TRANSITION ÉCOLOGIQUE ET CITOYENNE
Après les discours sur l’urgence écologique, en même temps que la propagation des « Pactes de transition citoyenne » dans diverses collectivités, le quartier sainte-marien de Terrain Elisa veut donner l’exemple. Il se définira dès 2023 comme le premier « éc(h)ovillage » de La Réunion.
Un écovillage à Sainte-Marie, une expérimentation en temps réel sur 1 600 hectares et 2 100 habitants ! Pourtant, il n’y a pas (encore) de préfet, de maire, de député ou de président(e) de collectivité régionale… Pas de ruban à découper.
Léo Kichenassamy-Alamelou est juste entouré de trois membres actifs de sa vieille association, Afie (Association pour la formation et l’insertion des exclus), Tuckson Jean, Sandrine Kapfer et Ilona Bidois, pour présenter un projet qui mobilise tout ce que le monde institutionnel compte d’experts de la citoyenneté, de l’écologie et du développement durable : de l’ONU à la municipalité en passant par l’IRD…
C’est conceptuel… dit-on quand on a du mal à définir précisément l’objet. En effet, il a bien fallu trois heures d’une discussion seulement interrompue par la faim pour embrasser l’ensemble de cet éc(h)ovillage. Déjà, il faut rajouter un « h » entre parenthèses pour dire que le futur Terrain Elisa se construit sur l’histoire de l’ancien Terrain Elisa, « en écho à l’existant ». Ce qui le différencie de la plupart des autres écovillages qui sont des créations de communautés visant à l’autonomie alimentaire et énergétique.
Léo porte le même nom que la rue dans laquelle est installée l’Afie. C’est déjà le signe d’une profonde attache avec ce coin de Réunion. Il évoque « 6 ans de travail en misouk » pour préparer cette naissance d’éc(h)ovillage annoncé pour le premier trimestre 2023. Il y aura une arche à l’entrée, là où a vécu (et a été abondonné) le « Village Bienvenue », espace naguère dédié à la défunte Cité des Dirigeants.
« Perversité », « rédemption », « washing »…
Plutôt que 6 ans, comptons au moins 25 ans de travail associatif dans le quartier : un quart de siècle jalonné de bons et mauvais moments, d’embrouilles politiques et de réconciliations. Bref des décennies d’expérience dans le social, le relationnel, l’insertion, le développement… « J’ai passé quelques années au cabinet d’une mairie pour observer la perversité politique », balance Léo Kichenassamy.
Parfois, il prononce des mots provocateurs comme ça. Par exemple il qualifie de « rédemption » la participation des grandes familles de l’économie locale aux oeuvres sociales. Pour se faire pardonner les sales histoires de domination et d’humiliation du passé… Il assume d’obtenir le soutien de ses projets par « social washing » ou « green washing » plus que par un engagement sincère.
Peu importe, pourvu que ça serve une oeuvre à laquelle, lui, il croit dur comme fer. S’il n’est pas dupe des faiblesses de chacun, il est surtout respectueux. Trois heures de discours et pas une seule critique personnelle. On imagine pourtant que les querelles politiques à la mairie de Sainte-Marie n’ont pas facilité les projets de l’Afie. Mais pfft… « Tout va bien, la mairie nous comprend », raconte le chef de projet de l’éc(h)ovillage.
On ne peut pas parler de l’éc(h)ovillage sans faire référence au « Pacte de transition citoyenne », dont Léo Kichenassamy est le représentant régional pour La Réunion et l’océan Indien. Ce PCT est un contrat proposé aux élus dans lequel il s’engage à mettre en oeuvre une trentaine de mesures. La présidente de Région l’a signé, ainsi que quelques maires de l’île. Ces engagements doivent ensuite être vérifiés et évalués.
63 000 signatures sous le pacte de transition citoyenne de l’océan Indien
« Le pacte de transition citoyenne est signé par 63 000 personnes à La Réunion, Mayotte et Madagascar. Trois quarts de ces signatures sont réunionnaises. Il est adopté par 1748 associations », précise le représentant. Il évoque le temps long du développement durable, les échéances de 2030 puis de 2050 comprises dans l’agenda des conférences pour le climat…
L’éc(h)ovillage se veut donc la traduction sainte-marienne du Pacte de la transition tant écologique que citoyenne. Des « beaux discours », pense-t-on. Quoi de concret derrière les intentions ? Plein d’initiatives… Allons circuler sur les routes de Terrain Elisa en compagnie des membres de l’Afie pour voir de quoi il en retourne. « Actuellement l’Afie ne compte que 6 salariés mais nous avons budgétisé 63 postes à partir de l’année prochaine, dont 14 chefs de projets. Le budget d’amorçage s’élève à 18M€. Nous avons déjà défini 148 projets : des épiceries sociales bio, de l’agroforesterie, de la permaculture, des logements en container, le développement d’une Amap péi (Association pour le maintien de d’agriculture paysanne ) »…
Léo Kichenassamy s’arrête au pied des premiers immeubles de Terrain Elisa, les 64 logements de l’opération SIDR des Saints-Patrons ont été livrés il y a quelques mois. « Au rez-de chaussée, il y aura une épicerie associative bio pour mettre le bio à portée de tout le monde ». Du siège arrière Tuckson Jean demande de redémarrer à cause de la présence de « poil à gratter ». « Les habitants se sont plaints des malfaçons sur Freedom », ajoute Sandrine Kapfer.
Tout n’est donc pas rose dans l’évolution récente de Terrain Elisa. « En plus ce sont des familles extérieures au quartier qui ont eu les logements », confie Léo… Mais la démarche de l’éc(h)ovillage sera censée rendre les années à venir plus citoyennes, plus écologiques, plus durables… et avec la participation active des habitants. Même les ratés peuvent se valoriser : l’Afie va en effet récupérer les milliers de bacs marrons de la Cinor, initialement prévus pour collecter les biodéchets , afin de les recycler en réserves d’eau de pluie.
Tous les 100 mètres, Léo Kichenassamy évoque l’un des projets : la valorisation de l’espace boisé de la « ravine caca », ti-nom évocateur — et lourd d’histoire — de la ravine Charpentier ; un futur sentier de pèlerinage menant au Piton Charpentier ; un hommage à Anne Mousse, première native de La Réunion ; une centrale photovoltaïque sur 2,5 hectares ; le soutien aux « écoconstructions » des citoyens volontaires…
A ce sujet, il se gare devant la maison en containers de la famille Robigeau. Le père de famille, Stéphane, est fier de montrer comment il a réussi, avec l’Afie et l’agence de développement Nexa, à construire un logement moderne, confortable, pas cher et économe en énergie avec des matériaux recyclés. « C’est un exemple qu’on va pouvoir reproduire », espère Léo en reprenant le volant.
La route semble encore longue vers le modèle de l’écovillage mais elle est déjà jalonnée d’exemples. On reviendra…
Franck Cellier