« Fainéants ! » « Paresseux ! » Voilà le nouvel argument des tenants du temps de travail à rallonge, de ceux qui prônent une retraite toujours plus tardive. Mais, depuis que le monde est monde, et que les syndicats et les luttes sociales visent à diminuer le temps de travail, jamais on n’était allé sur ce genre d’invectives.
Que ce soit contre le travail des enfants, pour la semaine de quarante heures, puis trente-neuf, puis trente-cinq, les premiers congés payés, les quatre semaines, la cinquième, la retraite à 60 ans, la retraite tout court, le patronat opposait des problèmes économiques, un coût intolérable. Et c’est à peu près tout.
Comment en est-on arrivé à des notions fumeuses de « paresse », de « fainéantise »? Comment l’invective est venue remplacer l’argument. Les sondages en rajoutent en publiant des statistiques aux questions orientées. Comme savoir si « la paresse est une valeur de gauche ? » (*) ou si le « quiet quitting » (correspondant à un salarié qui se contente d’exécuter les tâches figurant dans sa fiche de poste) est une tendance de fond plus qu’un effet de mode. Comme si, autrefois, on aimait travailler gratuitement ou en faire plus que demandé. Comme si inventer des mots, anglais si possible, inventait du même coup un phénomène pourtant vieux comme le salariat.
On parle de « valeur travail » au lieu de s’interroger sur la valeur du travail. On confond travail avec salariat. On voudrait nous faire croire que nos aînés allaient à la mine comme les vacanciers à la plage, le sourire au lèvres. Peut-être aussi pour faire passer la pilule d’une loi régressive, une nouveauté (mouvement lancé par François Hollande) dans l’histoire sociale de notre pays où, jusqu’il y a peu, l’activité législative allait plutôt dans le sens du progrès.
Tout ça pour faire changer d’avis sur la contre-réforme des retraites. Pour stigmatiser les jeunes des grandes écoles qui refusent un travail bien payé au profit d’un travail utile. Parce que certains veulent trouver un sens à leur emploi. Il y aurait même des démissions… Car la plus grande terreur des bénéficiaires du système, c’est de ne plus trouver de travailleurs à exploiter, de travailleurs pour produire toujours plus, de travailleurs pour alimenter la société de consommation. De travailleurs qui produisent leurs dividendes.
Et, franchement, si c’était si cool de ne rien faire, je ne serais pas là en train d’écrire ces lignes. Rien ne m’y oblige, même pas pour remplir le frigo.
Philippe Nanpon
(*) Etude Ifop pour Les Makers réalisée par questionnaire auto-administré en ligne du 11 au 13 octobre 2022 auprès d’un échantillon de 2015 personnes, représentatif de la population masculine âgée de 18 ans et plus.