En cinq ans, le nombre d’aéronefs a doublé sur l’île. Les nuisances sonores empoisonnent la vie de centaines de milliers de Réunionnais, sans que les autorités ne s’émeuvent le moins du monde.
Ah, le cirque de Mafate, sa tranquillité loin de la circulation automobile, ce coin de nature préservé… tout y concourt au bien-être et à la sérénité. Tout ? Non ! Un hélicoptère, puis un autre, la balade de quiétude tourne à l’angoisse. « Ici, on a l’impression d’être observé depuis en haut, en permanence, comme des poissons dans un aquarium », illustre un habitant d’Aurère. « Le pire, ajoute-t-il, c’est quand il y a une trouée dans les nuages, tous les hélicoptères y passent en essaims, c’est terrible. »
Le même constat est fait en plein centre-ville de Saint-Pierre, à proximité de l’aéroport de Pierrefond, le bruit venant du ciel est constant. Comme le constate Gaëtan Hoarau, président de l’Association citoyenne de Saint-Pierre. De chez lui, on entend le ronronnement du Pilatus, l’avion qui monte en altitude pour larguer ses parachutistes. On y entend aussi les hélicoptères de touristes tout aussi régulièrement. Il a une impressionnante collection de photos prises à la verticale depuis son jardin, tout près des Jardins de la plage.
« En cinq ans, le nombre d’aéronefs a été multiplié par deux », s’indigne Gladys Céleste, membre de l’association Kolair qui milite elle aussi contre les nuisances des hélicoptères. Déjà, il y a un peu plus de quinze ans, des militants dénonçaient l’installation de Corail Hélicoptère dans la savane de l’Ouest. Les nuisances, depuis, n’ont fait qu’augmenter.
Autrefois, le touriste se payait un survol des cirques et du volcan, au tarif onéreux et à l’altitude respectable. Quelques survols lointains qui restaient acceptables pour les rares habitants survolés. Aujourd’hui, la multiplication des vols courts rend la vie de certains, et ils sont beaucoup, insupportable. Jusqu’à quatre-vingts passages par jour, sans compter que les pilotes, d’après Gaëtan Hoarau, rivalisent de rase-mottes et d’acrobaties pour satisfaire une clientèle en mal de sensations fortes. Concurrence oblige alors qu’une petite dizaine de compagnies se partage le marché.
156 milliards : le coût du bruit
Car la concurrence est féroce et les profits importants. Pour preuve, Hélilagon avait été racheté par une compagnie savoyarde avant d’être revendu à un fonds de pension américain assure Gladys Céleste. Tout ça grâce à des prestations toujours meilleur marché et des vols plus courts, plus nombreux et plus diversifiés, ce qui multiplie d’autant les victimes de nuisances sonores.
On note également le cynisme absolu des propositions commerciales. Ainsi, on peut aller visiter la nature préservée, mais en hélicoptère, comme le propose cette annonce: « Espace hors du temps… L’Héli-Secret est un véritable havre de paix où se confondent luxuriance et sérénité. Corail Hélicoptères vous invite à la découverte de l’un des endroits les plus reculés et préservés de Cilaos ». De même, on peut aller manger un cari sur un îlet niché dans le bras de la Plaine où, depuis, les propriétaires des maisons survolées ne peuvent plus vendre leur maison.
Un collectif d’associations dénonce les pollutions sonore, atmosphérique et climatique de ces vols touristiques. Il demande une évolution de la règlementation qui date de 1957, a minima que la règlementation soit appliquée. Et tout le monde s’interroge sur le laisser-faire des autorités. Alors que le coût social du bruit s’élève à 155,7 milliards d’euros par an en France selon une étude de l’Ademe publiée en 2021, pourquoi rien ou presque n’est fait contre celui des hélicoptères?
Repenser la politique touristique
On construit des murs anti-bruit entre les routes et les habitations, on peut se plaindre des fêtes ou des chiens de son voisin, mais rien contre les hélicos. Pire, d’après Gaëtan Hoarau, la brigade de gendarmerie des transports aériens (BGTA) ne dispose pas à La Réunion de jumelles télémétriques pour estimer l’altitude de vol des aéronefs. Quand l’association citoyenne de Saint-Pierre demande à l’Aviation civile le nombre de mouvements (décollages) d’aéronefs par an sur l’île, on sait tout juste combien ont décollé de Pierrefond ou de Gillot (60 000 au total en 2019), mais rien des autres hélistations et bases ULM.
La réponse des services de l’Etat ne manque pas de saveur, qu’on en juge : « L’ensemble des données concernant les aéronefs immatriculés en France sont disponibles sur le site du ministère de la Transition écologique et solidaire », en y entrant le numéro d’immatriculation de chaque appareil. Et rien sur les ULM qui ne sont pas immatriculés.
Au-delà des nuisances avérées de cette attraction touristique que sont les vols en hélicoptères, ne serait-il pas temps de repenser notre politique touristique? Doit-on continuer à transformer notre île en parc d’attraction géant, avec ses tyroliennes envisagées dans les plus beaux endroits de l’île, un parc du Volcan et même une piste de ski? Ou bien doit-on privilégier les séjours plus longs, pour des touristes attirés par la nature préservée, la culture créole et les paysages à couper le souffle? Posée comme ça, la réponse à la question est évidente et nous devrions être attentifs à ne pas couper la branche sur laquelle nous sommes assis.
Philippe Nanpon
Bien entendu, aucun de nos interlocuteurs ne remet en question le rôle des hélicoptères dans leurs missions de service public, secours, lutte contre les incendies et approvisionnement des Mafatais.