Un push sur l’écran : « Nicolas Sarkozy annonce qu’il votera Emmanuel Macron au second tour ». Ah bon, il a conservé son droit de vote, lui, malgré son bracelet électronique ? Ultime avatar du discrédit du personnel politique. Pas tout le personnel politique, d’accord… Mais quel exemple ! « Quelle indignité » ! comme il le dit lui-même.
Le « Karcher des banlieues », le siphonneur de la pensée lepéniste des années 2000 donne aujourd’hui des leçons, on croit cauchemarder. Le Pen est aux portes de l’Elysée. Même La Réunion, si longtemps exemplaire dans le rejet du Front national a donné au Rassemblement national un quart des voix exprimées au premier tour et menace de le placer en tête au second.
Ce sera un sacré paradoxe ultramarin que de plébisciter le candidat de la « créolisation » au premier tour pour, peut-être, pousser celle de « la France aux Français » au second. Les ralliements locaux alimentaires à Macron en fin de mandat ne suffisent pas à effacer un quinquennat d’incompréhension, si ce n’est de casse sociale et de violence contre les peuples d’outre-mer…
Mais quand même… Marine Le Pen, quoi !
De quoi sont capables ces gens ? Ils sont capables d’expulser des enfants étrangers des écoles, ils sont capables de participer ou d’applaudir à des décasages de sans-papiers, qu’importe si cette violence en déclenche une autre en réaction qui en justifiera une troisième, une violence d’Etat, qui plongera alors le pays dans l’affrontement permanent. Ce sont des incendiaires. Les plus pervers d’entre eux en retireront les marrons, les autres s’y brûleront.
Pour cela, ils ne méritent pas une voix. Même de colère.
Est-ce que la résistance à cette peste brune qui nous submerge, passe par un bulletin de vote ? On l’a cru en 2002, puis en 2017. Les Chirac et Macron qui ont bénéficié de ce « front républicain » ont-ils poursuivi le travail : faire reculer l’extrême-droite et la lepénisation des esprits ? Jamais. Ils se sont plutôt repus de cette simplification bien pratique du débat politique : surfer sur les crises et désigner des boucs émissaires.
Le scénario était écrit
Il aurait fallu déconstruire les théories tendancieuses du grand remplacement, plutôt que favoriser l’intégration de migrants qui vont fuir de toute façon les enfers qui se développent aux quatre coins de la planète. Au lieu de ça, le ministre de l’Intérieur d’Emmanuel Macron trouve Marine Le Pen « un peu molle » et oublie qu’il doit son poste au précédent « front républicain ».
Ils ont ri des « droit-de-l’hommistes », des « islamo-gauchistes » des « wokistes » quand ils ne les ont pas stigmatisés, emmerdés ou combattus. Sur tous les sujets, le débat s’est biaisé, radicalisé. Sondage après sondage, talk-show après talk-show, le citoyen sensible aux idéaux humanistes de gauche a vu sa marginalisation s’opérer. Il a vu naître Zemmour, la machine ultime à dédiaboliser la haine raciale. Le scénario était écrit : Macron – Le Pen au deuxième tour.
Le « faites barrage à l’extrémisme en votant Macron» résonne comme l’injonction de trop quand elle sort de la bouche des apprentis-sorciers faiseurs d’opinion, intéressés au premier rang par la réélection du « candidat des riches ». On ne peut pas jouer pendant 4 ans, 11 mois et 2 semaines la carte bleue marine et croire que 15 jours et un débat, d’avance foireux, feront tout disparaître.
Calcul et prise de tête
La consigne est plus crédible dans le discours des femmes et hommes de gauche mais elle est entachée de suspicion. Libre à chacun de l’accepter ou pas… et de bavarder sur les circonvolutions empruntées par les uns et les autres pour faire passer la pilule. Ça va d’Huguette Bello qui « demande un vote lucide et responsable pour écarter le danger de l’extrême droite » à Jean-Hugues Ratenon qui trouve que le vote Le Pen est un vote de « fâchés » et non de « fachos », laissant la porte ouverte à des « consultations » avant de délivrer un message clair et net pour le deuxième tour…
Le voilà bien embarrassé l’électeur critique, poussé à gamberger sur les notions d’honnêteté intellectuelle, de compromission (vers Macron) et de complaisance (vers Le Pen). Et les sondeurs d’estimer, déjà, que les électeurs de Mélenchon se disperseront entre abstention/vote blanc, Macron mais aussi Le Pen (pour 20% d’entre eux).
Déprimant. Certains voudraient annuler le premier tour. D’autres voudraient que le deuxième tour soit déjà passé. Il faut alors espérer que le cru présidentiel 2022 sera particulier du fait que l’élu.e du 24 avril gagnera par un vote de rejet plus que d’adhésion. Il ou elle ne devrait pas bénéficier du même élan qui, d’habitude, lui offre une large majorité à l’Assemblée nationale pour légiférer à sa guise. Dès les élections législatives de juin, il y aura bien d’autres occasions — et des plus efficaces — que ce deuxième tour de présidentielle pour glisser des bulletins de résistance. D’autres occasions, sans calcul et sans prise de tête, pour résister tout simplement.
Franck Cellier