Ce Vendredi 21 mars, Nelson Boyer et Nathalie Maillot inaugurent leur exposition intitulée Retrospective, à l’Ecrin des Hauts. Plus qu’une simple exposition, Retrospective, se veut être un regard sur plus de vingt ans de travail et de vie commune. A cette occasion, nous les avons rencontrés chez eux, dans les hauts de Saint-Joseph pour en savoir un peu plus sur leur collaboration et la portée de leurs oeuvres.
Votre prochaine exposition, Retrospective, fait la part belle à une vingtaine de vos oeuvres réalisées tout au long de vos 25 ans de carrières respectives. Pourtant, vous n’étiez ni l’un ni l’autre destinés à une carrière dans la peinture ou la sculpture. Alors comment tout cela a-t-il commencé ?
Nathalie Maillot (N.M): Moi, je viens d’une famille d’agriculteurs donc je n’avais aucun lien avec ce monde-là. Après l’école, je me suis orientée vers l’animation auprès des enfants.
En tant qu’animatrice, je créais avec les enfants et c’est comme ça que m’est venue cette envie. En 2000, j’ai commencé à peindre et progressivement, j’ai eu envie d’aller plus loin et de passer à de la création en 3D.
Le fait de créer me permet de libérer mes émotions. Quand j’ai compris que cela plaisait, en tout cas à certaines personnes, cela m’a poussé à continuer et à développer mes compétences. Toujours en étant autodidacte, en me formant auprès de personnes et en observant beaucoup.
Au fur et à mesure, j’ai eu la chance d’avoir des commandes publiques qui m’ont permis de réaliser des oeuvres et de gagner en visibilité.
Nelson Boyer (N.B): En général, l’art n’est pas ouvert en dehors d’un cercle restreint de privilégiés. J’ai grandi dans une famille de musiciens et donc c’est comme cela que c’est fait mon rapport à l’art.
Enfant, je n’aimais pas l’école mais contrairement à mes frères, je n’ai pas eu la chance de pouvoir aller au conservatoire. Je me suis forcé à observé les membres de ma famille qui jouaient de la guitare et j’ai répété des heures les accords appris dans un livre que possédais mon père.
En 1998, j’étais machiniste à la piscine, mais j’avais l’envie de passer professionnel. Alors j’ai passé une audition pour faire une formation à Nancy.
J’avais écris un projet, « musique pour tous », pour amener la musique aux jeunes dans les écarts. La mairie de Saint-Joseph a validé le projet et j’ai donc pu développer cette approche. Quand Nathalie s’est mis à la peinture, j’ai pris le train en marche et j’ai commencé à peindre puis à sculpter.
Vous êtes tous les deux autodidactes et vous semblez avoir évolué ensemble. Comment avez-vous construit votre pratique?
N.M : Déjà ce qu’on peut dire, c’est qu’on a toujours été ensemble sur ce chemin vers la peinture et la sculpture.
N.B : Que ce soit toi ou moi, on a le goût d’apprendre, soif de connaissance. Comme me disait mon père, le but de la vie c’est de « s’endormir un peu moins con chaque soir ». Il y a cinq, six ans, j’ai fait une formation pour apprendre à couler le bronze moi-même. Après j’ai formé à son tour Nathalie. Ce qui nous permet aujourd’hui de couler nous-même nos statues en bronze.
N.M : Quand on fait de la terre, elle est vivante, un peu comme nous. Elle évolue d’une manière particulière avec le climat tropical. Par exemple, quand on fait les coquilles, l’humidité des hauts rend le travail très compliqué mais c’est le jeu.
N.B : Oui, nos oeuvres et notamment nos sculptures, c’est énormément de travail, d’erreurs et de mouvement. Sculpter de la terre, c’est donner du rythme et, pour trouver le bon, il faut chercher.
Par exemple pour la statue du Capitaine Dimitile pour le collège du même nom, quelqu’un qui n’a pas une expérience suffisante du travail de la terre, il peut pas sortir cette pièce. Elle fait 82 cm et il faut des années d’expérience pour creuser l’intérieur.
N.M : Dans les années 2000, quand on a commencé à faire des pièces en terre, sans savoir qu’on pouvait les cuire, hein… Car oui au début on ne savait pas. On a toujours été persuadé que l’esprit de l’artiste c’est d’entreprendre, de tester.
Vous avez appris ensemble et on sait que les artistes sont souvent assez protecteurs de leur travail. Est-ce que cela n’a pas été difficile de rester en dehors du travail de l’autre ? De ne pas vous juger mutuellement ?
N.M : C’est difficile de travailler en étant deux artistes au sein d’un couple. Mais nous, on vit côte à côte depuis plus de trente ans, donc au début, on s’est lancé ensemble mais chacun de son côté. Il ne fallait pas trop déranger l’autre dans son processus créatif et, surtout, ne pas donner son avis sur le travail.
N.B : Oui au début, il fallait vraiment faire attention à ne pas rentrer dans la bulle de l’autre. C’était notre manière de respecter son travail.
N.M : A un moment, on a réussi à faire la part des choses et à accepter que l’autre nous donne son avis. Bien sûr, il faut que Nelson me le demande sinon ça ne marche pas.
N.B : Aujourd’hui, on va dire qu’on est moins exclusifs dans nos travaux respectifs mais il y a tout de même une règle d’or. Si je travaille sur un projet, Nathalie ne peut pas y toucher et vice-versa. Je n’ai pas le droit de mettre les mains sur ses oeuvres.
N.M : L’oeil fatigue donc, on a besoin finalement de l’autre. C’est peut-être à ce moment là qu’on peut parler d’un troisième artiste. Lorsqu’on fusionne, d’une certaine manière, nos deux visions pour les faire se compléter.
En parlant de se compléter, vous avez eu jusque’à présent une seule commande collaborative avec le Bann’ Maronèr. Comment s’est fait ce travail à quatre mains?
N.B : En 2014, il y a eu un appel d’offre pour les Nuits de la Pleine Lune auquel on a répondu ensemble. A la base, on a proposé une sculpture de marron dans un arbre mais on s’est dit que logistiquement et en terme de sécurité en cas de cyclone, c’était compliqué.
N.M : On avait dans l’idée que ce soit un marron, donc un résistant. Automatiquement, dans notre conception du projet, on se devait de faire une sculpture qui représente ça et donc qui résiste à tout, même aux éléments.
N.B : On s’est donc orienté vers l’idée de créer une statue telle qu’elle existe aujourd’hui.
C’est un marron dans un bougainvillier poster en guetteur. La symbolique est très forte car c’est un résistant devant une case de maître.
N.M : Le marron a été créé, dans notre vision, comme un symbole pour encourager ceux encore sous emprise de se relever, de s’émanciper de leurs chaînes. C’est un symbole de mémoire ainsi que d’un message d’espoir.
Votre travail dans son ensemble est très lié à l’idée de mémoire notamment celle de l’esclavage et de La Réunion plus globalement. Qu’est ce que vous recherchez à travers vos sculptures?
N.B : C’est peut-être une phrase bateau mais il est vrai qu’il est important de savoir d’où on vient pour savoir où on va. En tant qu’enfant maltraité, peut-être que me tourner vers l’histoire, la mienne et celle avec un grand H, ça m’a aidé à comprendre pourquoi. Comprendre les mécanismes plus anciens qui avaient amené à ça.
N.M : Il y aussi une envie de laisser une trace. Pour ne pas oublier ce qui s’est passé auparavant et faire en sorte qu’on puisse aller de l’avant. Mon travail, je l’envisage comme une interprétation d’une histoire que ceux qui viendront après pourront se ré-approprier.
N.B : On peut effectivement considérer que la transmission fait partie intégrante de notre démarche, individuelle et collective. Mais personnellement, je dirais que fabriquer, créer, c’est vraiment une quête vers l’émancipation par rapport à mon histoire.
N.M : C’est vrai qu’en y réfléchissant, l’histoire personnelle intervient dans le processus créateur. Pour moi, je le répète, tout est lié à la notion de liberté. Quand je suis rentrée à l’école vers l’âge de six ans, c’est comme si ça m’avait ôté toute liberté en me coupant de la vie telle que je la connaissais. C’est l’école qui a créé un grand manque de confiance en moi, et c’est à travers l’acte de créer que j’ai pu me redécouvrir.
En parlant de devoir de mémoire, chaque année la Fet Kaf est célébrée pour commémorer le jour de l’abolition de l’esclavage. Or on a pu entendre certaines personnalités politiques laisser entendre qu’il était temps de « passer à autre chose », que « l’esclavage est derrière nous ».
Pensez vous en tant qu’artistes qu’il est de votre devoir de continuer de faire exister cette histoire à travers votre travail ?
N.B : Alors moi déjà je ne suis pas pour qu’on utilise le terme de Fèt pour parler de la commémoration de l’abolition de l’esclavage. Je pense que le terme Fèt porte à confusion et nous éloigne de la portée historique et mémorielle de ce qu’a été ce jour.
Et à ceux qui disent qu’il faut passer à autre chose, moi je leur demande, est ce que vous seriez prêt à oublier toute l’histoire de France ? L’abolition de l’esclavage n’a même pas deux cent ans, c’est donc un événement récent par rapport à l’Histoire de la France.
D’autant plus que ses effets perdurent encore aujourd’hui, engendrant des souffrances actuelles qui témoignent de cette période de l’histoire.
N.M : Moi je suis née et j’ai grandi à la Crête et j’ai des ancêtres, par le biais de ma grand-mère, qui ont été marrons. Donc consciemment ou inconsciemment, il y a une volonté de transmettre cette histoire. Je pense qu’il est nécessaire de continuer à raconter la grande histoire mais aussi tout les récits personnels.
Déjà que c’est quelque chose qu’on ne nous a pas enseigné alors si en plus il faut l’oublier on ne s’en sort pas. Mais peut-être qu’il est plus facile de réécrire une histoire quand la moitié de la population n’a pas conscience de ce qu’il s’est passé.
N.B : Commençons déjà à commémorer, à donner plus de place aux historiens et on pourra un jour passer à autre chose. Jusqu’en 1980 le maloya (musique des esclaves) était toujours interdit. Alors on commence à peine à reconnaître l’ensemble de notre histoire.
N.M : Pendant longtemps, les familles ne parlaient pas de ce qui s’était passé. Les souffrances vécues ont été transmises mais pas les histoires qui vont avec. Il y a eu un échec dans la transmission et aujourd’hui il est intéressant de voir qu’on n’en parle plus, qu’on remet en question certains récits.
N.B : Je vais prendre une histoire encore plus actuelle, celle des « enfants de la Creuse ». On parle d’enfants réunionnais déportés en France entre 1962 et 1984 par les services de la DDASS et qui ont été complètement coupés de leurs familles, de leurs racines. Pourtant, il a fallu attendre des années pour que cette tragédie soit reconnue. La reconnaissance s’est faites par une loi en 2014 et l’art a joué une place importante avec une statue que j’ai faites en 2013 et qui leur a été dédiée.
On peut en conclure que si l’art ne fait pas bouger seul les lignes, il sert parfois d’ancrage surtout quand on parle d’une statue en bronze qui en principe va survivre longtemps au temps qui passe.
Olivier Ceccaldi (Photos et texte)
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