[Environnement] Crise requin : la pêche, et quoi d’autre? 

DES ALTERNATIVES À LA PÊCHE, POUR OPTIMISER LA LUTTE, IL Y EN A. 

Il n’y a plus d’attaques depuis le début du programme Cap Requins. Pourtant, les scientifiques dénoncent une « pêche inutile et aveugle ». Composition physique ou chimique de l’eau, relâchers au large, prise en compte de l’urbanisation, etc. sont autant de pistes à explorer pour faire différemment.  

La pêche préventive des requins est remise en cause par les scientifiques et contestée dans les zones de protection de la réserve marine.

« Les instances consultatives et scientifiques de la Réserve naturelle marine de la Réunion et même récemment la juridiction administrative (ordonnance de référé du 28 mars 2022) stigmatisent l’inefficacité de ce programme de destruction des requins tigre et bouledogue », pointe l’avocate de quatre associations de défense de l’environnement (One Voice, Sea Shepherd France, Le Taille Vent et Vie Océane) mandatée pour « présenter un recours gracieux d’arrêt des opérations de prélèvement et destruction dans le cadre du « programme de pêche de prévention » au préfet » (annexe I). Il n’en fallait pas plus pour relancer une polémique qui défraie la chronique des médias réunionnais, et au delà, depuis la mort tragique de Mathieu Schiller, le 19 septembre 2011, dans les vagues de Boucan-Canot, à quelques mètres de la plage.

Face à cette affirmation d’ « inefficacité », les tenants de la pêche pour la plupart issus du monde du surf, s’insurgent et répondent que depuis trois ans et le programme de « pêche préventive » Cap Requins, il n’y a plus eu d’attaque. Certes, cela s’entend. Est-ce une preuve de l’efficacité des pêches ou un concours de circonstances ? Un hasard ? En tout cas la preuve scientifique n’existe pas. 

Urbanisation

Pour autant, pêche ou pas pêche, ne devrait-on pas travailler aussi sur des solutions alternatives. Quelques-unes ont été tentées, comme la surveillance des sessions de surf (vigie-requins) et l’usage par les surfeurs de systèmes de protection individuels de type shark shield. Là aussi, on peut dire que depuis que ces systèmes ont cours, il n’y a plus d’attaque. Quant à la pose de filets permettant la pratique du surf, l’expérience menée aux Roches-Noires et à Boucan-Canot s’est terminée de façon calamiteuse quand un requin s’est introduit dans l’enceinte protégée de Boucan et a attaqué un surfeur. On a dit que le filet avait été saboté volontairement, une plainte a été déposée et on en est resté là.

Reste l’urbanisation de la côte Ouest et l’augmentation de l’eau douce rejetée à la mer. De l’eau pluviale en quantité avec l’imperméabilisation des sols, de l’eau troublée par l’érosion, la terre et les nouvelles pratiques agricoles, de l’eau des stations d’épuration due à l’augmentation de la population. Sans compter le basculement des eaux d’Est en Ouest. Le requin bouledogue aime l’eau douce et turbide, cette pollution lui offre un milieu qu’il affectionne. Le conseil scientifique de la réserve marine en a bien conscience, mais les compétences de la réserve s’arrêtent où commence la plage, loin des bassins versants. « On peut remarquer que l’ensemble de l’environnement s’est dégradé », souligne Lionel Bigot, président du conseil scientifique. « Ca s’est  fait dans la durée, ça a commencé avant le début de la crise, et ça continue », ajoute-t-il.

Molécules chimiques

Et de ce côté, on ne peut qu’être pessimiste, un programme immobilier de CBO Territoria prévoit d’ailleurs la construction de 4 000 logements supplémentaires au pied de la voie cannière, à la Saline-les-Bains, juste au dessus du lagon (annexe IV).

Lionel Bigot regrette que d’autres pistes d’études n’aient pas été considérées. Comme l’incidence sur le comportement des requins bouledogues des différentes eaux douces évoquées ci-dessus (urbaine, agricole et pluviale) et rejetées à la mer. Mais aussi l’incidence dans le changement de comportement des squales de « molécules chimiques dans l’eau, par exemple pharmaceutiques, dont on ne connait pas l’effet ». Et de noter qu’ « on n’a jamais pu étudier le système endocrinien des requins pêchés ». « En tout cas, l’origine de la crise c’est l’Homme qui en est responsable », assure-t-il.

L’ichtyologue (Ndlr: spécialiste de l’étude des poissons) demande aussi que soient communiqués les bilans des pêches. C’est-à-dire, outre les prises accessoires, savoir où, quand, comment ont été pêchés les requins, « y compris pour continuer et orienter le programme de pêche » et en accroitre l’efficacité. 

De son côté, Didier Derand qui représente localement les associations de défense de l’environnement et rappelle que les requins-tigres et bouledogues sont déjà inscrits sur la liste rouge de l’UICN (Union internationale pour la conservation de la nature) des espèces menacées d’extinction, dans la catégorie « quasi menacée » pour le tigre et « vulnérable » pour le bouledogue (annexe II). Il propose lui aussi des solutions « mises en oeuvre avec succès à Récife au Brésil ». Les requins bouledogues pêchés sont conservés vivants et relâchés au large. « Ce sont des animaux migrateurs, 97 % d’entre-eux ne reviennent pas et poursuivent leurs migrations », rapporte Didier Derand (annexe III).
Depuis trois ans de pêche dans le cadre du programme Cap Requins, 53 requins bouledogues ont été pêchés, 308 requins tigres et 505 captures accessoires, dont 80 % ont été relâchées vivantes. 

Philippe Nanpon

A propos de l'auteur

Philippe Nanpon | Journaliste

Déménageur, béqueur d'clé dans le bâtiment, chauffeur de presse, pompiste, clown publicitaire à roller, après avoir suivi des études d’agriculture, puis journaliste depuis un tiers de siècle, Philippe Nanpon est également épris de culture, d’écologie et de bonne humeur. Il a rejoint l’équipe de Parallèle Sud pour partager à la fois son regard sur La Réunion et son engagement pour une société plus juste et équitable.

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