Jumeaux

[Expérience] La qualité des soins se dégrade

L’HÔPITAL PUBLIC ETOUFFE PAR LE MANQUE DE FINANCEMENTS

Mobilisés depuis plusieurs années maintenant, les soignants, à La Réunion comme sur le territoire hexagonal, dénoncent la baisse des moyens des établissements publics hospitaliers. Un nouvel audit devrait bientôt être mené sur la situation financière du CHU de La Réunion. A bout, les soignants et leurs syndicats ont obtenu le soutien actif de responsables politiques locaux, de la direction du CHU, de collectifs de médecins et d’usagers et demandent 15 millions d’euros à l’Etat. Sur le terrain, la qualité de la prise en charge des patients semble s’amenuir de jour en jour. Lily* raconte l’angoisse de son accouchement à risque, annulé, décalé, puis déplacé le jour J par les services en tension du CHU de Saint-Denis. Elle décrit les couloirs vides et les salles de bain sales, l’absence d’assistance, de cotons et de place en néonat.

Pour ses deux précédentes grossesses, Lily, 31 ans, a toujours accouché dans le public. La première fois à Saint-Denis, il y a 8 ans, la seconde fois, un an et demi plus tard au GHER de Saint-Benoît. Ca s’est toujours bien passé. Pour cette troisième grossesse, qu’elle savait à risque, elle a pris toutes les précautions.

Grossesse à risque

Dès qu’elle a appris en début de grossesse qu’il s’agissait de jumeaux, elle savait que le risque était que les deux cicatrices des précédentes césariennes ne cèdent sous le poids des bébés. Une hémorragie aurait alors pu avoir de graves conséquences pour la maman et les enfants.

Elle décide de choisir celui qu’on lui présente comme le meilleur gynécologue de l’île pour les grossesses à risque. Le gynécologue lui fait faux-bond à la fin de sa grossesse.

Lily trouve en urgence un nouveau gynécologue qui estime que le risque est trop important et avance de deux semaines la date prévue de l’accouchement. « J’avais décidé d’accoucher au CHU de Saint-Denis parce que c’est censé être le meilleur, là où on envoie les cas difficiles, les grosses pathologies, et là où ils ont le meilleur service pour les bébé prématurés. »

Ventre vide

Une semaine avant la date prévue de l’accouchement au 31 janvier, le CHU rappelle Lily pour lui indiquer qu’il n’y aura pas de place et qu’il faut décaler l’opération de 15 jours. Le couple en panique se déplace, malgré les risques, pour voir un nouveau gynécologue du service. Ce dernier réalise l’erreur et s’arrange pour trouver une place pour le 30 janvier.

Mais les déconvenues ne font que commencer. « Le jour J, je me prépare, j’arrive le 29 à 16h », raconte-t-elle. « Ils m’avaient oubliée, ils m’ont fait poireauter dans la salle d’attente jusqu’à 22h, ils ne trouvaient pas mon dossier ! »

Elle qui avait demandé une chambre individuelle, se retrouve avec une jeune maman, son compagnon ne peut pas rester et doit partir, comme celui de l’autre jeune femme. Elle est obligée d’insister pour qu’on lui fournisse quelque chose à manger et une bouteille d’eau et pour ne pas s’endormir le ventre vide.

« Il y a 8 ans, ce n’était pas comme ça »

« De toute la nuit, la maman était toute seule désemparée, personne n’est venu. C’était son premier enfant, j’ai dû lui montrer moi-même comment on changeait les couches. Il n’y avait pas de cotons ni de liniment pour changer le bébé. »

« Quand j’ai accouché là-bas il y a huit ans, ce n’était pas du tout comme ça. Là, la salle de bain fuyait et était sale, les lumières individuelles ne marchaient pas donc on a laissé le plafonnier toute la nuit. La TV ne fonctionnait pas. Pour laver le bébé, il faut faire la queue pour un espace commun. Les couloirs étaient vides, il y avait très peu de personnel. »

Le 30, jour de l’opération, Lily se réveille à 5 heures, se lave à la bétadine, enfile sa blouse et sa charlotte. A 7h, personne ne vient la chercher. « Une opération, c’est un gros truc, tu te prépares psychologiquement, on te laisse poireauter, c’est horrible. » Elle attend jusqu’à 11h pour qu’une nouvelle gynécologue qu’elle n’a encore jamais vue vienne lui annoncer qu’il n’y a plus de place dans le service de néonatologie qui prend en charge les bébés prématurés.

« On était hyper inquiet »

Panique. Lily se met à pleurer. La médecin lui propose de la transférer à la clinique de Saint-Clotilde ou à Saint-Paul, où on lui avait dit qu’ils ne faisaient pas les grossesses à risque. L’hôpital n’appellera pas d’ambulance et lui conseille de s’y rendre par ses propres moyens. En passant du public au privé, elle ne sait pas si les frais seront pris en charge. « Avec mon conjoint, on était hyper inquiet, on avait besoin d’être rassuré, et la situation n’était pas du toute rassurante. »

« Je me suis rhabillée et on a foncé parce qu’on nous a dit qu’on nous attendait. » A la clinique de Sainte-Clotilde, Lily rencontre rapidement les médecins et est envoyée au bloc. L’accouchement se passe bien, mais on découvre qu’elle a une bactérie que le CHU n’avait pas détectée et qui semble avoir atteint une des jumelles, malade. « Elle était dans un piteux état pendant une semaine, ils l’ont laissée en assistance respiratoire, elle était nourrie avec une sonde. Aujourd’hui ça va mieux, mais heureusement qu’on était à la clinique. »

Lily constate que la prise en charge à la clinique n’a « rien à voir ». « La chambre était nickel, tout était fourni, les couches, le coton, les médicaments. Il y avait des dames pour m’aider la nuit, il y avait un grand bain pour laver les bébés. » Après cette expérience malheureuse, elle reconnaît qu’elle n’ira « plus jamais au CHU ».

* nom d’emprunt

Jéromine Santo-Gammaire

« Rand anou larjan »

« On aurait 1000 personnels de trop et on dépenserait trop d’argent », pointe le professeur Von Théobald, du collectif santé hôpital Réunion, lors de la conférence de presse qui se tenait à la pyramide inversée le 20 février 2024. « Ils voudraient faire passer ça pour un problème de gestion et donc restreindre le personnel, diminuer les lits, diminuer les consommations de l’hôpital. C’est pour ça qu’ils nous envoient l’Igas (Inspection générale des affaires sociales, ndlr) ». Une équipe de l’Igas pourrait en effet être prochainement dépêchée sur l’île pour se pencher sur l’activité (finances, management…) du CHU.

« Mais le temps de se déplacer, de recueillir les données, de les analyser etc, une enquête comme celle-là peut durer deux ans! Et retarder d’autant le versement des dotations dues par l’Etat », s’accordent à dire les personnes présentes. « On veut nous tuer. Nous n’avons pas besoin d’enquête supplémentaire, nous avons déjà eu un audit de l’Igas en 2017 (rapport à lire ici, partie 1, partie 2, ndlr) puis le Copermo en 2017 également, on a eu Ernst & Young et on a eu l’étude Drees », énumère à son tour la maire de Saint-Denis, Ericka Bareigts. « On veut sanctionner les bons élèves », martèle la présidente de Région, Huguette Bello, également présidente du directoire du CHU. « Rand a nou larjan », ascène-t-elle.

50 millions de déficit

La conférence de presse marque-t-elle un tournant dans la mobilisation syndicale contre la réduction des moyens financiers alloués à l’hôpital public ? Intitulée sobrement « Menace sur la santé des Réunionnais », elle a rassemblé pour la première fois l’ensemble des acteurs de la santé réunionnais et des responsables politiques : élus du conseil de surveillance du CHU, un représentant des médecins, une représentante des usagers, l’ensemble des syndicats, plusieurs députés et sénateurs. Parmi les absents : l’Agence régionale de Santé (ARS) qui applique localement les décisions de l’Etat en matière de santé, mais aussi le syndicat FAFPHR.

Les personnes présentes dénoncent la remise en question de la revalorisation de 31 à 34% du coefficient géographique actée en novembre 2023. L’Etat pourrait décider d’étaler le versement sur trois ou quatre ans. En guise de réponse, les participants à la conférence de presse demandent à l’Etat de verser rapidement 15 millions d’euros au CHU de La Réunion. « Compensation des surcoûts dus à l’inflation, dotation spécifique qui prenne en compte l’ensemble des activités assurées par le CHU (dont les Evasan, dont le coût est estimé à 10 millions d’euros par an, ndlr), valorisation du coefficient géographique… L’urgence de la situation appelle à ce que les engagements pris ces derniers mois soient enfin tenus ! », estime la Région. Le déficit du CHU atteindrait 50 millions d’euros sans compter les dettes sociales.

Un travail remarquable

Autour de la table, le constat est unanime : l’hôpital public réunionnais fait un travail remarquable. Malgré un personnel en souffrance (15% des soignants sont en arrêt maladie), une baisse des effectifs et un appauvrissement en matériel, il soutient une hausse d’activité de plus 3% en 2023. « A La Réunion, nous avons une vision et de l’ambition et on nous le reproche », estime Ericka Bareigts. « On veut pas nous donner les moyens de ce qu’on veut développer. »

« Si ça continue, bientôt on sera obligé de fermer des services », alertent les syndicats. Le professeur Von Theobald reprend : « Le CHU ne pourra plus payer ses fournisseurs et c’est déjà un problème actuellement. J’ai eu hier un coup de fil de la pharmacie qui m’alertait sur le fait que nous risquons d’avoir des problèmes d’approvisionnement pour certains médicaments et pour certains dispositifs médicaux en raison de l’allongement des délais de paiement de la part du CHU. Vous vous rendez compte ! Même les salaires, on ne peut pas être certains que demain ils seront payés. »

« L’équipe dirigeante accuse l’Etat de tous les maux »

De son côté, la FAFPHR a réagi dans un communiqué au lendemain de la conférence de presse.

Le syndicat indique avoir demandé en novembre 2023 au Ministre de la Santé et de la Prévention une inspection de l’Igas. L’objectif : « que toute la transparence soit faite sur la réalité des causes du déficit, des responsabilités de chacun ». « La FAFPHR a été entendue et une mission de l’IGAS aura lieu… ce qui ne semble pas faire plaisir à l’équipe dirigeante qui pense très bien gérer et accuse l’Etat de tous les maux. Il y a bien une situation financière abyssale enclenchée…  les causes de cette hémorragie sont à rapidement et objectivement identifier par l’Igas. « 

Un rendez-vous avec la ministre de la Santé, Catherine Vautrin est prévu le lundi 26 février.

A propos de l'auteur

Jéromine Santo Gammaire | Journaliste

En quête d’un journalisme plus humain et plus inspirant, Jéromine Santo-Gammaire décide en 2020 de créer un média indépendant, Parallèle Sud. Auparavant, elle a travaillé comme journaliste dans différentes publications en ligne puis pendant près de quatre ans au Quotidien de La Réunion. Elle entend désormais mettre en avant les actions de Réunionnais pour un monde résilient, respectueux de tous les écosystèmes. Elle voit le journalisme comme un outil collectif pour aider à construire la société de demain et à trouver des solutions durables.

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