Le procès très attendu du directeur général du Crédit Agricole Réunion Mayotte, Didier Grand, s’est ouvert vendredi 16 mai à Saint-Denis, dans une atmosphère électrique. Accusé d’injure publique à caractère raciste, l’homme fort de l’établissement bancaire brille par son absence.
Une salle comble, un prévenu absent
Comme annoncé la semaine dernière, Didier Grand est poursuivi pour des propos à connotation raciste qu’il aurait tenus le 8 décembre 2023. L’expression « malbar 3V », censée avoir été prononcée lors d’un événement interne, est au cœur des accusations portées par plusieurs salariés et syndicats.
Le directeur général du Crédit Agricole Réunion Mayotte n’a pas fait le déplacement depuis Paris. Son avocate, maître Lucile Collot, invoque un empêchement professionnel. Dans la salle des pas perdus, l’absence du prévenu contraste avec la mobilisation importante des soutiens aux plaignants.
Parmi eux, Richel Sacri, membre du conseil de l’antenne locale de l’ONG Gopio (défense des personnes d’origine indienne), se dit « choqué par l’attitude d’une personne si haut placée » et critique l’inaction du conseil d’administration qui n’a même pas envisagé une suspension, même temporaire.
Les syndicats du secteur financier sont également présents en nombre. Samuel Mathieu (président du SNECA) et François Homéril (président de la confédération CFE-CGC) ont fait le déplacement, accompagnés de plusieurs représentants syndicaux du Crédit Agricole Réunion.
Une défense offensive
Dès l’ouverture de l’audience, maître Lucile Collot, avocate de Didier Grand et spécialiste du droit de la presse, attaque sur deux fronts : la nullité de procédure et l’irrecevabilité des constitutions de partie civile.
Elle conteste la qualification retenue d’injure raciale publique, fondée sur l’article 50 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse. Selon elle, son client n’a jamais prononcé l’expression « malbar 3V », et cette dernière ne serait d’ailleurs pas reproduite fidèlement dans l’acte de citation — ce qui, selon la défense, invaliderait l’ensemble de la procédure. Elle conteste les constitutions de partie civile, considérant qu’aucune n’est directement liée aux faits reprochés et souligne que SOS Racisme, qui avait envisagé au départ de se constituer partie civile a finalement renoncé devant, selon elle « le caractère non fondé de l’accusation de racisme ».
En face, l’avocate des parties civiles, maître Settama-Vidon, dénonce ces arguments comme des « digressions » visant à éluder le fond du dossier, et appelle sa consœur à « plus d’honnêteté intellectuelle ». La procureure, pour sa part, recommande que le tribunal se prononce sur le fond. Le juge se retire quelques minutes. Entracte.
Les parties civiles à la barre
À la reprise, les débats se recentrent sur la recevabilité des parties civiles. François Homéril évoque un devoir d’engagement face à « une situation de souffrance au travail », tandis que Samuel Mathieu rappelle avoir tenté une résolution en interne avant d’en arriver à la voie judiciaire.
Deux salariés sont ensuite entendus. Le premier affirme avoir été alerté dès la diffusion de la diapositive incriminée et décrit une scène d’humiliation ultérieure par le directeur régional. Le second, en arrêt maladie depuis novembre 2023 pour des faits similaires n’ayant fait l’objet d’aucun dépôt de plainte mais retenu dans sa déclaration d’accident du travail, livre un témoignage plus diffus, parfois hors du périmètre strict de l’affaire, ce que la défense ne manque pas de relever.
Une vidéo au centre des tensions
L’un des points cruciaux de l’audience repose sur une vidéo présentée par les plaignants. On y voit clairement une diapositive affichant « malbar 3V », suivie de « veinard, veinard, veinard », mais l’enregistrement s’interrompt brusquement avant que Didier Grand ne prenne la parole.
Une seconde vidéo, fournie par la défense, montre un salarié – celui dont la photo figure sur la diapositive – montant sur scène en tant que co-animateur de la soirée. Un détail que la défense utilise pour minimiser la portée des accusations.
Maître Collot estime que ces éléments sont non probants, voire trompeurs, et réclame que la vidéo principale soit considérée comme inconclusive, faute de pouvoir apporter une preuve directe du caractère injurieux ou raciste des propos car elle éluderait la suite de la scène qui permettrait d’innocenter son client.
Une affaire qui divise
Dans un climat tendu, les avocates s’opposent frontalement. Maître Settama dénonce une humiliation publique, rappelant que plusieurs centaines de personnes étaient présentes. Maître Collot, elle, insiste sur l’absence de plainte de l’employé concerné, qui ne s’est ni porté partie civile ni présenté à l’audience.
Au terme des échanges, les positions restent figées. La défense parle d’instrumentalisation et de « tribune médiatique autour du terme malbar 3V », tandis que les plaignants dénoncent une atteinte grave au respect et à la dignité en entreprise.
Ce procès pourrait constituer une jurisprudence marquante sur la gestion des propos potentiellement racistes dans le cadre professionnel, et faire office de signal fort dans la lutte contre les discriminations. Rendez-vous vendredi lorsque le tribunal rendra son verdict.
Olivier Ceccaldi
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