[Chronique dans le noir] Nicolas M’Tima, le seul standardiste non voyant

« GRAVIR LES ÉCHELONS AU COEUR DE MA PROFONDE CÉCITÉ »

La chronique dans le noir vous emmène sur Saint-Denis à la rencontre de Nicolas M’Tima qui témoigne, en tant que personne non voyante, de son parcours professionnel et de sa joie de vivre.  Il est le seul et dernier pilier standardiste réunionnais non voyant : toujours là pour accueillir le public à la DAAF (Direction de l’alimentation, l’agriculture et la forêt).

Scolarisé dans l’établissement spécialisé du centre de la Ressource à Sainte-Marie, Nicolas raconte…  

C’est à l’âge de 9 ans que je suis entré au centre de la Ressource. Adaptation difficile en internat et même pour les études car j’ai dû redoubler des classes, il a fallu, à l’âge de mes 17 ans, choisir d’aller en sixième ou m’orienter vers une formation professionnelle vers un établissement spécialisé me permettant de découvrir certains métiers tel qu’accordeur de piano ou canneur ou plus encore standardiste.

Mais vu mon niveau, il a fallu convaincre les professionnels de l’institut que j’étais bien décidé à relever le défi que je m’étais mis en tête : celui d’être standardiste. J’ai obtenu mon brevet professionnel à l’institut des jeunes aveugles sur Toulouse en 1988 accompagné de mes 16 de moyenne.  

J’adresse un grand remerciement à tout ceux qui ont bien voulu croire en moi et m’ont soutenu jusqu’ici… surtout à ma petite amie qui aujourd’hui est devenue ma femme. 

Un budget spécifique

De retour sur l’île, j’ai eu mon premier contrat de travail à l’âge de 23 ans au sein de l’association départementale d’insertion pour les allocataires du RMI (Revenu minimum d’insertion). Par la suite, j’ai été affecté à la DAAF où je travaille depuis maintenant 24 ans. 

« Dans notre département je reste le seul non voyant à être agent d’accueil physique et téléphonique car tous les postes adaptés ont été supprimés. »

Accueillir le public, l’orienter vers les bureaux et bâtiments, telle est ma mission à la DAAF au siège social à la Providence sur Saint-Denis.   

Autonome dans mes déplacements, pendant plus de 20 ans je prenais le bus de la Citalis de mon domicile à la Montagne jusqu’au Jardin de l’état où m’attendait généralement une correspondance pour m’emmener au bureau. De même pour le trajet retour.

Pour ma sécurité et pour éviter au maximum les embouteillages, depuis environ 8 ans, j’ai fait ma demande auprès de ma direction pour la prise en charge de mes déplacements de transport car, dans toutes les administrations, il existe un budget spécifique pour les travailleurs handicapés. 

Transmettre sa passion

La formation pour le poste de standardiste n’existant plus, il est recommandé aux jeunes de nos jours de préparer un bac pro assistance conseil en communication. 

Je suis un agent d’accueil physique et téléphonique qui cependant a le privilège de former tout au long de l’année des stagiaires lycéens. 

Transmettre ma passion, communiquer et pouvoir échanger avec les autres me semble très important. Un moyen de sensibiliser le public sur le handicap et nos capacités. 

Dans notre département je reste le seul non voyant à être agent d’accueil physique et téléphonique car tous les postes adaptés ont été supprimés. 

Je dois reconnaître que dans les années 80, il y avait beaucoup plus de standardistes non voyants et mal voyants qui occupaient des postes d’accueil que ce soit dans les mairies du Port, de Saint-Denis, de Saint-Paul, à l’hôpital de Bellepierre ou à Saint-Pierre, au conseil départemental et régional, à la Caf, à la direction du travail, au siège du Crédit Agricole…   

La plupart d’entre eux sont des anciens élèves du centre de la Ressource que j’ai connus, qui actuellement sont à la retraite. 

Avec l’existence de la haute technologie, j’encourage et j’incite toutes les personnes déficientes visuelles à s’intéresser de près à cette option car le poste est bien adapté : un ordinateur avec synthèse vocale relié à un clavier AZERTY, un bloc-notes ainsi qu’une imprimante braille, un scanner, un dictaphone…

Le fonds d’insertion pour les personnes handicapées dans la fonction publique m’a toujours accompagné pour financer le matériel et les nombreuses heures de formation. 

Ne pas avoir peur

Je témoigne de mon expérience mais en même temps je veux faire passer un petit message aux personnes qui sont chez elles à broyer du noir. Leur faire comprendre que ça fait du bien de pouvoir travailler comme les autres personnes, sortir, bouger, participer aux activités proposées par des associations ou aller vers des médiathèques. Ne pas avoir peur.   

Il faut croire à son étoile et la faire briller autour de soi. J’accueille la grâce de dieu chaque jour, je vis et je fais ce que je peux selon sa volonté !

En dehors de mon travail, ce qui me passionne avant toute chose, c’est l’amour pour mes enfants et pour mon adorable femme qui m’ont toujours soutenu. Ils me donnent chaque jour la joie de vivre. Je suis un chef de famille, fier et très heureux.

Fier d’être Réunionnais

En deuxième lieu, ma passion pour la langue créole car je suis avant tout fier d’être Réunionnais. Comme je le dis souvent il ne faut pas oublier d’où l’on vient, où on est né et ne jamais rejeter ses propres racines. 

Je voyage souvent dans l’hexagone afin de pouvoir découvrir et différencier les cultures mais je reste fidèle à mon petit rocher volcanique précieux à mes yeux. 

La terre est le patrimoine inestimable laissé par nos ancêtres. Quoi demander de plus que le soleil, la plage et les belles balades en montagnes ?

Et même si je suis aveugle, je ne me laisse pas abattre, je suis un bon vivant.  

Vavangué sur Radio Arc-en-ciel

Animateur sur radio arc en ciel, j’anime une émission culturelle qui s’appelle Vavangé tous les samedis de 13h45 à 15h, andalonaz ek Alexain Cuvelier ek Jean Yves Cernaud. On reçoit des artistes (fonkézer, écrivain, des groupes de musique locale) ! 

C’est à Toulouse que j’ai découvert ma passion pour la musique, mon envie de partager autour de moi la culture réunionnaise, parler de mon petit coin de paradis.     

Je dois reconnaître que je garde de bons et merveilleux souvenirs de mon passage à Toulouse en compagnie de mes amis.  

Dans les années 80 à 90 notre musique et notre culture n’étaient pas connues dans l’hexagone surtout le maloya. C’est pour cela qu’on avait décidé de monter une association culturelle et une émission radio sur Canal-sud qui s’appelle Zambrokal qui est toujours animée par un déficient visuel : Jean Daniel Barège.

Le maloya à Toulouse

A Toulouse, on avait créé un groupe de maloya qui s’appelait Kayanbé. On reprenait des chansons de Firmin Vitry, Rozéda, Dédé Lansor, Daniel Waro…

On collaborait avec les étudiants de Toulouse, on a joué dans des bars, cafés, des soirées réunionnaises, antillaises et même à Marseille avec Danyèl Waro ! 

Par la suite j’ai joué au festival à Lorient avec le groupe créoloceltique Renésans. 

Au travail comme à la radio, je me sens bien, je me sens aimé des gens qui m’entourent.  

Je suis très heureux et fier de tout mon parcours. Je ne suis pas pressé d’être à la retraite car sur le plan professionnel j’ai énormément de savoir et de connaissance à partager.

Nicolas M’Tima

Voici le témoignage d’une personne non voyante qui cependant a su trouver sa place dans la société. 

De tout cœur avec nos lecteurs de Chronique dans le noir, nous lui souhaitons bien le meilleur. 

 Jean-Philippe Sevagamy

A propos de l'auteur

Jean-Philippe Sevagamy | Reporter citoyen

Jean-Philippe Sévagamy est non-voyant et membre actif de l'Association Valentin Haüy. Il surmonte son handicap en portant de multiples projets au profit des déficients visuels (DV). Il raconte comment « vivre dans le noir » pour les lecteurs de Parallèle Sud.

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