Rêves et désillusions d’Emmanuel Genvrin

[FACE A LA PRESIDENTIELLE]

Le dramaturge Emmanuel Genvrin se livre dans cette interview sur la campagne présidentielle à une belle séance de tir aux pigeons. Il dit un rêve, qu’il dévoile à la fin de l’entretien. Mais il dit surtout les désillusions dans lesquelles se noie le débat politique. Avec ce constat amer : « L’émancipation des outre-mer et la culture sont absents de la campagne ».

  • Emmanuel Genvrin, dramaturge? auteur? metteur en scène? écrivain? Pouvez-vous s’il vous plait rappeler à nos lecteurs qui vous êtes.
  • Dramaturge assurément. Je ne suis plus metteur en scène, mais écrivain oui, plus récemment.
  • Vous intéressez-vous à la campagne présidentielle? Vous aviez vu venir Macron?
  • Oui, je suis de près la campagne présidentielle. Je trouve que c’est une campagne super, pas plan-plan, pas sans intérêt. Ça s’organise. On a pu voir que Macron n’était pas le feu de paille annoncé il y a cinq ans. Bien sûr il est dans la campagne. C’est intéressant de voir qui il représente; les habits neufs de la bourgeoisie française. Ce n’est pas Fillon avec ses costumes croisés qu’il n’a pas payés lui-même qui pouvait représenter la jeunesse. La France Insoumise a fait ça aussi, s’adresser à la jeunesse avec des méthodes et un discours qui lui parle. Emmanuel Macron est l’héritier du catholicisme social, il représente aussi le centre gauche. S’il représente les banquiers? Non je ne crois pas. En revanche tous les jeunes qui sortent des grandes écoles, oui; là où est l’avenir de la France.
  • On dit l’élection jouée d’avance…
  • Ceux qui commandent ont toujours été les riches. Pour autant, il est important de garder un équilibre, il faut garder une opposition. Parce qu’ils ont oublié, on l’a vu pendant l’épisode Gilets jaunes, le catholicisme social. Pour que le débat puisse être intéressant, j’aimerais un second tour Macron Mélenchon. Ce dernier est un héritier de Jaurès, il représente une histoire de France qui n’a vu la gauche au pouvoir que pendant des temps très courts. Mitterrand ne l’a été que très peu d’années en début de son premier mandat. Quant aux socio-démocrates, ils ne bousculent pas le système; le PS a mis un doigt dans le système, il s’y est corrompu et ne représente aujourd’hui qu’à peine deux pour cent des intentions de vote.
  • Vous croyez à un second tour Mélenchon Macron?
  • Il s’est passé un petit miracle avec l’éclatement de l’extrême droite. L’ensemble représente trente pour cent de l’électorat, le chiffre qu’a fait Hitler en 1933. Mais l’extrême droite ne gagnera pas, elle n’a rien à dire, elle s’en prendra aux plus faibles, transformera les syndicats en corporations. C’est des ignares et des crétins, leur discours est vide, vide, vide.
  • Vous donnez du crédit à Eric Zemmour?
  • Zemmour représente une part importante de l’électorat, qui est aussi celui qui a sauvé la France. Il dit aussi plein de bêtises, il ne faudrait pas qu’il gagne.  L’objectif de l’extrême droite, de tout temps, c’est la guerre.
  • Pensez-vous que la guerre en Ukraine va influencer la campagne?
  • C’est une chance incroyable pour Macron, les autres se sont effondrés. Si Mélenchon a réagi très vite, en revanche, quand on apprend de Zemmour ou Le Pen que leurs campagnes sont financées par Poutine, ils se noient, balbutient… Je ne vois pas très bien comment ça pourrait se passer autrement que ce qui est annoncé, malgré les mesures anti-sociales prévues.
  • On dit de Macron qu’il divise la société française…
  • Pendant les Gilets jaunes, il a été très courageux, il est allé au devant des gens. 
  • Et la police, qui a été plus brutale que jamais?
  • L’usage de la police, ce n’est pas lui qui l’a inventé, c’est une question de dosage. C’est ça la démocratie, il ne faut pas de morts, mais décourager les manifestants quand même. S’il avait laissé faire les pillages, il aurait sur le dos tous les petits commerçants. Et puis les Gilets jaunes ont été oubliés pour le Covid, lui-même oublié au profit de l’Ukraine. 
  • Vous-même homme de culture, comment abordiez-vous ces problèmes dans vos oeuvres? 
  • Dans mon théâtre, j’abordais les problèmes sociaux, avec des rapports très politiques à la société. Si l’on m’a traité de communiste, c’était pour mieux me dépouiller de mon argent. 
  • Et des politiques pour les outre-mer?
  • Avec un Macron qui s’en désintéresse totalement, on arrive à des monstruosités comme la nouvelle route du littoral. La politique française s’en fiche royalement des politiques coloniales qui perdurent. C’est la France et on y a été élevé dans l’idée qu’on apporte aux pauvres du Sud à manger et des vaccins, ce discours éhonté qui cache l’exploitation qui est faite de ces territoires. Pour défendre l’émancipation, il y avait Taubira. Mélenchon n’y comprend rien, il parle de créolisation pour faire joli. Avant, il y avait Chirac ; les gens sentaient qu’il les aimait, Macron n’a pas cette fibre. Ce sujet est absent de la campagne, tout comme la culture.
  • Comment expliquez-vous tous ces revirements locaux de la dernière heure en faveur d’Emmanuel Macron?
  • On ne peut pas gouverner La Réunion sans avoir des copains à Paris. Ils ne l’ont pas fait avant, car ils ont été surpris par le phénomène. Du moment que le pacte colonial est respecté, c’est-à-dire que l’on peut continuer à profiter du système en toute tranquillité, tout va bien pour ces gens. Il ne s’agit pas de convictions politiques, juste la nécessité de préserver ses avantages. Pour des raisons cyniques aussi. Pendant les Gilets jaunes, personne ne pouvait supporter Macron, il a fallu le temps de se rendre compte qu’ils n’avaient aucune velléité de faire de la politique.  
  • Les électeurs se désintéressent de la politique. Pourquoi iraient-ils voter?
  • Par réflexe culturel. Et sinon, on remplace par quoi? Qui commanderait? Les syndicats s’effondrent, quel contre-pouvoir sans le vote? On risque de remplacer les élections par les révoltes du Moyen Âge avec les fourches, ce ne serait pas une bonne chose. Il faut préserver cette démocratie, cette présidentielle, même si on n’y parle ni du climat ni de l’outre-mer. 
  • Vous attendez quoi de la prochaine présidence?
  • Pas grand chose. On va donner à l’armée, la police a déjà été servie pour lutter contre la contestation sociale. Il n’y aura rien pour la culture, juste quelques miettes pour la culture touristique. 
  • Pour qui allez-vous voter, vous n’êtes pas obligé de répondre.
  • Non, je ne répondrai pas à cette question. Peut-être qu’au premier tour je voterai Mélenchon, pour avoir une chance de voir un débat avec Macron avant le second tour. 

Propos recueillis par Philippe Nanpon

L’entretien intégral, comme si vous y étiez

Bio express.

« Pour les ralliements à Macron de la dernière heure, Il ne s’agit pas de convictions politiques, juste la nécessité de préserver ses avantages. »

Né en 1959 à Chartres, Emmanuel Genvrin est dramaturge, librettiste, nouvelliste, romancier. Cofondateur du Théâtre Vollard en 1979, il est l’auteur de la majorité des pièces jouées par cette troupe, parmi lesquelles Marie Dessembre en 1981, Lepervenche, chemin de fer en 1990 ou Votez Ubu Colonial en 1994, toutes ancrées dans l’histoire de La Réunion. Il est co-auteur de trois opéras. Il participe à la revue réunionnaise Kanyar, pour laquelle il écrit des nouvelles, à compter du premier numéro paru en 2013, puis contribue aux revues Indigo et Lettres de Lémurie. Il publie deux romans dans la collection Continents noirs de Gallimard en 2016 et en 2019.

A propos de l'auteur

Philippe Nanpon | Journaliste

Déménageur, béqueur d'clé dans le bâtiment, chauffeur de presse, pompiste, clown publicitaire à roller, après avoir suivi des études d’agriculture, puis journaliste depuis un tiers de siècle, Philippe Nanpon est également épris de culture, d’écologie et de bonne humeur. Il a rejoint l’équipe de Parallèle Sud pour partager à la fois son regard sur La Réunion et son engagement pour une société plus juste et équitable.

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