AU COEUR DU MOIS DES VISIBILITÉS À LA RÉUNION
Brandon Gercara, Samuël Perche, Emma Di Orio, Abel Técher, Jayce Salez, Sanjee Paléatchy, Yannick Péria mais aussi Marcelino Méduse, Luna Ninja, Sheinara Tanjabi, Estel Coppolani, Guillaume Haurice, Ismaël Moussadjee, Aurus… Nombreux sont les artistes engagés dans le soulèvement joyeux LGBTQIA+ qui bat son plein en ce moment dans l’île. Quand art et activisme fusionnent pour défendre des causes sociales et politiques, accélérer les prises de conscience citoyennes, et agir de manière concrète et pragmatique sur le monde…
Le mois des visibilités LGBTQIA+ organisé par les associations Requeer et OriZon se déroule actuellement à La Réunion, avec au programme des rencontres festives, expositions, marche des visibilités, rencontres, ateliers, projection de films… La marche des visibilités de samedi a réuni énormément de jeunes, lycéens, étudiants artistes, notamment issus de l’Ecole Supérieure d’art, des personnes de la société civile, personnalités politiques et du monde de l’art.
Au cœur du comité organisateur, des artistes qui ont fait le choix de construire leur démarche de création et leur recherche plastique à partir du combat militant et de la lutte contre les discriminations, avec notamment la mise en place d’actions très concrètes de sensibilisation du public, mais aussi d’entraide et d’accueil des personnes victimes d’homophobie ou de transphobie.
Brandon Gercara, artiste plasticien.ne, fondateur.ice de l’association Requeer et désormais une des figures de proue du mouvement LGBTQIA+ à La Réunion, s’est totalement engagé dans cette voie mêlant art et activisme : « Pour changer les choses j’ai ressenti le besoin d’aller sur le terrain politique, mais en tant que plasticien.ne. Lorsque j’ai des rendez-vous avec des personnalités politiques, maires ou députés, je vais sur le champ politique, je parle pour la cité, pour les personnes LGBTQIA+. Je ne sépare plus ces manifestations de mon travail plastique, ce que j’avais été contraint.e de faire jusqu’à présent, c’est à dire produire des pièces pour des expositions et à côté de cela vivre mon engagement militant ».
Aujourd’hui la pratique artistique de Brandon passe essentiellement par le travail en situation : « plastiquement, dit-iel, je passe moins de temps dans l’atelier. Je suis sur le terrain. Mais tous ces moments où je suis en lien avec l’association, dans l’organisation d’évènements, le commissariat d’exposition, ou lorsque je fais de la médiation culturelle, ça vient énormément enrichir ma réflexion et ma sensibilité et je peux ensuite le retraduire dans ma production plastique. Antérieurement, quand j’ai fais les « lipsync de la pensée », en amont je me suis nourri.e du travail des penseurs dont je m’inspire, Françoise Vergès notamment. Actuellement tout le travail militant auquel j’occupe mes journées, c’est de la matière plastique pour moi ». Selon l’artiste, il n’est plus nécessaire de produire une forme plastique exposable dans un espace muséal pour être plasticien.
Un art en situation
Ainsi, Brandon Gercara ne fait plus de distinction entre sa pratique d’artiste et son militantisme associatif : « Déjà par honnêteté, dit-iel, mais aussi parce que les personnes à qui je m’adresse sont LGBTQIA+ et qu’il me paraît très important que les personnes pour lesquelles je m’engage se sentent proches et comprennent mon travail… Mes photos sont des actions politiques pour réparer un imaginaire collectif ».
Il prend l’exemple des « chansons la kour » qu’iel chante et poste sur les réseaux sociaux : « c’est de la culture populaire, je reprends des chansons que mes frères et mes amis écoutent, cela me permet de parler de ces thématiques sensibles, mais d’une autre manière. Et je fais plus de 200 000 vues ! Ensuite quand je vais dans les écoles, et que les enfants s’approprient les paroles contre la LGBTphobie et chantent mes chansons, il se passe quelque chose. C’est très fort. Ils comprennent que les personnes LGBT ne viennent pas d’ailleurs, elles viennent d’ici aussi ».
« Avec le Kwir, qui est un mot nouveau qui définit en créole toute personne qui est dans la lutte, il s’agit de fabriquer un espace super collectif et politique, qui refuse toute forme de catégorisation excluante. C’est un nouveau mot qui est en train de fleurir… ».
Brandon Gercara
L’intégration du créole, relativement récente dans son travail, est un élément important qui lui permet d’être proche de la personne qu’il est en réalité, proche de sa famille comme des personnes pour lesquelles iel s’engage. Le jeune artiste s’inscrit dans la lignée des artistes engagés à La Réunion et se réclame volontiers de Wilhiam Zitte qui luttait pour la reconnaissance de pratiques artistiques populaires et pour la créolité, mais aussi d’Alain Séraphine et de son concept d’artiste impliqué : un artiste doit prendre part au développement de sa société. « Je suis, dit-iel, dans la continuité du travail d’Alain Séraphine. Quand il crée l’école d’art, il le fait en tant qu’artiste ».
De l’art et du politique
Le lien entre art et politique n’est pas toujours aisé à tisser. « C’est dur parfois, mais absolument nécessaire, explique t-iel. Pour moi c’est compliqué car je dois modifier ma parole tout le temps. Ainsi lorsque j’ai lancé la première marche, j’avais un discours radical, je dénonçais notamment le fait de devoir m’exprimer dans la rue à 10m de la statue d’un colonialiste Mahé de Labourdonnais. Je parlais de cette problématique de la domination coloniale encore très présente sur le territoire de la Réunion.
« Je ne sépare pas la LGBTphobie de cette histoire marquée par le colonialisme. Les deux sont intimement liées. J’en parlais directement. Maintenant, c’est plus compliqué, je fais davantage attention ». Ses prises de position ont pu générer et génèrent encore des réactions hostiles sur les réseaux sociaux notamment : « On me traite souvent de raciste anti-blanc, ou on me dit que je me trompe de lutte. Ce que je dénonce ce sont les privilèges et les positionnements de domination, et non une couleur de peau ».
Pour Brandon Gercara, faire de la politique en tant qu’artiste, « c’est travailler avec les dominants pour imaginer une autre façon de vivre. Il y a une part de résistance, il y a de l’engagement et de l’activisme ».
Prendre la parole, la rue, et l’espace médiatique, est un moyen pour l’artiste de se saisir du pouvoir de dénoncer, de résister mais aussi du pouvoir d’agir sur le monde. Face aux urgences politiques et sociales, mais aussi environnementales, un grand nombre d’artistes activistes s’emparent de la chose publique en situant leur pratique artistique en dehors des cadres institutionnels convenus. Ou comment faire vivre son art et défendre ses idées, en ajoutant à la salle d’exposition et l’atelier, la rue, l’espace public, les réseaux sociaux, et en trouvant de nouvelles manières de toucher le public et faire avancer les causes.
Patricia de Bollivier
Photos et vidéos : Patricia de Bollivier
Le programme du Mois des visibilités : https://www.facebook.com/requeer/