La Kaz Papa : Goddy Leye et Magalie Grondin, une continuité dialoguée

« Chacun de nous a besoin de la mémoire de l’autre,
parce qu’il n’y va pas d’une vertu de compassion ni de charité,
mais d’une lucidité nouvelle dans un processus de la Relation.
Et si nous voulons partager la beauté du monde,
si nous voulons être solidaires de ses souffrances,
nous devons apprendre à nous souvenir ensemble. »
Edouard Glissant

Les identités nationales, la mémoire collective et la conscience historique façonnent les dynamiques sociales actuelles. Nous sommes amenés à réfléchir à nos points de vue établis sur l’histoire et les connaissances locales ou régionales, et au-delà de celles-ci. Qui sommes-nous par rapport aux autres cultures et territoires ? Comment l’imagination collective et individuelle peut-elle créer les transformations globales et durables nécessaires pour un avenir commun ?

Dans ce contexte globalisé, l’art joue un rôle crucial. Il active des réflexions critiques et forge des liens entre les cultures. Les artistes mettent en lumière les complexités liées aux héritages coloniaux. À travers leurs œuvres, ils engagent des dialogues interrégionaux, questionnent les narrations établies et ouvrent des voies vers un avenir commun. Ce cheminement est essentiel pour comprendre notre monde en perpétuel mouvement.

En s’appuyant sur le travail de Magalie Grondin et Goddy Leye, cette exposition, en ce lieu de mémoire, la Longère Sudel Fuma, ouvre un dialogue spatio-temporel (Afrique et l’Océan Indien) où passé et présent se nourrissent des récits partagés dans une esthétique de déconstruction/ reconstruction. «La Kaz Papa» nous invite à nous souvenir ensemble, à être présent à notre histoire postcoloniale, et de repenser notre histoire collective à travers des prismes multiples.

La figure du père comme outil de réflexion dans les travaux de Magalie Grondin met en lumière les souvenirs partagés qui font la part belle à la place de la protestation politique à l’heure de la décolonisation tout en abordant les relectures actuelles de l’histoire par le biais de l’archivage et de la mémoire.

Le corps comme outil de résistance représente cette figure paternelle dans l’œuvre de Goddy Leye avec pour thèmes centraux la mémoire, le postcolonialisme, la fabrication et l’oubli de l’histoire. « Le père-ci ! », comme l’appelaient affectueusement les populations de Bonendale, Goddy Leye, précurseur et avant-gardiste, est le fondateur d’un espace et d’un concept uniques : Art Bakery, situé à Bonendale, au Cameroun. Des artistes émergents y étaient accueillis gratuitement et encadrés par Leye dans un environnement à la fois ouvert et rigoureux d’apprentissage et d’échange. Notre principale intention, dans ce commissariat partagé avec Patricia de Bollivier, est d’activer un dialogue fructueux entre art, histoire et mémoire, de relier les époques et contextes historiques pour la construction d’un récit mémoriel commun, comprendre la signification profonde de notre rapport au monde et construire ensemble un meilleur avenir.

Viviane Maghela, Art Curator

La Kaz papa, Magalie Grondin, Goddy Leye. Vues d’exposition. Photo P. de Bollivier

L’exposition LA KAZ PAPA se tient jusqu’au 21 février à la Longère Sudel Fuma, à Saint-Paul.

Viviane MAGHELA est curatrice d’art indépendante, Art Advisor et activiste culturelle. Commissaire Délégué des Rencontres photographiques de Douala (REPDOUL), coordinatrice d’un projet de recherche/création sur l’héritage de Goddy Leye (1965-2011), artiste, enseignante et activiste culturelle, figure centrale de la scène artistique camerounaise et au-delà.

Elle est co-fondatrice de la plateforme Weaving Bonds un concept de recherches / expérimentation /création au croisement de différentes approches artistiques pour tisser des liens qui redéfinissent l’écriture du monde.

Diplômée en gestion et communication, suivie d’une résidence de trois ans à Art Bakery, un centre d’art fondé par feu Goddy Leye. Elle a realisé des projets tels que Le Kolatier (marché de la musique), DUTA (festival photographie), Art Convention, Douala Art Fair, les ateliers Kam’Art. Elle a été commissaire de : « Exit : Hommage à Goddy Leye » organisée par l’IFC et présentée dans dix espaces d’art du pays ; « Réminiscence » exposition photo de Max Mbakop ; « Le Villadin » une exposition en réalité augmentée de Eric Takukam.

Elle s’engage dans des réponses artistiques aux questions sociales, à l’espace public, aux histoires, a l’environnement, aux réflexions transdisciplinaires et la pensée décoloniale à travers un processus de collaboration et d’apprentissage. Ses axes de recherches sont l’art contemporain, l’art digital, la photographie, la musique, le design et la culture urbaine.

A propos de l'auteur

Patricia De Bollivier | Reporter citoyenne et critique d'art

Patricia de Bollivier est critique d’art et commissaire d’exposition indépendante. Elle a dirigé l’Ecole Supérieure d’Art de La Réunion entre 2014 et 2021, après avoir assuré la coordination technique du projet de centre d’art de la Ville de Saint-Pierre et la gestion et la valorisation de la collection d’art contemporain de la Ville de Saint-Pierre. Elle a enseigné la théorie des arts à l’ESA Réunion, l’Université de La Réunion et l’ENSAM-Antenne de La Réunion et assuré la direction de projets artistiques (résidences, commissariats d’exposition, éditions). Docteure de l’EHESS en sciences de l’art, sa spécialisation et ses domaines de recherche portent sur la création visuelle à La Réunion et la création en situation post-coloniale.

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