[Escroquerie] 106 000€ perdus dans une agence d’investissement borgne de Saint-Louis

ATTENTION AUX MIRAGES DES INVESTISSEMENTS MIRACULEUX EN CRYPTOMONNAIES

Les victimes de placements financiers foireux sur les plateformes de cryptomonnaies se compteraient par milliers mais très rares sont celles qui portent plainte. Un retraité saint-pierrois part à la poursuite de ses économies investies en pure perte. 

« J’ai honte ». Voilà pourquoi François C. demande à ce que sa véritable identité n’apparaisse pas dans l’histoire de boursicotage aux cryptomonnaies que nous allons vous raconter. La honte est surtout l’alliée des coupables en ce sens qu’elle dissuade les victimes d’escroquerie à porter plainte.

Il a fallu des semaines à François C., retraité saint-pierrois de 75 ans, pour alerter le parquet. C’était le 4 juillet  dernier. Il dénonçait alors la plateforme de financement Attiora de l’avoir manipulé pour lui faire verser 106 000€ sur un compte censé lui rapporter gros dans le domaine des cryptomonnaies. Il parlait alors « d’escroquerie pyramidale fonctionnant au travers d’un système de parrainage classique ». Il définissait lui-même les infractions présumées : escroquerie en bande organisée, abus de confiance, fourniture illicite de services d’investissement, démarchage financier illicite, blanchiment en bande organisée et abus de confiance. Quand il avait voulu récupérer ses gains, la plateforme avait disparu. Il croyait avoir engrangé 660 000€ !

Jusqu’à sa disparition soudaine, la plateforme Attiora promettait des gains en cryptomonnaies mirobolants.

Il ne citait alors que le nom de Joseph Moravec, installé en Australie mais ne nommait pas les « soi-disant conseillers financiers et analystes » qui jouaient le rôle de relais à La Réunion. Il faut attendre le mois d’octobre pour qu’il les nomme et les désigne au parquet. L’un se présente sur LinkedIn comme directeur d’Attiora à Saint-Louis et membre d’Antarès, l’autre, une vieille connaissance dans les milieux religieux, a joué le rôle de « parrain » pour le convaincre d’investir. 

Auparavant, François C. avait tenté de les convaincre de lui verser chacun 53 000€ afin qu’il récupère sa mise, « à l’amiable ». Il affirme que, grâce à l’importance des fonds versés, le premier est passé de la catégorie de « directeur Silver » à celle de « directeur Gold », et que le second a perçu un « bonus » de 60 000 USDT (une cryptomonnaie stabilisée alignée sur le dollar américain). Le « parrain » précise n’avoir jamais pu empocher ce « bonus » du fait de la fermeture d’Attiora. 

Le directeur roule en Porshe Pandora

L’arrangement ne s’est pas fait. Le parquet n’apporte aucune confirmation ou infirmation quant à savoir si la plainte est instruite ou si une enquête est en cours. Dans Le Quotidien du 11 mars dernier, le journaliste Julien Georget avait réussi à recueillir la version du « directeur d’Attiora » en préservant son anonymat. Celui-ci disait être lui-même victime de la fermeture brutale de la plateforme. Il prétendait avoir perdu 70 000€. Surtout, il évoquait «50 parrains et plus de 1 000 investisseurs à La Réunion ».

Où sont-ils ? Ont-ils « honte » comme François C. ? Ou bien le petit monde des directeurs, parrains et investisseurs continue-t-il à opérer, en marge des règlements bancaires et fiscaux en espérant récupérer par-ci les mises perdues par-là ?

Sur son profil LinkedIn, le directeur réunionnais d’Attiora promet toujours des rentes de 1 000€ ou des profits de 20% à 30% par mois

Si les revenus mirobolants promis par Attiora sont restés virtuels, le bureau qui a hébergé ses promoteurs est bien réel au 52A de la rue Saint-Louis à Saint-Louis. On y lit sur la devanture « Investment Opportunity », surplombé des logos de Bitcoins, Etherun, Tether et Binance.

Les voisins y voient parfois « le directeur qui roule en Porshe Pandora ». Mais c’est rare car l’office ouvre par intermittence et de plus en plus rarement. Les « investisseurs » inquiets déposent des petits papiers avec leurs coordonnées dans les commerces voisins pour être avertis quand la porte s’entrouvre. Une commerçante dit avoir vu le passage des gendarmes… En tout cas, le numéro de téléphone portable signalé sur la devanture (correspondant au numéro du directeur « gold ») n’a pas répondu à nos appels. Un « ami » du lieu pense que le directeur est en voyage…

François C., quant à lui, s’impatiente. « Il faut que d’autres victimes se déclarent, qu’elles déposent plainte ». Pour lancer son appel, il a rédigé un modèle de plainte et son fils l’a mis en ligne à l’aide d’un code QR (ci-dessus). « Il n’y a qu’à scanner le code et remplir le formulaire », explique-t-il. 

Franck Cellier

Comment François C. s’est cru riche en s’appauvrissant

François C. a boursicoté. Il a cru aux miracles des cryptomonnaies… Et il est loin d’être le seul alors que les arnaques se multiplient avec des plateformes qui promettent des revenus défiant l’entendement et qui s’évaporent après avoir encaissé les mises des « investisseurs-gogos ». Difficile ensuite de porter plainte contre du vent tant les escrocs savent jouer des vides juridiques internationaux.

Le bureau d’Attiora-Antarès à Saint-Louis semble avoir fermé ses portes.

Le « parrain » de François C., que nous avons réussi à joindre, résume cet univers à un jeu où chaque « investisseur » connaît les risques courus : « Moi aussi j’ai perdu beaucoup d’argent chez Attiora et Antarès (les deux plateformes promues dans le bureau saint-louisien) mais il ne me viendrait pas à l’esprit de porter plainte contre les amis avec lesquels j’investis. »

C’est en effet par des liens d’amitié vieux de trente ans que François C. est entré chez Attiora. Il a misé 106 000€ en janvier 2022. « Ce sont mes économies, j’espérais les faire fructifier pour acheter un cabinet médical à mon fils qui suit actuellement ses études. » Et il a vu croître sa mise de manière spectaculaire, jusqu’à 11 000€ par jour. Il croyait savoir que « les autorisations australiennes et l’assurance suisse d’Attiora arrivaient à échéance en avril ».

Aussi virait-il chaque jour des milliers d’USDT sur son compte Binance,  plateforme d’échange mondiale de cryptomonnaies, dont il ne doute pas de la fiabilité. Il avait ainsi « sécurisé » 360 000 € fin avril. A ce moment, les « amis » réunionnais s’enflamment autour de l’information selon laquelle les autorisations d’Attiora seraient prolongées. François C. prend alors le risque de tout remiser. Les gains se poursuivent jusqu’à atteindre des sommets : 660 000€. Et Pschitt !

Depuis, le retraité court après ses gains évaporés et sa mise de départ. Un véritable parcours du combattant selon Sulliman Omarjee, avocat spécialisé dans ce genre d’arnaques. Il lance lui aussi l’alerte : « Les affaires d’escroquerie en ligne sont en nette augmentation ces dernières années. Des plateformes font croire en des bulles spéculatives comme Antarès ou Attiora. Mais il y en a d’autres : attention aux promesses d’investissements dans les Ehpad ou les parkings. Attention aussi aux influenceurs sur YouTube »…

F.C.

A propos de l'auteur

Franck Cellier | Journaliste

Journaliste d’investigation, Franck Cellier a passé trente ans de sa carrière au Quotidien de la Réunion après un court passage au journal Témoignages à ses débuts. Ses reportages l’ont amené dans l’ensemble des îles de l’océan Indien ainsi que dans tous les recoins de La Réunion. Il porte un regard critique et pointu sur la politique et la société réunionnaise. Très attaché à la liberté d’expression et à l’indépendance, il entend défendre avec force ces valeurs au sein d’un média engagé et solidaire, Parallèle Sud.

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