Entrée du centre de retention administrative de Saint Jacques, à l'extérieur de la ville de Rennes.

Assistance juridique dans les centres de rétention administrative : la Cimade alerte sur une loi dangereuse

Le lundi 12 mai, le Sénat a voté la proposition de loi LR visant à supprimer la délégation aux associations comme la Cimade, des missions d’information et d’assistance juridique dans les centre de rétention administrative. Pauline Râï, responsable régionale sur le volet rétention de la Cimade, nous explique en quoi cette loi met en danger les droits des personnes étrangères. 

Lors du vote de sa proposition de loi devant le Sénat, la sénatrice LR Marie-Carole Ciuntu, à l’origine du texte, a déclaré que « ce sont non pas les associations qui définissent la politique de l’Etat, mais bien l’Etat qui, comme le souhaitent nos concitoyens, met en oeuvre sa politique d’immigration ». Une attaque à peine déguisé envers les associations qui exercent actuellement la mission d’information et d’assistance juridique dans les centre de rétention administrative sur le territoire français. Le texte est d’ailleurs critiqué par les associations qui alertent sur les conséquences pour les droits des personnes étrangères. Pauline Râï, responsable régionale de la Cimade sur le volet rétention décrypte pour Parallèle Sud le texte voté ainsi que les contre arguments utilisés par ses partisans. 

Déjà pour commencer, pourriez-vous expliquer en détail quel est cette mission d’assistance juridique aux personnes retenues et qui est exercée par la CIMADE?

Historiquement, les centres de rétention administrative (CRA) ont été créés il y 40 ans. Suite au scandale du hangar d’Arenc en 1975, la France crée la rétention administrative et les premiers CRA sont érigés en 1984. Dès cette date, la Cimade est sollicitée par le gouvernement de l’époque pour intervenir au sein des CRA afin d’y assurer une aide humanitaire et sociale et y être un œil de la société civile, une vigie citoyenne dans ces lieux fermés où peu de personnes ont accès. 


En effet, en dehors des différents acteurs qui interviennent au quotidien dans les CRA tels la police aux frontières, les associations d’aide à l’exercice des droits, les personnels du service médical, les médiateurs de l’OFII (Office français de l’immigration et de l’intégration), les avocats et les agents des sociétés qui gèrent la restauration et le ménage, certains disposent d’un accès libres aux CRA, sans information préalable de l’Administration comme les parlementaires (qui peuvent être accompagnés de journalistes), les bâtonniers, procureur de la République et juge des libertés et de la détention. D’autres disposent d’un accès limités, soumis à autorisation : les journalistes (en dehors des visites de parlementaires), le HCR et les associations humanitaires habilitées. 

Au fur et à mesure, les missions de la Cimade et, depuis 2010, des autres associations partenaires, ont évolué vers une aide purement juridique pour l’exercice des droits des personnes enfermées. 

Aujourd’hui quelles sont les associations qui exercent cette mission dans les centres de rétention administratives sur le territoire ( hexagonal et ultra-marin)? 


5 associations interviennent aujourd’hui dans les CRA (Forum Réfugiés-Cosi, France terre d’asile, le Groupe SOS Solidarités – Assfam, La Cimade et Solidarité Mayotte) pour assurer aux personnes retenues un accès effectif à leurs droits en les informant, les conseillant, les assistant dans l’exercice des différentes voies de recours disponibles, notamment pour leur permettre d’accéder aux juridictions qui examinent leur situation.


La proposition de loi relative à l’information et à l’assistance juridique en rétention et en zone d’attente prévoit de confier d’une part, à l’OFII la mission d’informations sur les droits et les voies de recours auprès des personnes retenues et d’autre part, aux avocats, au titre de l’aide juridictionnelle, la mission d’accès effectif aux droits (analyse juridique et orientation, rédaction des recours, représentation devant les juridictions). 

Entrée du centre de retention administrative de Saint Jacques, à l'extérieur de la ville de Rennes.
Entrée du centre de rétention administrative de Saint Jacques, à l’extérieur de la ville de Rennes.

Confier cette mission à l’OFII (Office français de l’immigration et de l’intégration) est ce que cela ne pose des problèmes notamment celui de « donner à l’Etat à la fois le rôle d’arbitre et de joueur » pour reprendre une formule entendue lors des débats autour de la proposition de loi ?


Effectivement, le texte de la proposition tel qu’il est discuté aujourd’hui pose plusieurs questions.

Tout d’abord, le fait que l’OFII, un opérateur de l’Etat qui met en œuvre l’aide au retour, y compris au sein des CRA, reprenne la mission d’assistance juridique, pose un problème. Cet organisme serait structurellement en conflit d’intérêt pour une mission d’information juridique puisque sous tutelle du ministère de l’Intérieur : il n’est pas possible d’être à la fois acteur de l’éloignement et garants des droits de la défense.

Deuxièmement, contrairement à la mission qui serait confiée à l’OFII, les missions assurées actuellement par les associations vont au-delà de la simple information juridique et ne pourraient pas être assurées par les avocats au titre de l’aide juridictionnelle (manque de disponibilité, missions non prises en charge par l’aide judiciaire). A titre d’exemple, les associations assurent une information quotidienne, multilingue, humaine et continue tout au long de la durée d’enfermement (qui est actuellement de 90 jours mais pourrait être allongée jusqu’à 210 jours si une autre proposition de loi, déjà adoptée par le Sénat, l’était aussi par l’Assemblée nationale). 

Une simple information sur les droits et les voies de recours et l’orientation vers les avocats au titre de l’aide juridictionnelle n’assurerait pas un accès effectif aux droits, ce qui entrerait en contradiction avec le droit européen et la Constitution. 

Qu’est-ce qui fait la spécificité du travail des associations par rapport à celui des avocats qui peuvent être disponibles via l’aide juridictionnelle ? 

L’aide juridictionnelle, si elle est possible, n’est pas automatique ni accessible sans aide pour la comprendre. 

De plus, certaines missions ne sont pas prises en charge dans le cadre de l’aide juridictionnelle comme les demandes d’asile (et impossible à prendre en charge par l’OFII en tant qu’organe du ministère de l’Intérieur), certains recours tout au long de la procédure (les recours devant la Cour européenne des droits de l’Homme ou les demandes de mise en liberté auprès du juge des libertés et de la détention (JLD) par exemple) ou encore les recours gracieux auprès de l’administration. 

L’accompagnement juridique doit avoir lieu tout au long de la procédure, et ne peut se limiter à la contestation des décisions d’éloignement et de placement en rétention, dans les tout premiers jours de la procédure. De plus, les délais de recours sont parfois extrêmement restreints et les avocats risquent d’intervenir trop tardivement, trop brièvement, ne pas pouvoir se rendre sur place faute de moyens et d’éloignement géographique.

L’accompagnement ne se limite pas à la partie contentieuse pure et simple, il s’agit aussi de faire le lien avec les proches, avec les structures qui accompagnent les personnes enfermées pour récupérer des documents, des preuves, des témoignages indispensables pour étayer les recours déposés devant les juridictions ou permettre son suivi médical par l’unité médicale du CRA.

Surtout, les associations alertent aussi régulièrement les directions des CRA et le ministère des dysfonctionnements qui peuvent y être constatées au quotidien et bien souvent, grâce à leur écoute quotidienne, confidentielle elles contribuent au maintien de la « paix sociale » au sein des CRA. 

Enfin, les associations assurent un rôle de vigie démocratique, sont un œil sur de la société civile et peuvent témoigner des conditions d’enferment et des atteintes aux droits qui peuvent exister dans ces lieux d’enfermement souvent obscurs. Elles rendent visibles des réalités invisibles, notamment au travers de leur rapport annuel commun sur les CRA et les LRA. 

Le texte reproche par exemple aux associations d’empiéter sur le travail des avocats et donc de « mettre en péril la bonne défense des personnes accompagnées » car les avocats n’auraient les dossiers en main que tardivement voire juste avant l’audience. 

Il n’y a aucune obligation à consulter l’association et inversement, les accompagnateurs juridiques n’ont pas d’obligation à recevoir toutes les personnes enfermées. Les associations n’entravent en rien les possibilités pour les personnes retenues d’accéder à un avocat.

Par exemple, si la personne retenue a un avocat choisi, personnel, il convient que ce soit lui qui assure le suivi et l’accompagnement juridique de la personne. Loin d’entraver leurs missions, les associations sont au contraire présentes pour faire le lien entre la personne retenue et son conseil, par exemple en l’informant du placement au CRA de son client ou en lui transmettant la procédure et les documents. 

Dans le cas où une personne retenue n’a pas d’avocat personnel, les avocats qui assurent les « permanences étrangers » pour les audiences devant le juge administratif ou le juge judiciaire sont en lien avec les associations bien souvent en amont des audiences notamment pour se coordonner pour la rédaction des recours (les fonctionnements peuvent être différents selon les CRA, dans certains endroits les avocats de permanence rédigent les recours, dans d’autres, l’association s’en charge puis l’avocat assure la défense de la personne lors des audiences).

Les dossiers complets des personnes retenues sont accessibles pour les avocats en amont des audiences, auprès des greffes des juridictions (et de plus en plus de façon dématérialisée), selon leur organisation interne sans aucune intervention de l’association.

Les associations interviennent dans les CRA dans l’intérêt des personnes retenues et conformément à leur volonté et n’ont aucun intérêt à entraver le travail des avocats. Au contraire, à La Cimade, il y a un souhait de pouvoir travailler conjointement pour assurer à la personne retenue un accès effectif à ses droits et à la justice. 

On parle aussi d’un coût de cette délégation de mission de service public aux associations qui ne ferait qu’augmenter alors même que le nombre de personnes retenues est en baisse constante depuis plusieurs années.

Cet argument budgétaire est avancé par les détracteurs de la mission des associations mais en 2024, le coût total de l’assistance juridique en CRA s’élève à 6,5 millions d’euros ce qui est une somme dérisoire comparée aux 220 millions d’euros consacré chaque année à la rétention (selon la cour des comptes). 

Le coût de l’intervention des associations au sein des CRA a été accepté par le ministère lors des négociations pour le renouvellement du marché public de l’assistance juridique en rétention, renouvellement qui a eu lieu au 2 janvier 2025. A la Cimade, l’intervention en rétention, c’est 20 salarié.e.s dans les CRA, des personnes support, un travail de formation régulière, d’analyse de pratique professionnelle… 

Une étude d’impact a-t-elle été faite pour connaître les coûts pour déployer des juristes de l’OFII dans tous les CRA, au quotidien et déployer le mécanisme de l’aide juridictionnelle à grande échelle ?

Aucune étude d’impact précise n’a été menée mais cela coûtera très probablement plus cher.

Par ailleurs, l’autre proposition de loi votée récemment au Sénat, bien souvent par les mêmes sénateurs, visant à allonger la durée maximale d’enfermement de 90 à 120 jours, serait extrêmement couteuse et totalement inefficace, les chiffres démontrant que la majorité des expulsions ont lieu dans les premiers jours de la rétention. Ce qui serait incohérent dans un perspective de réduction des coûts liés à l’enfermement des personnes étrangères. 

Les associations dont fait partie la Cimade, sont aussi accusées d’avoir mis en place une systématisation des recours face aux mesures d’éloignement et de prolongation de rétention sans même une prise en compte des situations individuelles avec des formulaires pré-remplis. Une manière d’agir qui ne serait pas dans l’intérêt des personnes concernées mais qui servirait au contraire une démarche militante pour contester la politique migratoire mise en place. Qu’est ce que la Cimade peut répondre face à de telles accusations ? 

Les associations n’ont aucun intérêt à nourrir de faux espoir et encourager des démarches inutiles. 

L’intervention des associations dans les CRA est strictement encadrée par la loi. Les associations respectent un cadre, celui du CESEDA et du marché public. Les juristes informent les personnes retenues sur leurs droits et les accompagnent dans leurs démarches sans jamais décider à leur place. Contrairement aux avocats, les associations ne représentent pas les personnes retenues et ne peuvent pas ester en justice à leur place. Le recueil du consentement de la personne retenue est primordial ainsi que sa compréhension de la procédure et des enjeux liés aux décisions d’éloignement et d’enfermement qui lui ont été notifiées. Les recours sont introduits conformément aux souhaits des personnes qui exercent leur droit au recours effectif protégé par la Constitution et la CEDH.

Si le nombre de recours augmentent c’est parce qu’il y a de plus en plus de décisions et qu’elles sont de plus en plus souvent contestables du point de vue du droit. En 2024, 57% des retenu.e.s ont été libérés dont 44% sur décision d’un juge : preuve que les recours sont fondés.

On en revient à l’accusation plus globale sur l’ensemble des associations qui viennent en aide aux personnes exilées et qui favorisent l’afflux migratoire. Le texte remet d’ailleurs clairement en cause le respect du principe de neutralité de service public par la Cimade et les autres associations. Est-ce que l’on est face à une loi qui, si elle est votée puis promulguée, entraînera un déni dans la liberté de chaque association? 

Les associations en rétention remplissent leur mission contractuelle, encadrée par le CESEDA (Code de l’entré et du séjour des étrangers et du droit d’asile) et le marché public, en lien permanent avec l’administration.  Les associations sont indépendantes, elles ne sont pas neutres, comme toutes les organisations de la société civile. La neutralité n’est pas une exigence, contrairement à l’indépendance. Le Conseil d’Etat, dans sa décision du 3 juin 2009, exige l’indépendance des personnes morales qui interviennent dans les CRA, pas la neutralité.

De plus, il n’y a aucune preuve que leur positionnement politique interfère avec leur mission au sein des CRA ou ait pu nuire à leur efficacité ou au respect du contrat. La critique revient à vouloir sanctionner la liberté d’expression.

La remise en cause ciblée des associations va au-delà du débat de l’assistance juridique en rétention, fragiliser leur place, leur rôle de vigie, c’est affaiblir le rôle primordial de la société civile en démocratie, celui d’opérer son pouvoir d’alerte. 

Plus globalement, j’aimerais connaître l’impact direct que cela pourrait avoir sur la situation des personnes retenues dans les CRA ainsi que les craintes de la CIMADE. 

En plus de tout ce qui a pu être évoqué lors des questions précédentes, le vote de cette proposition de loi peut avoir des impacts supplémentaires par exemple sur les difficultés à comprendre la situation des personnes retenues, les risques et les enjeux ; difficultés à comprendre la procédure, toujours plus complexe, une diminution de l’accès effectif à leurs droits notamment au droit au recours effectif. Difficulté à saisir le juge sans les délais très court de la rétention puis tout au long de la durée de leur enfermement, difficulté à solliciter l’asile en rétention dans le délai imparti de 5 jours.

Cela peut aussi avoir une incidence sur la compréhension des décisions de justices rendues et leurs conséquences. Prendre le temps de discuter, d’expliquer et de réexpliquer, parfois chaque jour si nécessaire, fait partie du travail quotidien des associations, ce que n’auront certainement pas le temps de faire ni l’OFII ni les avocats au titre de l’aide judiciaire.

Cela risque d’entrainer une augmentation des tensions au sein des CRA, alors que celles-ci sont déjà importantes dans certains endroits. 

De manière générale, on peut craindre que les CRA deviennent des lieux d’enfermement obscurs et opaques, sans observateurs extérieurs entrainant l’augmentation des atteintes aux droits fondamentaux des personnes retenues – déjà bien trop souvent mis à mal. On peut craindre la diminution de l’accès effectif à leur droits (notamment le droit au recours) et la dégradation des conditions d’enfermement.

Entretien : Olivier Ceccaldi

A propos de l'auteur

Olivier Ceccaldi

Photoreporter.

Ajouter un commentaire

⚠︎ Cet espace d'échange mis à disposition de nos lectrices et lecteurs ne reflète pas l'avis du média mais ceux des commentateurs. Les commentaires doivent être respectueux des individus et de la loi. Tout commentaire ne respectant pas ceux-ci ne sera pas publié. Consultez nos conditions générales d'utilisation. Vous souhaitez signaler un commentaire abusif, cliquez ici.

Articles suggérés