.
Ce geste marque son soutien au peintre visé par une plainte d’Emmanuel Macron et mis en examen le 6 mai dernier pour « incitation à la violence ». L’oeuvre en question a été exposée en janvier 2025 au Centre des Arts et de la Culture de Pointe-à-Pitre dans le cadre d’une exposition intitulée « Exposée.e.s au chlordécone ». Les artistes y dénonçaient à leur manière ce scandale sanitaire et le non-lieu que la justice avait alors rendu dans cette affaire.
Peut-on peindre ou dessiner Emmanuel Macron décapité ?
Sur le tableau de Boss Blow, intitulé « Non-lieu », un homme noir, drapé des couleurs de la Guadeloupe, brandit une tête décapitée ressemblant clairement à Emmanuel Macron. La justice dira s’il s’agit d’une « atteinte volontaire à la vie ou l’intégrité physique de la personne, sans que cela soit suivi d’effet », comme stipulé sur la plainte de l’Elysée, ou si la liberté de création artistique doit prévaloir. L’artiste a toujours défendu que son oeuvre était symbolique sans intention de provoquer de la violence réelle.
Par rebond, dans la continuité de sa première plainte, l’Elysée serait également à l’origine de la procédure contre Cédric Famibelle-Pronzola qui a cru comprendre qu’il est poursuivi pour « apologie de crime ». Comme Boss Blow, il plaide la liberté d’expression : « Charlie Hebdo a fait la même chose avec la tête de Macron et on a parlé de liberté d’expression. »
Il a en tout cas du mal à admettre les moyens employés pour son interpellation qu’il juge « disproportionnés » : une porte cassée, une barrière de protection pour bébé endommagée et, surtout, le traumatisme sur ses enfants qui ont assisté à l’assaut. « Ma fille fait des cauchemars… on va devoir prendre un rendez-vous chez le psychologue. »
« Ils auraient pu m’envoyer une convocation, je serais venu sans problème. Le RAID est entraîné pour gérer des terroristes… moi je ne suis ni criminel, ni terroriste. »
Cédric Famibelle-Pronzola
Il évoque également le coût d’une telle opération après avoir appris des échanges entre les policiers, qu’ils étaient d’abord montés à Cilaos pour le surveiller. « Il y avait ceux du raid qui étaient bien lotis, logés dans un hôtel 4 étoiles avec chambre individuelle et les autres qui étaient presque en colocation… »
Selon lui, l’affaire du tee-shirt a servi de prétexte pour le questionner sur ses activités politiques. Au cours de sa garde-à-vue à Saint-Denis, qui a duré une trentaine d’heures, ponctuées de deux interrogatoires, 90% du temps a été consacré à son engagement indépendantiste : voyage à Bakou, liens panafricains, positions sur la Palestine, etc.
Jusqu’à présent, le parquet de Saint-Pierre n’a pas donné suite à nos sollicitations pour apporter des précisions sur l’interpellation, la garde-à-vue et les charges éventuelles pesant sur Cédric Famibelle-Pronzola.
Ka-Ubuntu, nouveau venu sur la scène indépendantiste
Celui-ci dénonce une stratégie d’intimidation de l’Etat français à l’égard de mouvements indépendantistes ou décoloniaux comme Ka-Ubuntu. Et étudie avec son avocat de quelle manière il pourrait déposer plainte à son tour contre ces méthodes. « Ils ont voulu montrer les muscles et intimider. Mais ils obtiennent l’effet inverse. Ça m’a boosté. »
C’est en tout cas l’occasion pour lui de présenter ce jeune parti : « Nous avons cinq objectifs principaux. Le premier est d’élever la conscience du peuple. Le deuxième objectif c’est de défendre l’auto-détermination des peuples africains et afro-descendants. Le troisième objectif c’est d’arracher l’indépendance de La Réunion. Le quatrième, c’est le pan-africanisme, c’est l’unité politique, économique et culturelle avec l’Afrique. Et le dernier objectif c’est l’internationalisme, c’est-à-dire la solidarité avec les peuples opprimés. »
Entretenant finalement assez peu de rapports avec les autres mouvances indépendantistes réunionnaises ou avec les partis traditionnels, Ka-Ubuntu se voit comme un outil portant la voix de la souveraineté réunionnaise. Mais il n’est pas (encore ?) engagé dans la quête de sièges électifs.
Pour plus de précisions, visionnez l’interview de Cédric Famibelle-Pronzola.
Franck Cellier
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