Lors de la 18ème session du Mécanisme d’experts sur les droits des peuples autochtones (MEDPA), à Bruxelles, la voix du peuple chagossien a été portée avec force. Un demi-siècle après leur exil forcé, des représentants de la diaspora dénoncent le nouvel accord entre Maurice et le Royaume-Uni qui les exclut une fois encore. Plus qu’un enjeu territorial, c’est la reconnaissance même de leur existence en tant que peuple autochtone qui est en jeu.
Un accord signé sans les principaux concernés
En mai dernier, un accord entre le Royaume-Uni et Maurice a officiellement acté la rétrocession de l’archipel des Chagos à l’État mauricien, tout en maintenant la base militaire américano-britannique sur l’île de Diego Garcia pour 99 ans, contre une compensation annuelle de 120 millions d’euros. Si cet accord est salué par Port-Louis comme une étape historique dans le processus de décolonisation, il est vivement critiqué par une partie de la diaspora chagossienne.
« Le traité a été conclu sans que notre peuple soit consulté. Il ne garantit ni notre droit au retour ni notre droit à l’autodétermination », dénonce Maxwell Evenor, membre du collectif Chagossian Voices, aujourd’hui établi à Crawley, près de Londres. Il rappelle que le dernier rapport de Human Rights Watch qualifie l’exil forcé des Chagossiens de « crime contre l’humanité toujours en cours ». En 2023, l’ONG recommandait déjà aux autorités britanniques et mauriciennes d’impliquer pleinement le peuple chagossien dans les discussions concernant un accord de restitution de l’archipel des Chagos.
Pour rappel, entre 1968 et 1973, c’est plus d’un millier de Chagossien.ne.s qui ont été déporté.e.s de force vers Maurice et les Seychelles pour favoriser l’implantation d’une base militaire américano-britannique. Un exil forcé qui avait coupé une population de sa terre, de sa culture pour les placer dans une situation de grande précarité économique.
Une identité niée par l’État mauricien
Face aux revendications des Chagossiens, l’État mauricien reste catégorique : il ne reconnaît pas l’existence d’un peuple autochtone sur son territoire, y compris sur l’archipel des Chagos. Selon son porte-parole, « les Chagossiens ne forment pas un peuple distinct », mais seraient simplement des ressortissants mauriciens d’ascendance diverse, au même titre que les autres communautés de l’île.
Une négation brutale de l’identité chagossienne, dénoncée par de nombreux membres de la diaspora, notamment ceux établis en France, au Royaume-Uni et aux Seychelles. Pour eux, il s’agit d’une tentative d’effacement culturel doublée d’un déni politique. D’autant que Maurice avait, à l’époque de son indépendance en 1968, accepté de céder l’archipel aux Britanniques sans défense des intérêts de ses habitants.
À Bruxelles, certaines militantes n’ont pas pu faire entendre leur voix. Bertrice Pompe et Bernadette Dugasse, toutes deux originaires de Diego Garcia, avaient tenté de faire suspendre l’accord par un recours en urgence devant la Haute Cour de Londres en mai dernier. Refusé. Selon le juge britannique, bloquer l’accord aurait été « préjudiciable aux intérêts du Royaume-Uni ».
Dans leurs discours consultés par Parallèle Sud, elles dénoncent l’injustice structurelle qui perdure depuis leur déplacement forcé. Bertrice Pompe rappelle que « l’économie traditionnelle des Chagos — fondée sur la pêche, la cueillette et la culture vivrière — a été détruite, tout comme les repères sociaux et spirituels de son peuple. »
Demande de reconnaissance autochtone devant l’ONU
Cynthia Othello, présidente de l’Association des Chagossiens de France (ACDF), a pris la parole au MEDPA pour lancer un appel solennel : la reconnaissance des Chagossiens en tant que peuple autochtone, au sens du droit international. Une reconnaissance qui leur permettrait d’exiger des droits spécifiques, notamment le droit à l’autodétermination, à la consultation sur l’avenir de leurs terres ancestrales, et à la réparation des préjudices subis.
« Aucun peuple ne devrait être réduit au silence, déplacé ou oublié », a-t-elle déclaré, appelant le Conseil des droits de l’Homme à être « la voix qui brise le silence ».
Un combat pour exister, au-delà des frontières
Derrière les batailles juridiques et diplomatiques, c’est avant tout un combat pour la reconnaissance que mènent les Chagossiens. Refusant d’être relégués au statut de simples « ressortissants » mauriciens, ils revendiquent leur place sur la scène internationale comme peuple à part entière, avec une histoire, une culture et un avenir à reconstruire.
Aujourd’hui dispersés entre Maurice, le Royaume-Uni, les Seychelles et la France, beaucoup vivent encore dans la précarité, privés de leurs droits fondamentaux. Pour eux, reconnaître l’existence du peuple chagossien, ce n’est pas seulement réparer une injustice historique : c’est ouvrir la voie à une justice encore possible.
Olivier Ceccaldi
* Crédit photo de couverture : Bertrice Pompe en décembre 2024 devant la Royal Courts of Justice
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