À L’HIBISCUS, PÉPINIÈRE AMÉNAGÉE (DEUXIÈME PARTIE)
Au cœur du village de Tévelave, se situe l’Hibiscus de Jean-Daniel Lépinay, un gaillard guide pays mais avant tout un grand maître botaniste et pépiniériste, étoilé par son ange gardien Thérésien Cadet. Malvoyant, il nous donne des leçons de la vie. Celles qui le côtoient au quotidien témoignent de son parcours pour surmonter sa maladie en adaptant son cadre de travail.
Jean-Daniel Lépinay est malvoyant et tient à transmettre sa passion aux autres. Il est plus que jamais déterminé, motivé. C’est un moteur essentiel pour notre patrimoine, surtout pour la sauvegarde de toutes nos plantes endémiques et indigènes.
Pour cette deuxième partie, j’ai voulu tendre ma plume aux gens qui lui sont proches. Ces personnes témoignent pour le remercier pour toutes ces années de combats passées à ses côtés.
Apprendre qu’il était malvoyant a été une surprise
Bonjour, Je m’appelle Laurence Limier, j’ai 32 ans et je suis ouvrière pépiniériste au sein de la Pépinière L’Hibiscus. Je suis titulaire d’un DEUG de Biologie-Ecologie et d’un Baccalauréat Professionnel en Horticulture.
J’ai découvert la botanique en 2013 et c’est devenu presque automatiquement une passion. En septembre 2021, je venais d’emménager sur le Tévelave, à la recherche d’un emploi dans le domaine de l’agriculture.
J’ai envoyé des candidatures dans plusieurs exploitations aux alentours de chez moi et Jean-Daniel a été le seul à me répondre de manière personnelle. Il regrettait de ne pouvoir m’embaucher mais m’encourageait à continuer mes recherches et m’invitait à passer visiter la pépinière. Ce que je fis quelques jours plus tard et ce fut ma première rencontre avec le monde des plantes endémiques et avec un de leurs protecteurs.
Jean-Daniel est tellement à l’aise au sein de sa pépinière… que je ne me rendis même pas compte qu’il était malvoyant !
Ce n’est qu’en revenant un an plus tard, à la recherche cette fois-ci d’un stage, que j’ai appris son handicap. Apprendre qu’il était malvoyant a donc été une surprise. Cela m’a provoqué de l’admiration bien sûr, pour son travail. Cela m’a aussi fait ressentir une certaine peine, me rendant compte, en le côtoyant, que perdre la vue c’est aussi perdre son autonomie, perdre une possibilité de jouir de la nature et plus particulièrement de la forêt pour un passionné de plantes…
Jean-Daniel est l’une des seules personnes porteuses d’un handicap important avec laquelle j’ai partagé mon quotidien.
Le milieu agricole est très dur
J’apprends donc un peu plus chaque jour à ses côtés ce que vit une personne handicapée. J’avais commencé à prendre conscience peu de temps avant notre rencontre que lorsque l’on est porteur de handicap, la société nous met de côté.
En tant que personne valide, même si on sait tout ça, on ne le vit pas, donc on ne se rend souvent pas vraiment compte du courage et de la détermination nécessaires au quotidien.
J’ai une vraie admiration et énormément de respect pour Jean-Daniel et pour ce qu’il a réussi à accomplir jusqu’à aujourd’hui. Le milieu agricole est très dur. On subit énormément de pression car on travaille avec du vivant et on est soumis aux conditions climatiques (donc on ne contrôle pas grand chose en fait…).
Pourtant ce que Jean-Daniel me transmet quand on travaille ensemble, c’est la beauté du métier de pépiniériste. L’amour qu’il porte à ses plantes et le respect qu’il a pour tous les êtres vivants qui croisent son chemin. C’est ce que j’ai ressenti dès mon premier jour en tant que stagiaire et ce qui m’a donné l’envie de continuer à travailler à ses côtés. Il m’a appris presque tout ce que je sais sur les plantes endémiques et indigènes réunionnaises et sur comment faire pousser un arbre.
Il continue à m’apprendre tous les jours le métier d’exploitant agricole. On a eu un énorme plaisir à recevoir les étiquettes en braille. Je ne lis pas le braille et je me demande bien comment on arrive à transcrire ces petits points par le toucher !
C’est en tout cas une vraie fierté de travailler au sein d’une exploitation qui aujourd’hui est la toute première pépinière ici à la Réunion à être étiquetée en Braille. Les grandes portes de l’Hibiscus sont ouvertes aux personnes à mobilité réduite.
Laurence Limier
S’adapter à l’aggravation de la maladie
Bonjour, Je m’appelle Emilie Bonhomme, j’ai 40 ans et je suis assistante de gestion indépendante. J’habite dans les hauts du Tampon et je travaille pour la Pépinière L’Hibiscus depuis 2 ans maintenant.
Je suis titulaire d’un BTS assistante de gestion PME-PMI et d’un BTS en commerce international. J’ai été assistante de gestion dans le bâtiment pendant 18 ans et il y a 2 ans j’ai décidé de me mettre à mon compte. J’ai pris cette décision car j’ai deux garçons et mon dernier qui va avoir 7 ans est porteur aussi d’un handicap (troubles dys et TDAH).
Cela devenait difficile de jongler entre un travail à plein temps et de l’emmener aux différents rendez-vous de suivi qu’il avait par rapport à son handicap.
J’ai connu Jean-Daniel il y a environ 5 ans. Je travaillais pour le bureau d’études Leu Réunion à St-Pierre. C’était un bureau d’études spécialisé en aménagement urbain et paysager. Le cogérant Michel Reynaud était un passionné de la nature et des plantes et menait à son échelle des « combats » pour préserver la biodiversité locale. Il y a 5 ans, Leu Réunion a été le bureau d’études qui a réalisé les plans de réaménagement de la pépinière de M. Lépinay.
A l’époque la pépinière n’était pas du tout structurée au niveau de son aménagement. M. Lépinay n’avait pas de « vrai bureau » et de toilettes et les allées étaient en terre. L’aménagement a consisté à créer des allées, à rendre la pépinière accessible aux personnes à mobilité réduite et à mettre des bandes blanches sur les cheminements notamment pour favoriser le déplacement de Daniel dans la pépinière par rapport à son handicap visuel. A cette époque je m’étais occupée de l’administratif lié à ce dossier.
Assistance administrative
On avait eu un très bon échange avec Jean-Daniel au téléphone. Je trouvais déjà que c’était une personnalité attachante. J’avais appris pour son handicap et j’étais d’autant plus admirative mais je ne me rendais pas vraiment compte à l’époque à quel point son travail demandait du courage et des efforts.
Quand je me suis mise à mon compte il y a 2 ans, un de mes clients était l’entreprise qui avait réalisé les aménagements à la pépinière de M. Lépinay en 2019. Il m’a dit que l’assistante indépendante de M. Lépinay avait arrêté son activité et que ça l’intéresserait certainement de travailler avec moi. J’ai pris contact avec lui et je suis allée à la pépinière.
Il m’a fait visiter et m’a expliqué son travail. Je crois que c’est à ce moment-là que je me suis rendu compte de l’importance de son travail pour participer à la préservation de la ressource et de la biodiversité locales. Je me suis aussi rendu compte de l’effort que cela demandait vis-à-vis de son handicap visuel. J’étais d’autant plus admirative. Et même si normalement je suis spécialisée en BTP et en marché public j’ai accepté sans hésiter à le prendre comme client.
Je l’aide dans les tâches administratives pour la réalisation des devis, des bons de livraison et des factures. Avant l’arrivée de Laurence on avait aussi mis en place une gestion informatique des stocks. Ce n’était pas le cas avant et c’était très compliqué de répondre aux demandes de devis sans savoir si le stock était disponible. Je montais environ une fois tous les 2 mois pour faire une mise à jour en comptant le stock sur place.
Perte progressive de la vision
C’est maintenant Laurence qui s’occupe de cela et m’envoie par mail le stock à jour. De mon côté je le fais suivre à nos clients habituels qui sont principalement des entreprises d’aménagement paysager, des communes et le Parc National. Il y a aussi des particuliers avec les subventions DAAF. Cela leur permet de voir nos disponibilités et de passer des commandes suivant leurs besoins.
Enfin, je m’occupe de réaliser les demandes de subventions. Par exemple pour pouvoir embaucher Laurence nous avons fait une demande d’aide auprès de l’AGEFIPH. La maladie de M. Lépinay, la rétinite pigmentaire, est une maladie dégénérative de l’œil qui se caractérise par une perte progressive et graduelle de la vision évoluant généralement vers la cécité. Depuis un an, sa vue a beaucoup baissé. Il devenait presque impossible pour lui de continuer tout seul. Dans une pépinière beaucoup de choses sont liées à l’observation (voir si les plantes sont attaquées par des parasites, voir l’envahissement par des invasives, accueillir les clients, leur rendre la monnaie…).
Notre demande d’aide a été acceptée et ce fut une aubaine de trouver quelqu’un de passionné comme Laurence et qui en plus habitait au Tévelave !
Nous avons fait également une demande de subvention avec le Gal Grand Sud pour poursuivre l’aménagement de la pépinière et continuer à améliorer l’accueil des personnes avec un handicap visuel. Un éclairage solaire a été mise en place grâce à ces subventions mais aussi on a pu faire l’acquisition auprès de Polymorphe Design, une société spécialisée dans l’information sensorielle, de panneaux indiquant le nom de chaque plante endémique à la pépinière et sous chaque nom celui-ci est retranscrit en braille. Une fierté pour M. Lépinay de pouvoir accueillir à la pépinière les personnes malvoyantes avec ces nouveaux panneaux.
Maintenant la prochaine étape est de demander une subvention pour adapter son matériel informatique. Il a un écran grossissant et un clavier à grosses touches mais avec l’accélération de sa maladie cela n’est plus suffisant. Une évaluation serait faite mais il y aura certainement besoin d’un logiciel de dictée et de lecture vocale afin que M. Lépinay puisse continuer son activité et garder une « certaine autonomie » car le but n’est pas dans la mesure du possible qu’il dépende totalement de ses assistantes même si bien sûr nous le faisons avec un grand plaisir .
Emilie Bonhomme
Plongée dans un parcours sensoriel
Bonjour, moi c’est Camille de la Réunion pour tous.
Malvoyant, Jean-Daniel a développé la capacité de vous faire entendre les couleurs, toucher les bruits de ses plantes endémiques et sentir les formes de ses fleurs indigènes.
A travers un parcours sensoriel, vous plongerez dans l’histoire de la flore réunionnaise, bercés par les innombrables anecdotes végétales et historiques transmises avec passion par sa voix ou langue des signes.
Cet écrin de verdure, magique et accessible à tous, participe à la transmission du patrimoine de notre île…
Bravo et merci Jean-Daniel.
A bientôt.
Camille Coulombel
Comment retrouver des repères
Déjà 10 ans…
Je m’appelle Laetitia Dixmerias, je suis instructrice de locomotion. C’est-à-dire que je travaille auprès de personnes en situation de déficience visuelle pour les aider à retrouver ou développer une autonomie de déplacement.
Ainsi, Jean-Daniel a poussé la porte du SAMSAH DV, (Service d’Accompagnement Médico-Social pour Adultes Handicapés Déficients Visuels), service d’accompagnement à domicile de l’IRSAM au sein duquel je suis salariée.
A cette époque, Jean-Daniel était orienté vers notre structure car, une baisse visuelle importante l’avait mis en grande difficulté dans sa vie quotidienne. Ensemble, nous avons œuvré pour lui permettre de retrouver des repères dans ses déplacements en utilisant son reste visuel le plus efficacement possible mais également, son potentiel auditif et toute l’analyse multi sensorielle de l’environnement urbain.
Il a également rencontré l’outil de compensation : canne de détection. Trop souvent et de façon désuète appelée « canne blanche ». En effet, il ne s’agit plus du simple bâton blanc utilisé pour se signaler et autrement nommée « canne de signalement ». La canne de détection possède un embout roulant permettant de détecter tous les obstacles au sol et dont l’utilisation en déplacement nécessite un apprentissage auprès d’un instructeur de locomotion diplômé.
Voilà, Jean Daniel entrait dans ce nouveau monde d’outils et de stratégies de compensations à la déficience visuelle et parallèlement, nous faisait entrer dans son monde-botanique constituant bien plus qu’une passion mais l’essence même de toute une existence.
Néanmoins, au cours de ce parcours auprès du service, Jean Daniel ne s’est évidemment pas contenté d’œuvrer que pour lui. Toujours animé par le partage, il s’est très vite saisi de sa connaissance du service pour élaborer et mener à bien son projet de rendre accessibles sa pépinière, ses connaissances et son coin de paradis où toute personne, quel que soit son âge et sa situation de handicap, est toujours accueillie avec chaleur
Alors voilà, écrite ainsi sur une feuille de papier blanche l’histoire parait simple. Mais cette aventure a été parsemée de nombreuses embuches,(administratives, financières, médicales, climatiques, psychologiques).
J’ai rencontré un être d’exception animé d’un courage sans faille. Toujours ouvert à l’autre malgré le tumulte d’événements venant l’ébranler et pouvant provoquer une profonde tristesse, Monsieur Jean-Daniel ne se plaint jamais et garde la tête haute porté par sa foi.
Merci à la vie pour cette belle rencontre qui m’a permis de rencontrer un ami que j’ai tenu à faire découvrir à toute ma famille qui est aussi tombée sous le charme de cet endroit rendu magique par son propriétaire, « la pépinière l’Hibiscus du Tévelave ».
Laetitia instructrice en locomotion
Merci à vous Mesdames pour ces beaux témoignages qui font chaud au cœur.
Il est vrai que notre ami Jean-Daniel est réellement une personne que j’apprécie énormément car il a le même objectif que moi, la même passion, le même combat, la même détermination.
Il possède et transmet naturellement son savoir expérientiel aux autres.
Je l’ai rencontré à deux reprises avec le SAMSAH DV. Je peux vous certifier que notre ami Jean-Daniel est un grand homme qui mérite la médaille du siècle.
Parallèle Sud ainsi que moi-même nous lui souhaitons le meilleur pour la suite.
Et au nom de toutes les personnes déficientes visuelles de notre île, on te remercie Jean-Daniel Lépinay d’être aujourd’hui le premier promoteur d’une pépinière entièrement accessible et qui mérite des applaudissements pour l’adaptation des étiquettes en Braille et en gros caractères.
Jean-Philippe Sevagamy