[Économie] Parnoumem, un monde sans euros

PROJET CANDIDAT AU BIC (BUDGET D’INITIATIVE CITOYENNE)

L’association Parnoumem a imaginé un monde où il suffit de donner du temps pour engranger des ti grin et où les services, les biens et la nourriture s’échangent contre ces mêmes « ti grin ». Bref, un monde sans euros. Depuis quelques mois, l’idée s’est concrétisée de manière expérimentale. Un coup de pouce du Budget d’initiative citoyenne (Bic) permettrait de financer une « boutique mobile » et mettre ces fameux « ti grin » à la portée de ceux qui en ont le plus besoin.

De l’utopie à la réalité. La descente peut être brutale mais elle peut aussi être vivifiante. Et la rencontre des deux « co-pains » de Parnoumem, Johan Hoareau et Christophe Barbarini, nous amène à la deuxième catégorie. Leur projet de remplacer l’euro par des « ti grin » est plus que vivifiant, il permet de repenser les échanges monétaires d’un point de vue généreux et égalitaire.

On imagine avec eux un monde où les systèmes bancaires se seraient effondrés comme dans un récit d’anticipation. Après l’apocalypse, les échelles de valeurs telles que nous les connaissons ont disparu. Il n’y a plus de classe sociale prédominante. Chacun apporte de son temps pour reconstruire un monde solidaire. Et chacun a besoin des compétences de l’autre. Voilà l’idée !

Rassurez-vous, le monde ne s’est pas écroulé la nuit dernière. Mais le chemin de Parnoumem pour faire commerce de manière plus équitable est déjà tracé depuis neuf mois et la mise en service de la plateforme des « ti grins ». Les adhérents — ils sont déjà près de 300 — peuvent y échanger des massages, des repas, des pizzas, des promenades à cheval ou en bateau, des réparations de mécanique ou d’électricité. Sans que le moindre euro ne soit échangé.

1 « ti grin » = 1 minute

32 000 « ti grin » ont déjà été mis en circulation. Au début, durant la phase de distribution de cette monnaie alternative, la quantité de « ti grin » correspondant à un service ou un bien était arbitraire.

Aujour’hui, pour se donner une idée de ce que ce tas de « ti grin » représente, il faut savoir qu’une sortie d’une heure en bateau vaut 60 « ti grin ». Bref que 1 « ti grin » vaut une minute. Puisqu’il est interdit d’indexer le « ti grin » à une monnaie, à moins de se contraindre à la réglementation bancaire, « la valeur temps est apparue comme un cadre parfaitement justifié », tel que l’analyse Christophe après plusieurs mois d’activité.

Mais revenons à la génèse de Parnoumem. Au sortir de la période Covid, qui a permis à chacun de réfléchir au sens qu’il voulait donner à sa vie, Johan Hoareau s’est intéressé au monde des cryptomonnaies censées se substituer un jour aux dollars, euros et yens… Ce graphiste de formation s’est cependant refusé à rentrer dans « les délires boursiers dérégulés des spéculateurs en crypto » et a préféré imaginer un modèle de société vertueux.

« Je trouve qu’un monde où tout le monde veut devenir millionnaire est absurde, explique-t-il. En revanche, l’outil des cryptomonnaies peut servir dans le monde réel. On peut avancer vers un vrai projet de société. Je m’inspire par exemple de l’application Phenix qui lutte contre le gaspillage et permet à des citoyens d’acheter à prix réduit des aliments invendus. »

Une vingtaine de commerçants accepte les « ti grin »

Il a donc imaginé les « ti grin » et a fait le tour d’une vingtaine de commerçants à Saint-Pierre et au Tampon. Il a essuyé un seul refus. Tous les autres ont accepté de donner quelque chose contre quelques « ti grin ». Un don minime : un repas ou une pizza par semaine. Mais assez pour amorcer la pompe. Dans le même temps, les visiteurs de sa plateforme ont commencé à générer des « ti grin ». Ils en obtenaient gratuitement, simplement en visitant le site. Ou ils proposaient des services payables en « ti grin ».

C’est expliqué sur la page d’acccueil : « Sur Parnoumem, vous n’avez pas besoin d’argent pour obtenir tout ce dont vous avez besoin: électricité, mécanique, promenades à cheval, balades en mer, massages, soins, etc. sans dépenser 1 €uro! Parnoumem est une association à but non lucratif qui organise un réseau solidaire d’échanges, une réserve de services accessible à tous, sans argent. Grâce à une monnaie collaborative appelée “ti grin” que vous obtenez gratuitement en visitant ce site, vous pouvez proposer vos services et les échanger avec la communauté des adhérents.

Professionnels ou amateurs, cette plateforme vous permet aussi de valoriser votre activité ou vos savoir-faire tout en contribuant au développement d’une économie locale et solidaire ! »  

« Qui que tu sois, ton temps vaut le mien »

Pour les professionnels, la démarche peut évidemment être publicitaire. Mais elle s’adresse surtout à quiconque souhaite s’affranchir de la pression de la monnaie. « Tu t’inscris, tu recommandes et tu rentres dans la proposition », résume Johan Hoareau. « Tu adhères à un contrat social où la principale valeur est le temps que tu y consacres. Qui que tu sois, ton temps vaut le mien », complète Christophe Barbarini.

Les « ti grin » de Parnoumem se veulent complémentaires des autres propositions de monnaies alternatives que sont Tikatsou, une monnaie locale valorisant les circuits courts, ou la June. Avec plus de 30 000 « ti grin » en caisse, Parnoumem compte désormais engager une nouvelle phase de son développement. 

« Tu t’inscris, tu recommandes et tu rentres dans la proposition », résume Johan Hoareau (à droite). « Tu adhères à un contrat social où la principal valeur est le temps que tu y consacres. Qui que tu sois, ton temps vaut le mien », complète Christophe Barbarini.

Il n’est dans l’intérêt de personne d’accumuler un trésor de « ti grin ». Parnoumem envisage de les rendre éphémères, ils disparaissent s’ils ne sont pas utilisés dans un délai de trois mois. Il convient alors de les distribuer dans un « ti kochon », une tirelire qui servira à « payer » des bénévoles engagés dans des actions citoyennes comme le nettoyage du lagon.

Surtout, Johan et Christophe veulent développer l’aide alimentaire. Conscients que ceux qui ont besoin de cette aide ne sont pas familiers des applications virtuelles, ils souhaitent acquérir une camionnette qui fera office de boutique mobile, afin d’aller à la rencontre des personnes dans le besoin.

Par l’intermédiaire d’associations adhérentes de la démarche de Parnoumem, les « ti grin » trouveront alors toute leur consistance. Ce projet de boutique mobile sans argent est candidat au Budget d’initiative citoyenne du conseil départemental. Ce serait bien de lui donner sa chance en allant voter pour lui.

Franck Cellier

Les « ti grin » de Parallèle Sud

Depuis quelques semaines, la lecture des article de Parallèle Sud déposés sur la plateforme Parnoumem génère des « ti grin ». Nous pouvons ainsi nous offrir déjà quelques pieds d’avocat. Mais il y a plein d’autres trucs qui pourraient nous intéresser…

Nous avions certes l’intuition que du temps de lecture de nos articles pouvait générer de la richesse et favoriser les échanges. Parnoumem rend cette intuition concrète et démontre que le temps de quiconque est précieux. « Qui que tu sois, ton temps vaut le mien », comme le dit Christophe Barbarini dans l’article.

On a souvent considéré que le temps d’un expert était plus précieux que celui d’un novice. Mais ce n’est qu’un point de vue. En fait, l’apprentissage est souvent plus pénible que la réalisation d’un savoir-faire acquis. De ce point de vue, le temps consacré par l’enfant qui apprend à lire n’est pas moins valeureux que le temps consacré par l’auteur qui a écrit le manuel de lecture. Ça donne à penser, non ?

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A propos de l'auteur

Franck Cellier | Journaliste

Journaliste d’investigation, Franck Cellier a passé trente ans de sa carrière au Quotidien de la Réunion après un court passage au journal Témoignages à ses débuts. Ses reportages l’ont amené dans l’ensemble des îles de l’océan Indien ainsi que dans tous les recoins de La Réunion. Il porte un regard critique et pointu sur la politique et la société réunionnaise. Très attaché à la liberté d’expression et à l’indépendance, il entend défendre avec force ces valeurs au sein d’un média engagé et solidaire, Parallèle Sud.

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