N’AYONS PAS PEUR DES MOTS
Parallèle Sud accueille dans ses colonnes les critiques d’un dévoreur de phrases qui peut passer pour un sacré pinailleur.
Boire ou voler, il faut choisir. Pour l’avoir oublié, l’auteur du cambriolage à la permanence de Jean-Hugues Ratenon, le 9 novembre dernier, était sommé cette semaine de s’expliquer devant la justice. Il apparaît qu’au moment des faits, l’homme n’avait pas bu que de l’eau de Vittel. Et c’est là qu’est le hic !
Voilà en tout cas qui me donne l’occasion d’aborder une question de français qui a soulé plus d’un journaliste indécis : doit-on dire « sous l’emprise de l’alcool » ou « sous l’empire de l’alcool » ? L’usage a souvent bien du mal à faire le choix entre ces deux paronymes aux contours flottants.
Longtemps banni par les puristes, le mot « emprise » a été admis par l’Académie en 1932 au sens de « domination exercée par une personne sur une ou plusieurs autres et qui a pour résultat qu’elle s’empare de son esprit ou de sa volonté », laissant à « empire » l’acception voisine de « domination sur les choses, influence exercée sur une personne ». En résumé, le premier aurait une connotation morale, intellectuelle, dont serait dépourvu le second. Il conviendrait donc de parler de l’emprise d’un père, d’un gourou, mais de l’empire de la mode, de la drogue ou comme dans le cas présent, du rhum charrette.
Je le reconnais, la nuance n’est pas toujours facile à saisir. Au point que dans le langage courant, « emprise » a aujourd’hui pris un net ascendant sur « empire ». Si bon nombre de linguistes ont admis ce glissement de sens, d’autres ne sont toujours pas décidés à mettre de l’eau dans leur vin et persistent à opérer une distinction stricte entre les deux termes.
Inutile combat d’arrière-garde ? Je le crains. Comme je vous l’ai dit, l’usage a déjà poussé le bouchon très — trop ? — loin. Y compris dans les médias, comme en témoignent ces exemples tirés de la presse numérique du jour :
— « … ce lundi 21 novembre, à une peine de 100 jours-amendes, par le tribunal de Villefranche-sur-Saône, pour conduite sous l’emprise de stupéfiants. » (Le Progrès)
— « … avait été donné à La Carrière de Saint-Herblain, pour la projection d’un film sur les conséquences d’une conduite sous l’emprise de drogues et d’alcool. » (Ouest-France)
— « … à un contrôle de police alors qu’il conduisait, un véhicule non assuré, sous l’emprise de stupéfiants et après avoir perdu son permis de conduire. » (Le Républicain lorrain)
Autant de faits condamnables — et condamnés — dont je ne vous conseille évidemment pas de vous inspirer. Même pour un empire.
K.Pello
Pour poursuivre le voyage dans le labyrinthe de la langue française, consultez le blog : N’ayons pas peur des mots