Il y a trois ans, Frédéric Cadet a créé sa marque de vêtements, sacs et accessoires qu’il nomme Odyssée. Sur la base de l’upcycling, il dessine, source le tissu, conçoit puis coud ses pièces en redonnant vie à des matériaux déjà utilisés. En parallèle de ses créations 100 % faites main avec des tissus trouvés localement, il élabore des collections de seconde main avec les codes du neuf. Une démarche autant innovante qu’engagée, qu’il a acceptée de présenter au micro de Parallèle Sud.
INTERVIEW
Peux-tu te présenter ?
Je suis Frédéric Cadet. Pour aujourd’hui, on va dire que je suis styliste. Styliste autodidacte, et j’ai une marque de vêtements qui s’appelle Odyssée.
Quel est ton parcours derrière la création de cette marque?
C’est un parcours un peu accidenté. Je suis infographiste 3D au départ. Je fais des dessins animés pour le cinéma ou la télévision. Depuis 2020, je me suis lancé en tant qu’autodidacte dans le stylisme. Il faut bien différencier tous les métiers autour du vêtement, du textile et des accessoires. Le styliste, pour faire simple, c’est celui qui dessine et monte les collections, crée des tendances, s’inspire. Ce n’est pas forcément un couturier, ni un modéliste.

Comme je n’ai fait aucune étude là-dedans, je me suis contenté du rôle de styliste pendant trois ans, depuis le début de la marque. À un moment, j’ai dû me mettre à la couture pour mieux comprendre comment se monte un vêtement. C’est bien beau de faire des dessins, mais parfois c’est irréalisable techniquement, donc il faut se renseigner.

Donc tu as appris la couture sur le tas ?
Je me suis mis à la couture depuis deux ans et demi, mais c’est né d’une contrainte. J’ai fini par confectionner moi-même parce que je ne pouvais pas tout le temps me reposer sur les ateliers. À La Réunion, c’est récent qu’il y ait des ateliers de confection. Le premier atelier récent, c’était au Makes en 2021, c’était la première chaîne de production véritable à La Réunion. Le problème, c’est qu’ils travaillent avec beaucoup de marques. Ils ont un calendrier très complet donc si j’ai des collections à sortir, je dois m’adapter. C’est compliqué de ne se reposer que sur eux.
Je produis aussi pour ma marque aujourd’hui, sur des accessoires. Mais au départ, c’est le dessin. Je dessine les modèles. Je source le tissu, la matière première, ce qui est très important dans mon métier en tant que upcycleur.


C’est quoi exactement, “sourcer le tissu” ?
C’est aller chercher la matière première : le tissu, la mercerie. Et comme je fais de l’upcycling, ça représente une grande part du travail. On ne conçoit pas de manière standard. Je réutilise d’anciens vêtements, du linge de maison, uniquement de la seconde main. Je déconstruis et je reconstruis. Le sourcing, concrètement, c’est aller à la chasse aux trésors des matières premières.
À La Réunion, ce sont de plus en plus les particuliers qui me ramènent des vêtements. Ils entendent parler de moi, sont déjà clients chez Odyssée et me ramènent d’anciens vêtements, du linge de maison qu’ils ne veulent pas jeter. Parfois je reçois des pièces de fast fashion. C’est un vrai sujet, parce que dans la seconde main, on trouve de plus en plus de fast fashion. En tant qu’upcycler, ce sont des matières qu’on peut difficilement, voire quasiment pas reconstruire. Je ne peux parfois même pas retoucher un vêtement. La matière et la manière dont il est assemblé ne sont pas standards. Pour le retoucher, je devrais tout déconstruire et tout reconstruire. C’est pensé pour ne pas durer.
Tu as décidé de créer à partir de la seconde main, est ce que ta démarche a eu tout de suite du succès ?
Non, car il y a encore beaucoup d’appréhension vis à vis de la seconde main à La Réunion. Quand j’ai décidé d’ajouter la seconde main à ma création chez Odyssée, ma mère m’a dit : “Jamais je ne mettrai un vêtement qui a été porté, c’est sale.” Alors qu’elle-même tenait une boutique de seconde main quand elle était plus jeune. Il y a cette idée que si tu portes du vieux, tu es pauvre. Il faut montrer qu’on “est quelque chose”.
Pour toucher les gens, au lieu de les faire venir vers moi, c’est moi qui vais vers eux. Je crée une expérience client qui ressemble à la première main. Tout ce que je propose en seconde main est pensé comme une collection. Je construis un univers, puis je passe au sourcing : je cherche des vêtements qui ressemblent à ce que j’ai imaginé. Je cherche par exemple une chemise en jean bleue. Si je trouve un deuxième ou un troisième exemplaire qui s’en rapproche, même si ce n’est pas la même marque, dans une autre taille ou couleur, je le prends. Je veux que la cliente ait le choix des tailles, des couleurs, comme dans une boutique “classique”.
Et pour la propreté…
Tout ce que je vends en seconde main a un vrai traitement hygiénique. C’est plus propre que de la première main. Une fois traitée, repassée, bien présentée, ma seconde main est plus clean qu’un vêtement neuf acheté chez Zara, qui a été transporté et qui est pleins de bactéries. Pour l’upcycling, j’essaie aussi de faire en sorte que ça ne ressemble pas à du rafistolage. Ma clientèle n’est pas forcément attirée par ça. Je fais en sorte que mon upcycling ressemble à un produit neuf, même si c’est du recyclé.


A La Réunion, il y a encore beaucoup d’appréhension vis à vis de la seconde main, car y a cette idée que si tu portes du vieux, tu es pauvre.
Est ce que ta volontée de faire de l’upcycling est née d’une conscience écologique qui a toujours été là, dans ton rapport à la mode ?
Non, avant j’étais gros consommateur de vêtements. Il n’y avait aucune réflexion. Quand j’étais plus jeune, c’était baggy, vêtements de marque très chers. Je crois que j’ai toujours aimé la mode car il y a toujours eu une importance à la façon dont je m’habillais. L’intérêt n’était pas forcément pour exprimer qui j’étais, c’était beaucoup lié à cette idée qu’il faut montrer qu’on “est quelque chose”. On le montre avec des gros logos. Si tu n’as pas le bon logo, tu n’es personne. J’étais complètement là-dedans, mais aujourd’hui, je cherche plus à exprimer ce que je suis.
Avant, j’étais un gros consommateur de vêtements, l’intérêt n’était pas forcément d’exprimer qui j’étais, mais lié à cette idée qu’il faut montrer qu’on “est quelque chose.”
Le questionnement sur l’impact de l’industrie textile est venu plus tard alors ?
Je n’ai jamais étudié le textile ni l’industrie textile. Quand j’ai commencé à penser à Odyssée, j’ai cherché des fournisseurs, essayé de comprendre comment ça fonctionnait. En cherchant des fournisseurs pour les t-shirts, je devais dessiner les visuels. Je me suis mis à dessiner aussi les silhouettes, à réfléchir aux matières et je me suis dit : “Je crois que j’aime ça.” En cherchant des fournisseurs, je me suis rendu compte qu’en France il n’y avait pas grand-chose. Il fallait faire venir de l’étranger.
Je me suis renseigné sur les enjeux climatiques et écologiques. Comme je créais une marque de zéro, je me suis dit : “Autant bien faire les choses.” J’ai toujours aimé la nature, la biodiversité. Ma mère m’a rappelé que petit, je ne voulais pas qu’on tue les insectes. En parallèle, je consommais fast-food, fast fashion. Et donc, quand j’ai créé ma marque, je me suis dit : “Je ne veux pas participer à ça.”
Comment t’y es-tu pris ?
L’upcycling est venu tard, il y a deux ans. Au début, je faisais du “bio”, avec du coton bio. Les matières venaient de l’extérieur. Les premiers produits Odyssée étaient fabriqués au Bangladesh et j’ai cherché des ateliers certifiés, avec des audits régulier, mais je n’étais pas serein. Dès que j’ai pu relocaliser, je l’ai fait. Je me suis rendu compte que le “bio”, c’est bien, mais pas suffisant. Le problème, c’est le volume de production. Un vêtement bio neuf peut être plus problématique qu’un vêtement upcyclé ou de seconde main.
Le vêtement upcyclé est déjà là et on ne crée pas un nouveau déchet.
Tu as trouvé une clientèle ici à La Réunion ? Tu arrives à vivre de ta marque ?
Je ne fais plus que mon activité, mais l’activité de l’entreprise ne se résume pas à la marque, et c’est pour ça que ça fonctionne. Elle se divise en plusieurs facettes. Je fais toujours un peu d’animation 3D pour le dessin animé et le cinéma. Quand une production m’intéresse, j’y vais. Je mets l’entreprise en stand-by pendant deux ou trois mois pour travailler sur un projet qui me plaît.
Je fais aussi de la production de jeu vidéo via Studio Odyssée. C’est pour ça que ça s’appelle Studio Odyssée : ça englobe beaucoup de choses. Odyssée est une marque de Studio Odyssée. Je suis aussi formateur, pour l’audiovisuel, le branding, l’image de marque, le graphisme. Et à côté de ça, je fais aussi de la production de publicité. S’il n’y avait que la marque, je ne pourrais pas en vivre pour l’instant.
Comment est-ce que tu décrirais le marché, l’industrie du textile à La Réunion ?
L’offre de vêtements n’est, selon moi, pas suffisamment diversifiée. Pour l’homme comme pour la femme. Pour l’homme, c’est encore plus complexe. J’ai l’impression qu’on habille surtout les femmes et il y a très peu de magasins qui font les deux, à part des enseignes qui ne sont pas locales. Même pour la femme, l’offre n’est pas très diversifiée, c’est souvent la même chose, autour des mêmes tendances. C’est du commerce, pas de l’artisanat. Il n’y a pas une vraie volonté de mode, on suit ce qui fonctionne.
Tu penses à des marques comme Pardon et l’Effet Pei ?
C’est encore autre chose. Ils ont créé quelque chose, surtout Pardon, qui était là avant. Ils ont apporté quelque chose pour le tourisme, avec des visuels rigolos qui se vendent bien. On reconnaît tout de suite un t-shirt Pardon ou un t-shirt Effet Pei.
Mais il y a beaucoup de choses discutables : la production, la copie, le vol. Ce sont des choses que tout le milieu connaît ici, et maintenant le public commence à s’en rendre compte. Pour les autres marques et enseignes, on voit beaucoup de bohème chic pour la femme, beaucoup d’inspirations balinaises.
Après, il y a la seconde main. Aujourd’hui je trouve qu’il y a beaucoup de fripes qui se ressemblent. On a beaucoup de chemises avec des palmiers, sans vouloir dévaloriser, mais ça ne vient pas d’ici quoi. Et puis il pourrait y avoir une vraie direction artistique. À Rétro Taxi à Saint-Denis, par exemple, ils ont vraiment quelque chose à eux. Moi aussi je propose de la seconde main, mais je la source ici. Je vais chez Chez Titang Récup ou Emmaüs par exemple.
Entretien réalisé par Sarah Cortier


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