La médecine française, l’une des meilleures au monde… Ah pardon, c’était il y a 20 ans. Aujourd’hui, le parcours d’un malade à l’hôpital a basculé dans l’absurdité totale. « J’ai été mieux prise en charge en Inde », raconte Mélanie* qui avait fait un accident vasculaire au niveau de l’œil droit il y a trois ans alors qu’elle souffrait à la fois de la dengue et du chikungunya.
Mercredi 19 février 2025, la jeune femme manque de tomber au sol en sortant de son lit. Sa jambe et tout le côté gauche de son corps sont raides et endoloris, « comme si j’avais des bleus partout ». Les souvenirs de ce qu’elle a vécu en Inde, l’intiment à être précautionneuse et à prendre les symptômes au sérieux.
Il n’y a plus de SOS Médecin de proximité au Tampon, elle n’a pas trouvé de médecin traitant à l’écoute et en qui elle pourrait avoir confiance pour confier sa santé, donc elle se rend à la clinique Clini’Sud, à côté de chez elle.
Epidémie de chikungunya en cours
Le premier médecin qu’elle rencontre a les mêmes préoccupations qu’elle. En pleine épidémie de chikungunya et avec ses antécédents, il préfère l’envoyer aux urgences du CHU de Saint-Pierre pour vérifier qu’il ne s’agisse pas d’un problème vasculaire.
Mélanie attend l’ambulance à laquelle elle a droit dans le cadre de son affection longue durée. Mais l’ambulance ne vient pas. « En fait ce sont des sociétés privées, elles recherchent la rentabilité, ce n’était pas intéressant pour elles de faire un trajet avec un seul patient, donc elles ont dit qu’elles ne se déplaceraient pas », précise une connaissance qui travaille à l’hôpital.
A ce moment de l’histoire, Mélanie ne peut pas se déplacer autrement qu’en traînant la partie gauche de son corps quasiment inerte, et le médecin soupçonne un AVC. Mais elle doit se débrouiller seule pour se rendre à l’hôpital.
Elle appelle une amie à l’aide. A 14h, Mélanie débarque à l’accueil des urgences. Elle voit le second médecin de la journée, à qui elle explique ses symptômes. Débute l’interminable attente que connait toute personne qui arrive aux urgences. Un troisième médecin la reçoit, elle explique qu’elle a très mal au pied gauche, à la main, au thorax. Elle parle de l’accident ischémique transitoire – un mini-AVC – qu’elle a déjà vécu à l’œil. « Non, je n’ai pas de fièvre. » Le médecin se dit que c’est peut-être une entorse et l’envoie se rassoir en salle d’attente. « Je connais mon corps quand même, ça n’a rien à voir avec une entorse », s’exclame Mélanie.
Une entorse ou un AVC ?
Voilà un quatrième médecin, puis un cinquième. A chaque fois, elle répète patiemment les mêmes éléments qui visiblement ne sont pas transmis d’un professionnel à l’autre. « Non ça ne m’arrive pas souvent ».
« Vous n’auriez pas bu sur une jambe pendant une soirée ? » questionne sérieusement une médecin au comble de l’absurdité. Mélanie a du mal à croire ce qu’elle voit. Une femme qui attend depuis des heures vacille en se levant de son siège dans la salle d’attente. La médecin fait demi-tour sans s’inquiéter, elle vient de la renvoyer chez elle. La femme fait un malaise contre le mur. Les patients en attente viennent l’aider à se relever.
La piste de l’AVC est visiblement écartée par un médecin sans aucun examen. On lui fait une prise de sang. Elle se retrouve dans un couloir devant une porte. Elle comprend qu’on l’a envoyée faire une radio du pied.
Elle tombe sur un ami soignant. Il pousse un soupire. « Il faudrait que ton pied soit cassé pour qu’on voit quelque chose sur la radio », fait-il remarquer. « La plupart des radios qu’on envoie ne servent à rien. »
La guérison a besoin de la confiance entre le médecin et le patient
En salle d’attente, une femme ramassée sur elle même bafouille en créole. « Est-ce que vous pouvez articuler madame ! » s’écrie une médecin originaire de l’hexagone. « C’est gênant que ces personnes ne comprennent même pas les patients dont elles sont censées s’occuper », fait remarquer Mélanie.
Le dernier médecin de la journée, le septième, la renvoie chez elle. L’infirmière lui apporte un cachet. « Qu’est-ce que c’est? » « Du tramadol ». Il est 20h.
Les sachants n’ont pas su. Le sommeil de Mélanie est agité. Au petit matin, elle prend sa température : 38,6°. La fièvre est montée, en regardant la définition des symptômes du chikungunya et de la dengue sur internet, la piste d’une infection causée par un moustique semble se préciser. Mais le doute demeure.
Le téléphone sonne, c’est l’hôpital. Un huitième médecin l’interpelle : « Bonjour Madame, c’est bien vous qui aviez des brûlures sur le corps ? » Mélanie explique une nouvelle fois ses symptômes, la radio pour l’entorse, la fièvre qui est montée. Il l’informe qu’au lieu de recevoir ses résultats d’analyse sanguine dans la journée, elle les aura dans 4 jours. « Mais je ne sais toujours pas si en fait ce n’était pas un accident vasculaire… c’est stressant ! » s’exclame Mélanie immobilisée dans son lit.
Sa colocataire Lucie* lui ramène un plateau repas. « Quand on est malade, on a juste besoin qu’on prenne soin de nous », fait-elle remarquer. « La guérison a besoin de la confiance entre le docteur et le patient. Il reste quoi de tout ça aujourd’hui ? »
Ce lundi 24 février 2025, au service de maladies infectieuses, le médecin rit jaune lorsque Mélanie lui raconte son expérience aux urgences. Il s’étonne qu’on ait fait le choix de lui faire une radio plutôt qu’un IRM. Elle reçoit les résultats de sa prise de sang : elle a le chikungunya.
* Prénom d’emprunt
Jéromine Santo-Gammaire
⚠︎ Cet espace d'échange mis à disposition de nos lectrices et lecteurs ne reflète pas l'avis du média mais ceux des commentateurs. Les commentaires doivent être respectueux des individus et de la loi. Tout commentaire ne respectant pas ceux-ci ne sera pas publié. Consultez nos conditions générales d'utilisation. Vous souhaitez signaler un commentaire abusif, cliquez ici.