DANS LE PRIVÉ AUSSI
Il y a quelques jours, une élève du collège Saint-Charles a tenté de mettre fin à ses jours. Parce que ses plaintes pour dénoncer le harcèlement d’un de ses camarades de classe n’ont pas été entendues par l’équipe pédagogique.
L’institution veut que les victimes lui fassent confiance, c’est le contraire qu’il faut : que l’institution fasse confiance aux victimes. Qu’elle soit éducative, judiciaire ou policière, malgré quelques progrès, l’institution peine à entendre les victimes. De viol, de sexisme, de harcèlement scolaire, c’est souvent à la victime de prouver l’agression, de se dégager de la culpabilité.
C’est ce qui arrive à la petite Laurie (*), élève en quatrième du très sélect collège Saint-Charles de Saint-Pierre. La jeune fille est allée jusqu’à tenter de se suicider par pendaison, dans sa chambre d’adolescente, sauvée in extremis par sa mère heureusement présente dans la maison et inquiète de ne pas entendre sa fille lui répondre. « C’est une erreur de croire que les enfants sont mieux accompagnés dans le privé ; si j’avais su, avec le recul, j’aurais mis ma fille dans le public », assure Nathalie, la mère de la petite Laurie, pour qui toutefois la situation en centre-ville du collège Saint-Charles est bien pratique.
Souffrances insurmontables
Pour en arriver à une telle extrémité, celle de tenter de mettre fin à ses jours, il faut que la douleur soit intense, et que l’espérance d’une amélioration n’existe plus. « Julian, le garçon harceleur, et ma fille se connaissent depuis toujours, nous fréquentons la même communauté religieuse que ses parents », raconte Nathalie. Leurs chemins scolaires se suivent, parfois dans la même classe, parfois non, mais toujours dans la même école. « Julian était déjà un enfant difficile en primaire ; à l’occasion d’une sortie scolaire, le professeur avait exigé que son père soit parmi les accompagnateurs pour gérer son fils », relate Nathalie.
En sixième, les deux enfants ne partagent que les cours d’espagnol. En cinquième, pendant un cours, « Julian tire les cheveux de Laurie et la frappe ». « Le professeur n’a pas pu ne pas le voir », estime la maman. « Le reste de l’année, ça a été des insultes quotidiennement et, quand il l’a poussée dans les escaliers, j’ai alerté le CPE (conseiller principal d’éducation) ». La moyenne descendue de 16 à 13 de Laurie remonte alors.
« Mais depuis la rentrée, ce n’est plus supportable », assure la mère de famille. Les brimades se multiplient, l’enfant bravache refuse de s’excuser, l’école parle de « juste un mauvais comportement ». D’après Nathalie, le jeune garçon serait « un spécialiste du jeu de la virgule ». Il s’agit de l’un de ces jeux dangereux à la mode dans les cours de récréation. On se souvient du jeu du foulard il y a une dizaine d’années, et ce nouveau fléau des préaux a fait l’objet d’une note du ministère de l’Education nationale aux chefs d’établissement.
La mère se plaint auprès de la direction de Saint-Charles, c’est sa fille qui est mise en cause. Une autre élève se plaint également des agissements du garçon, le CPE demande aux « filles de faire un effort ». Une autre fois, Laurie est invitée à une « confrontation » avec son agresseur sans que les parents ne soient avertis. D’après Nathalie, il y a un traitement de faveur pour la famille de Julian. Sa fille arrive exprès en retard au collège pour ne pas croiser son bourreau, se place toujours au premier rang afin de ne pas échapper au regard du professeur… Et c’est après un cours de sport, le cours de tous les possibles pour qui veut ennuyer ses camarades de classe, que Laurie rentre en pleurs à la maison. Quand sa mère lui dit qu’elles vont voir la direction, Laurie s’isole dans sa chambre et le drame arrive à l’aide des cordons du rideau.
Signalement au procureur
L’adolescente sera hospitalisée et ses médecins de faire un signalement au procureur. La direction du collège ne peut plus se cacher derrière « un différend entre les enfants dont il ne faut pas se mêler ».
Alors que Nathalie reçoit le soutien du rectorat, que sa fille est déscolarisée, Saint-Charles attend « les résultats de l’enquête de gendarmerie, la décision de justice » pour prendre des mesures. Nathalie seulement que le cauchemar de sa fille change de classe. Il semble que, injustice possible ou pas, la direction n’arrive pas à choisir entre déplaire à la famille de Julian et l’intégrité physique et mentale d’une jeune fille. Quand bien même un drame a eu lieu tout récemment à Poissy, en région parisienne, et qu’un courrier de la rectrice de l’académie de Versailles menaçait les parents de poursuites en diffamation.
Pour la direction du collège et Philippe Brault, le directeur diocésain et délégué épiscopal que nous avons contacté, qui dirige l’ensemble des établissements catholiques de l’île, les faits de harcèlement ne sont pas prouvés. « Il faut qu’il y ait eu répétition des faits, rien n’est démontré », souligne ce dernier, qui « attend le retour du parquet ». Pour autant, il dit travailler à un retour possible de Laurie au collège dès la semaine prochaine, en évitant toute rencontre possible entre les deux élèves au sein de l’établissement.
Responsabilité du collège
Et pour illustrer sa bonne foi, Philippe Brault de préciser qu’il est le premier à avoir apporté son soutien à la jeune fille. En effet, et c’est regrettable que personne dans le collège ne l’ait fait avant lui. D’autant que nous avons eu connaissance d’au moins une main courante déposée l’an dernier pour des faits similaires dans le même collège. Pour autant, les établissements scolaires ont une responsabilité, comme le précise une circulaire de l’éducation nationale : « La lutte contre le harcèlement scolaire est encadrée par deux piliers juridiques : les obligations de l’institution scolaire, qui doit veiller à ce que la scolarité des élèves se déroule dans les meilleures conditions, et la définition pénale des diverses infractions associées au harcèlement, qui doit permettre leur constatation et leur sanction. » Et l’un n’empêche pas l’autre. Il y a eu manifestement défaillance pour le premier point, on attend les conclusions du second.
Philippe Nanpon
(*) Pour préserver l’anonymat des protagonistes, tous les prénoms ont été changés.