L’ARTISANAT BRIDÉ À L’EXPORT
Depuis près d’un an, La Poste est en charge de la taxation des colis postaux. Dans le sens Réunion-Hexagone, c’est dès le premier euro pour les professionnels à quoi s’ajoutent des « frais de dossier ». Un dispositif qui remet en cause la filière e-commerce locale et une partie de notre économie.
« Je n’en dors plus la nuit, et je passe mes journées à répondre aux plaintes, à expliquer aux clients », résume Catherine Ronot, créatrice et patronne de Fleur des Tropiques. La micro-entreprise s’est fait une spécialité de la vente en ligne de plantes vivantes, de graines et de petit artisanat. Mais depuis que La Poste est en charge de la taxation des colis, les clients sont mécontents et les retours affluent, jusqu’à mettre en danger la petite entreprise. Tout comme l’ensemble de la filière e-commerce réunionnaise.
« J’ai commencé sur E-Bay en 2002 après avoir passé un brevet de technicien agricole au CFPPA de Saint-Joseph. Je commercialisais des petites plantations et de l’artisanat, comme des robes de poupées que je cousais, raconte la cheffe d’entreprise. Un jour, j’ai vu des graines de palmiers à vendre, c’est là que m’est venue l’idée, il suffisait de les ramasser. » L’entreprise est enregistrée à la chambre de commerce en 2004 et un site internet créé dans la foulée.
Tourisme à distance
Depuis, Fleur des Tropiques poste graines, plantes et artisanat dans le monde entier, aux Antilles, en Europe, et bien sûr en France hexagonale pour 90 à 95 % de ses commandes. Et a embauché trois personnes à temps partiel. « Tout s’est toujours bien passé, on ne vend que de belles choses », souligne Catherine Ronot, forte de ses 50 000 avis positifs sur E-Bay. Vendre des plantes, des fleurs, des produits alimentaires ou de l’artisanat local, c’est aussi vendre un peu de La Réunion à des touristes potentiels, ça permet aux métropolitains de profiter d’un peu de notre soleil… « Je fais rayonner La Réunion à l’extérieur », estime Catherine Ronot.
Non assujettie
Mais, depuis que La Poste est en charge de la taxation, les colis sont taxés dans le sens Réunion-Hexagone pour les professionnels dès le premier euro. Ce qui fait que M. Dijoux, habitant de l’Hexagone, doit payer TVA et « droits de présentation à la douane » en plus du prix de ses deux petits pots de piment la pâte et des frais de port. Il a renoncé à son petit plaisir. A d’autres, La Poste demande en plus de 15 euros de droits de présentation 5 euros de TVA pour 26,20 euros de marchandises ou 17 euros pour une plante à 9,90. Les colis ont été retournés, et La Poste est allée jusqu’à demander à l’expéditrice de payer les taxes d’entrée sur le territoire hexagonal pour une plante morte depuis longtemps dans ses entrepôts. La question est d’autant plus ubuesque que Fleur des Tropiques est une micro-entreprise non assujettie à la TVA.
Catherine Ronot approche de l’âge de la retraite et ses deux enfants qui travaillent avec elle avaient prévu de reprendre l’entreprise dans deux ou trois ans. Mais depuis ces difficultés, ils pensent renoncer. Fleur des Tropiques n’est pas la seule entreprise confrontée à ce problème. Le Comptoir Mélissa n’envoie plus de bouquets de fleurs tropicales. « Heureusement, cette activité n’était pour nous qu’un complément », indique Emmanuelle Sablé, la gérante. « C’est impossible de devoir justifier auprès de nos clients un surcoût des deux tiers du prix, on a l’impression de voler les gens », poursuit-elle.
Colipays aussi
Du côté de Colipays, le mastodonte du secteur, on a investi dans un logiciel qui calcule à l’avance les frais de douane pour les facturer au client local. « On ne peut faire payer le destinataire pour qui il s’agit d’un cadeau. Et même si on ne répercute pas toute la TVA, même si cette dernière est minorée quand il s’agit de fruits, même si on ne nous demande pas les frais de présentation à la douane, on a perdu 20 % de nos clients pendant la période des fêtes et 50 % le reste de l’année », explique Nicolas Ethève, à la direction de Colipays.
Quant à faire une réclamation, c’est encore plus difficile qu’un parcours du combattant. « La réclamation en ligne, déjà introuvable avant sur le site de La Poste, est désormais désactivée », témoigne Catherine Ronot. « Il y a bien le 3631, qui renvoie au 3634 réservé aux professionnels, mais où personne ne répond », poursuit-elle. Nous évoquions ce problème déjà dans un précédent article.
Et même pour les politiques, une amélioration du système se présente avec difficultés. Karine Lebon, députée de l’Ouest, avait été contactée par Catherine Ronot. Elle nous a expliqué que cette règlementation dépend de l’Europe et qu’elle a informé ses collègues du parlement européen. « Même avec le ministre, il y a peu d’espoir », regrette la députée. Qui ajoute : « En effet, c’est clair que ça met en danger nos exportations, et ça empêche nos entreprises de progresser. Si on ne trouve pas de solution, nombre d’entreprises locales vont mourir. »
Philippe Nanpon