Agriculture canne à sucre pesticide engrais

Dominique Clain, président de l’UPNA défend les planteurs de canne face aux industriels

Cette semaine, planteurs de canne et industriels ont tenté de s’entendre sur des montants de garanties, destinés à sécuriser les recettes des planteurs. La production, touchée à la fois par les derniers cyclones, est aussi synonyme d’une hausse des coûts pour les agriculteurs qui peinent à compenser leur manque de main-d’œuvre. Le président de l’UPNA, Dominique Clain, a souhaité défendre les intérêts des agriculteurs, au micro de Parallèle Sud.

La filière canne regroupe aujourd’hui 2 600 canniers pour 19 000 hectares. Il y a environ cinq ans, cette filière représentait 25 000 hectares. Pourtant, les aides de l’État ne suffisent pas à compenser les pertes financières des planteurs, liées aux aléas climatiques et à l’inflation globale des prix. Ce mardi, une réunion de négociation a été organisée entre syndicats agricoles et industriels, mais aucun accord n’a été trouvé. Dominique Clain, planteur de canne dans l’Est et président de l’UPNA (Unis pour nos agriculteurs) nous a donné son explication de cette crise, mais aussi les risques et espoirs que portent les planteurs pour continuer leur activité, à bout de bras.

Dominique Clain président de l'UPNA
Dominique Clain, Président de l’UPNA (Unis pour nos agriculteurs)

Pouvez-vous vous présenter ?

Je suis Dominique Clain, planteur de canne dans l’Est et président de l’UPNA (Unis pour nos agriculteurs).

Les planteurs de canne connaissent une baisse des tonnages et des recettes de leur production sur les dernières années. À quoi est-ce dû ?


Il y a eu le cyclone Garance, et les épisodes de sécheresse. Et vu les dégâts que cela a causés sur la canne, ça va être très compliqué de remettre la filière sur pieds comme avant. Mais ce déclin ne date pas de cette année. On a eu Garance cette année, l’année dernière on a eu Bélal. Et les années précédentes, on a connu des sécheresses énormes. Ensuite, nous avons beaucoup de problèmes de gouvernance dans la filière canne. Puis, il y a un problème de main-d’œuvre, auquel on essaie de s’adapter par la mécanisation, mais cette mécanisation entraîne la mort de notre filière petit à petit. Ça fait quatre, cinq ans que la production ne fait que baisser. L’aspect climatique a porté un coup de massue encore plus important.

Comment expliquez-vous le problème de main-d’œuvre que vous venez de mentionner ?


L’agriculture, en général, ce n’est pas un métier facile. Il faut déjà avoir du courage pour entrer dans ce métier. Ça ne paye pas comme dans certains autres secteurs. C’est un métier qui est quand même assez compliqué à gérer. Les agriculteurs gèrent leurs salariés en fonction des revenus qu’ils ont. Si vous travaillez dans une grande entreprise ou si vous allez travailler dans un champ, c’est sûr que vous n’avez pas le même confort, ni le même salaire. C’est un métier qui n’attire plus vraiment les jeunes.

Quelle est la quantité de tonnes et d’euros de pertes estimées pour cette année ?


Nous avons des usines qui sont faites pour brasser 1 million de tonnes de cannes par an. L’année dernière, nous sommes arrivés à 1 137 000 tonnes pour deux usines. Et cette année, vu les dégâts causés par le cyclone, nous allons passer sous la barre du million. Selon les prélèvements de l’interprofession, on sera à 972 000 tonnes de canne pour la campagne 2025. Ce sera la pire campagne que nous ayons connue. On pensait que l’année dernière était la pire, mais non. Espérons que 2026 ne soit pas du même ordre. C’est la première crise de cette ampleur. Moi, mon inquiétude, c’est : est-ce que nous sommes capables de relever le défi pour cette campagne ? Ça va être très compliqué en tout cas. Je ne sais pas si on y arrivera, mais pour tenir, ça va être très difficile après cette campagne.

Des réunions ont été organisées durant les derniers jours et semaines pour négocier avec les industriels. Qu’attendez-vous de leur part aujourd’hui ?


On se bat à chaque fois sur le prix d’achat de la canne. Comme on utilise beaucoup la mécanisation, ça dégrade un peu la qualité de la canne, mais on n’est pas payés à sa juste valeur. On demande aux industriels de nous garantir un prix minimum — qu’on appelle un prix plancher — de 35 € la tonne de canne, pour que le planteur puisse avoir une visibilité et redémarrer sa campagne. Aujourd’hui, on livre un produit, mais on ne sait pas comment on sera payés. C’est seulement en fin d’année que le prorata de cette richesse sera calculé, et qu’on sera payés sur cette base.

Le prix de la canne dépend-il aussi de sa qualité et de sa méthode de coupe ?


Une canne coupée à la main et une canne coupée mécaniquement, ce n’est pas le même travail. On sait très bien que mécaniquement, il y a beaucoup d’impuretés. Pourtant, c’est le même champ. Parce que dans un même champ, nous avons au moins une dizaine de richesses différentes avec des méthodes de coupe différentes. Ce n’est vraiment pas valorisé comme on le souhaiterait.

Téréos (industriel acheteur) a proposé de puiser dans le reliquat, une des aides qui vous sont attribuées. Vous avez décidé de refuser. Pourquoi ?


C’est une aide de l’État qui nous est versée tous les ans. C’est une aide forfaitaire, basée sur un tonnage de 1 800 000 tonnes de cannes, quel que soit le tonnage réellement produit dans l’année. Elle revient au planteur. Des acomptes sont versés, calculés selon le tonnage, et le reste, s’il n’a pas été utilisé, est reversé sous forme de reliquat et réparti sur les parcelles cannières. Aujourd’hui, Téréos voudrait puiser dans ce reliquat pour compenser. Si vous voulez, nous leur vendons un produit, et ils veulent que nous leur donnions notre propre argent pour l’acheter.

De quoi ont besoin les planteurs de canne aujourd’hui, pour s’en sortir financièrement ?


Pour moi, on a déjà beaucoup d’aides qui viennent de la poche de l’État. Le seul soutien dont nous avons besoin aujourd’hui, c’est celui des industriels. C’est notre matière première qui est très mal payée. Nous subissons toute l’inflation sur le matériel, les intrants… Et cela fait plus de 30 ans que le modèle de paiement entre planteurs et industriels n’est plus adapté. On s’est adaptés avec des outils, notamment face au manque de main-d’œuvre, et le coût de la vie a évolué. Mais les industriels, eux, ne se sont pas adaptés au modèle de coût que nous avons aujourd’hui, en tant que planteurs.

Si le prix de la canne n’est pas revalorisé, les planteurs risquent-ils d’être obligés de stopper leur activité, voire même d’envisager une reconversion ?


Si c’était si facile, j’aurais abandonné la canne dès demain matin. Mais malheureusement, on est sur une île, avec énormément de microclimats. Faire d’autres productions que la canne à sucre, c’est très compliqué. On est capables de faire autre chose que de la canne, mais il faut avoir les structures, les autorisations… Et on sait très bien que la filière canne entraîne énormément d’organismes dans sa chaîne. Si demain matin, il n’y a plus de canne à La Réunion, je pense que tous ces organismes — dont l’élevage et le maraîchage — s’écrouleraient avec.

Entretien : Sarah Cortier

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A propos de l'auteur

Sarah Cortier

Issue d’une formation de sciences politiques appliquées à la transition écologique et persuadée que le journalisme est un moyen de créer de nouveaux récits, Sarah a rejoint l'équipe de Parallèle Sud. Elle souhaite participer à ce travail journalistique engagé, et apporter de nouveaux regards sur le monde.

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