RASSEMBLEMENT INTERDIT À TERRE-SAINTE
Le samedi 14 octobre, une vingtaine de personnes se sont réunies sous un kiosque, à Saint-Pierre, pour parler et montrer leur soutien au peuple palestinien. L’invitation avait été relayée deux jours plus tôt par la page FaceBook du QG Zazalé. Et interdite la veille par un arrêté préfectoral particulièrement choquant.
On a rarement fait plus dans la caricature et la mauvaise foi. Un arrêté préfectoral daté du 13 octobre interdit une « manifestation » en soutien au peuple palestinien près du Pilon de Terre-Sainte, une manifestation qui s’est transformée en réunion sous un kiosque de la rivière d’Abord. Y participaient des citoyens tout à fait ordinaires, quelques Zazalés, des membres du Collectif Réunion Palestine Solidarité, et même une personne de confession juive. Et pour justifier un possible trouble à l’ordre public, seule raison valable d’interdire une manifestation (voir notre article publié le 7 avril 2023), la préfecture va jusqu’à assimiler les Zazalés à des soutiens de terroristes islamistes.
La démonstration est alambiquée. A l’évidence, Jérôme Filippini, le préfet de La Réunion signataire de l’arrêté, et sa directrice de cabinet Parvine Lacombe, qui semble en être la rédactrice, n’ont pas appris à lire avec les même manuels que moi. « Considérant que le collectif QG Zazalé a communiqué sur les réseaux sociaux son soutien sans ambiguïté au peuple palestinien et par là même aux actions auxquelles ont participé des organisations reconnues comme terroristes par l’Union européenne, notamment le Hamas, le Jihad islamique palestinien et le Front populaire de La Palestine… » Ben non Mme Lacombe, il n’y a de « par là même » que dans l’esprit du lecteur, de la lectrice en l’occurence : apporter son soutien au peuple palestinien n’est en rien légitimer ou approuver la tuerie du 7 octobre. En quoi, Mme Lacombe et M. Filippini, vouloir que les bombes cessent de pleuvoir sur des enfants serait être d’accord avec des attaques en effet « particulièrement barbares »?
Suit dans l’arrêté préfectoral une citation anti-raciste vue sur la page FB du QG des Zazalés («… mélanz pa ethnie èk idéologie. ») , puis une autre contre la politique coloniale de l’Etat d’Israël (qui peut nier les implantations de colons en Cisjordanie à l’encontre du droit international ?), à quoi M. le préfet et sa directrice de cabinet estiment « que, par conséquent, ce soutien va de pair avec une légitimation des méthodes terroristes que l’association s’efforce de justifier ou de minimiser au motif qu’il s’agit d’une forme de résistance nécessaire ; » Encore une fois, il n’y a de « par conséquent » que dans l’imagination de celui qui voudrait justifier une interdiction.
La « résistance » interdite aux Palestiniens
Arrêtons-nous sur cette question du terme « résistance ». Tout d’abord, « en arabe, hamas signifie ‘zèle, ferveur’. Mais Hamas est également l’acronyme d’une expression arabe qui peut se traduire par ‘mouvement de résistance islamique’ » (source Orthodidacte Le dictionnaire, Wikipedia dit la même chose). Notons que quand des partis politiques comme le NPA ou LFI parlent de résistance (tout en condamnant les tueries du 7 octobre), ils sont poursuivis par le ministre de l’Intérieur ; quand il s’agit de Michel Yakovleff, un général de plateau TV, sur LCI, ça passe crème.
On peut d’ailleurs tout à fait considérer que résistance et terrorisme peuvent aller de pair, que le Hamas a utilisé les méthodes les plus ignobles et terroristes le 7 octobre, résistance ou pas. Mais si le terme de « résistance » pose problème à nos gouvernants, c’est qu’il sous-tend que le peuple palestinien aurait des raisons de se plaindre.
Interdiction illégale à Paris
Pourtant, des manifestations pour soutenir le peuple palestinien, il y en a partout dans le monde, des manifestations qui restent tout à fait pacifiques. De New York à Londres, en passant par de grandes villes européennes et jusqu’à Tel Aviv. Comme ça a été le cas jeudi à Paris, après que le tribunal administratif a déclaré illégale la décision d’interdire une telle manifestation.
Alors, quand l’arrêté de la préfecture de La Réunion considère qu’ « une telle manifestation est susceptible de générer des heurts et affrontements entre tenants et opposants du Hamas et d’Israël », on reste sans voix. S’il y a des tenants et opposants du Hamas et d’Israël dans l’île, il faut le prouver et nous le dire.
A moins que « la tenue d’une manifestation de soutien au peuple palestinien constitue, en elle-même (sic), une atteinte à la dignité humaine et un trouble à l’ordre public… » Voilà ! Vingt personnes très sages qui discutent entre elles de la situation des Palestiniens constituent « un trouble à l’ordre public et une atteinte à la dignité humaine », d’après la préfecture. Quoi qu’en dise Parvine Lacombe dans notre interview du 7 avril à la question de qui décide en dernier lieu, le préfet ou le ministère ? : « Le préfet est le plus à même d’estimer localement quelle est la bonne décision à prendre », permettez-nous de douter.
Philippe Nanpon
NB: Réunion Palestine organisait pour dimanche 29 octobre un rassemblement au Port. Si cette association n’est pas soupçonnée de soutenir le terrorisme islamique, sa manifestation n’en est pas moins interdite elle aussi. A cause des « rodéos à motos », argue cette fois la préfecture dans son arrêté d’interdiction.