Deuxième jour d’expédition avec le botaniste Rémi-Paul Grondin. Entre orchidées rares, palmistes oubliés et traces invisibles du maronage, une journée de marche intense.
Dans les forêts escarpées des très hauts de Salazie, le botaniste Rémi-Paul Grondin poursuit ses objectifs : inventorier la biodiversité, repérer les espèces rares, comprendre l’écosystème dans une « maille (1km/1km) » encore vierge de données et traquer les indices ténus du royaume des marons… mais aussi vivre une aventure humaine entre amis.
Samedi 12 juillet. Le deuxième jour de l’expédition commence dans la fraîcheur du bivouac. Avec Rémi-Paul Grondin et son camarade, nous reprenons notre marche à l’assaut du rempart au pied duquel nous avons établi notre camps de hamacs. Nous scrutons la végétation à la recherche d’espèces rares ou d’indices de maronage.
Le terrain est raide, glissant, sans sentier : l’effort est total. «C’est une journée très physique… escalader les remparts, passer des ravines… assez difficile avec le sac. » Dès les premiers mètres, Rémi-Paul identifie du bois cassant, des orchidées sur des branches mortes, et commente l’évolution des milieux traversés. Son œil de botaniste ne lâche rien : le carnet s’ouvre à chaque changement de strate forestière.
Un palmiste noir caché dans la forêt
Ce deuxième jour est dédié à la prospection scientifique. À la mi-journée, arrivés au pied du rempart du Piton des Neiges, barrière verticale impossible à escalader sans équipement, nous surplombons de gigantesque plateaux qui se sont décrochés du massif dans des temps lointains à l’échelle géologique. En embrassant tout le paysage du cirque, nous devinons comment les marons ont pu s’y installer loin de la société esclavagiste des bas.
Nous prospecterons deux plateaux dans l’après-midi, le premier est couvert de mahots rouges et le second est plus diversifié et plus plat avec des fanjans et plus de clairières propices à l’envahissements de pestes exotiques, raisins marons, bégonias, goyavier…
Parmi les trouvailles : Rémi-Paul glisse entre les pages de son carnet la tige d’une espèce qu’il ne reconnaît pas, probablement exotique. Son camarade repère un rare palmiste noir (Acanthophoenix crinita), haut de 7 mètres. «C’est devenu très très rare dans ce milieu à cause de l’exploitation » : Rémi-Paul rappelle que ce palmiste était prisé des marrons qui s’en nourrissaient.
En quête d’un abri sous roche
Il marque un arrêt devant une cavité sous un rocher en surplomb : Peut-être les vestiges d’un abri sous roche, peut-être un simple accident naturel. « Il faut toujours porter attention à ce genre de détail. Si on voit plusieurs choses qui ressemblent à une terrasse aux alentours, ça peut faire penser à un village », commente-t-il. Mais dans ces hauteurs froides, aux sols pauvres et aux accès vertigineux, l’installation durable semble peu probable. Rémi-Paul explique : « Plus bas, il y a des secteurs plus faciles d’accès, tout aussi cachés des chasseurs de marons. Pourquoi aller aussi loin ? »
S’il cherche des traces en des lieux aussi inaccessible c’est aussi parce que les villages marons, qui ont probablement été établis à plus basse altitude n’ont laissé aucune preuve de leur existence. « On n’a jamais trouvé de village de marons… Toutes ces traces sont aujourd’hui recouvertes par le béton et les parcelles agricoles », déplore le passionné d’histoire.
Au fil d’une progression éprouvante, entre orchidées rares, palmistes oubliés et plateaux inaccessibles, la nature livre peu à peu ses secrets. Rémi-Paul identifie 65 espèces sur son carnet, et peut-être plus : « C’est plus facile quand on est plusieurs botanistes. » Il arrache une espèce invasive isolée. Puis il parle de quelques plantes comestibles, comme la canne marron, des mini-fougères et certains fruits « même s’ils ne sont pas très bons ». Mais les traces humaines, elles, restent insaisissables.
Renversement des rôles
Le soir venu, au campement, Rémi-Paul renverse les rôles. C’est lui qui m’interroge. Je lui dis qu’il m’en a fait baver avec son camarade. Je m’essoufflais pour suivre leur rythme d’escalade. « J’ai mangé un peu de forêt aujourd’hui.J’en avais dans les oreilles, le nez et la gorge. » J’avoue que je suis incapable de retenir tous les noms scientifiques qu’il a cités pendant l’exploration. J’arrive juste à repérer les pestes végétales : « J’ai l’impression que je m’aguerris un peu… Je suis le candide derrière vous. »
Quand il m’interroge sur les marons, je fais le lien avec ce que j’ai pu voir à Madagascar à l’écart des grands axes. « Tu es Malgache, tu as ton savoir-faire des montagnes de Madagascar, tu te retrouves ici pendant la période de l’esclavage… Pour échapper à l’emprise coloniale des bas, c’est évidemment vers la montagne que tu vas retrouver ta liberté. »
Lui, est bien plus expert que moi. Il tiendra une conférence intitulée « Expédition en maronage, mode de vie extrême et milieux naturels d’exception » le 14 octobre à la médiathèque de Saint-Benoît. Il y racontera ses explorations, ses reconstitutions, et comment la botanique peut éclairer la mémoire du maronage.
Ce sera plus accessible que la scène haut-perchée de notre expédition.
Franck Cellier
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