ÉPISODE 3 : LES PROFESSIONNELS ONT LA PAROLE
Nos deux premiers témoins, Jean-Michel Louis et Pascal Plante (un administratif et un élu), ont défini le tourisme à La Réunion comme un outil de développement économique important, avec un avenir plutôt souriant. Qu’en pense les socioprofessionnels, ceux qui vivent ou voudraient vivre de cette activité ? Ceux qui sont sur le terrain, en contact direct avec les clients locaux et de l’extérieur. Ont-ils la pêche ? Le bourdon ? Entrons dans le vif du sujet !
Anne-Sophie Sarnon, patronne depuis fin 2018 de Vélo Explore Réunion, à la Plaine-des-Palmistes, Daniel Francomme, responsable de la Sirandane, atelier de cuisine traditionnelle à Saint Benoît, et Colette et Patrick Agénor, propriétaires d’une chambre d’hôtes à Saint André, ne sont pas adeptes de la langue de bois. Amoureux de leur île et désireux d’en être les ambassadeurs, ils pointent aussi les nombreuses difficultés de ces métiers de contact qui ont pour objectif le plaisir, le bien-être de l’Homme hors de son environnement habituel.
Nou lé ki ? (quels professionnels pour La Réunion ?)
Le tourisme, comme tout secteur d’activité économique, est affaire de professionnels. Anne-Sophie, la trentaine, titulaire d’un MBA en gestion touristique et hôtellerie, offre aux touristes la possibilité de découvrir nos sentiers au gré de randonnées en VTT avec assistance électrique mêlant excursions, dégustation de produits locaux et recherches d’énigmes. Elle l’avoue : les résultats financiers ne sont pas mirobolants. Mais elle s’accroche car son chiffre d’affaires progresse au fil des ans.
Daniel, qui a été informaticien, propose depuis 2019 une journée d’échanges et de partage de la culture créole avec petit-déjeuner, préparation en binôme des plats et repas pris en commun. « Chacun tourne la cuillère dans les marmites qui mijotent sur le feu de bois et on discute, explique-t-il. La cuisine est une vocation et c’est le prétexte pour partager sur ce qu’est mon île. »
Colette et Patrick, retraités, hébergent dans une ambiance conviviale, au Domaine des oiseaux, des touristes venus du monde entier. Depuis 2019, ils ont accueilli des personnes issues de 47 nationalités différentes, du Biélorusse en passant par l’Égyptien, le Turc, le Canadien…
Tous les trois ont exercé anciennement d’autres fonctions et dans le cadre d’une reconversion, se sont formés à la gestion tant financière que commerciale. De plus, ils pratiquent des activités complémentaires pour pouvoir vivre de leur passion: Daniel a une activité de traiteur, Patrick est agriculteur, Anne-Sophie veut créer un espace bien-être.
« C’était de la folie »
Ko sa nou fé ? (le métier touristique)
« L’accueil du client est primordial, au-delà de la qualité de l’hébergement, de la restauration, des équipements, des activités, souligne Colette. Nous devons l’écouter, lui présenter La Réunion sous tous ses aspects. Ce qui fait la beauté du métier, c’est qu’on reçoit autant qu’on donne. Le touriste vit avec nous en moyenne 2 à 3 jours et certains reviennent et reviennent encore. »
Le tourisme extérieur supplante nettement le tourisme local. « 80% de ma clientèle est métropolitaine, allemande, belge et suisse. » La haute saison s’étend de juillet à décembre. « L’année dernière, c’était de la folie. On a travaillé 7 jours sur 7 et on a refusé du monde. »
La durée du séjour sur l’île est en moyenne de 15 jours et le touriste change de zone géographique tous les 3-4 jours. Le tourisme d’affaires s’étoffe avec de plus en plus de personnes qui viennent travailler dans les usines, les hôpitaux ou dans des structures de formation.
Avoir un site internet est incontournable. Les réservations s’effectuent via les réseaux sociaux, par les agences de voyage locales ou en ligne, grâce aussi au bouche à oreille.
Les professionnels ont envie de se rencontrer, de travailler ensemble et prônent la diversité et la complémentarité . « J’adore créer des produits », confie Anne-Sophie, qui préconise d’organiser des évènements communs, en lien avec les institutionnels, sans barrière géographique. « J’aimerais lier hébergement et activités de loisirs, proposer des balades patrimoniales, autour des eaux vives, du sucre, de la vanille ».
« Rester authentiques »
Ou sa nou sa va ? (quel avenir ?)
Le tourisme réunionnais s’inscrit dans la tendance actuelle du développement durable avec pour thématique, la nature. Le fort potentiel de développement du tourisme à La Réunion incite toutefois ses acteurs à la prudence. Pas question d’un tourisme de masse. « On a tout sur un petit territoire. Nous devons rester authentiques et notre pays ne doit pas être abîmé », tempère Daniel.
Nos trois témoins mettent l’accent sur la nécessite d’un « tourisme raisonné, maîtrisé, de proximité ». La Réunion bénéficie d’un outil de régulation reconnu : le Parc national a un rôle à jouer dans la gestion du flux touristique et des comportements. « Les drones ne peuvent plus survoler certains sites. » La responsabilité des collectivités est engagée car les sites doivent être entretenus, nettoyés régulièrement et dotés de poubelles, de toilettes publiques, d’un éclairage sur les routes.
« De toute façon, nous ne sommes pas prêts à recevoir un nombre trop important de touristes car il nous manque des chambres, des activités. Le touriste, qui apprécie tant la gentillesse du Réunionnais et la beauté de nos paysages, sera insatisfait demain s’il ne trouve pas à se loger dans de bonnes structures, s’il doit attendre trop longtemps pour faire une activité saturée. Il finira par se rendre vers d’autres destinations où le tourisme est mieux organisé », alertent-ils d’une même voix.
« Parcours du combattant »
Ki sa i aide a nou ? ( l’accompagnement des professionnels)
Les institutions touristiques sont utiles pour la promotion de la destination Réunion, l’île intense, l’île qui sur une petite superficie offre tant de paysages, de modes de vie, d’activités, de climats différents. « L’IRT est une belle vitrine et les offices de tourisme se rapprochent des professionnels », reconnaissent-ils. Sont dénoncés cependant une concurrence entre les collectivités, un manque de communication, un éparpillement des énergies nuisant au développement.
D’autre part, l’accompagnement des professionnels semble parfois pécher de par un cloisonnement par territoire, un manque d’intéractions entre les intercommunalités, les communes et les autres institutions.
« Recevoir du monde n’est pas facile et nous avons besoin nous aussi d’être écoutés, de soutien, de bienveillance, qu’on vienne tout simplement nous voir pour connaître notre structure et non la dénigrer. Nous n’avons toujours pas obtenu de panneaux de signalisation après 4 ans d’existence. »
Autre difficulté : l’octroi de subventions, y compris européennes, est soumis à des règles à la fois strictes et en même temps qui changent régulièrement. « C’est un parcours du combattant. Ils demandent à ce qu’on rentre dans leur moule sans aide personnalisée. »
Enfin, le niveau de professionnalisation des entreprises et des personnels pourra progresser grâce à la formation.
« Pas assez mis en valeur »
La dernière roue de la charrette à bœufs ? (le tourisme dans l’Est)
Le développement touristique de l’Est passe par une prise de conscience des collectivités de l’importance de ce secteur pour l’emploi, l’économie. On va attirer le touriste, l’inciter à venir et à rester plusieurs jours en améliorant les infrastructures, en augmentant le nombre et la diversité des chambres, des visites, sorties, restaurants, en proposant un séjour complet alliant hébergement et activités.
De même, l’Est n’est pas assez vendu. Une campagne nationale pourrait changer cette vieille image erronée de pluie et d’ennui. Pourtant, l’authenticité tant prônée par les uns et les autres est la marque de fabrique de ce territoire. « Dans l’Est, on a plein de petites pépites, de multiples porteurs de projets qui ne sont pas assez mis en valeur », insiste Anne-Sophie.
Dominique Fruteau-Razé