SAINT-LOUIS
Sur la place de l’église de Saint-Louis, la stèle Louis Joseph Abner a été cassée en début d’année 2023. Elle est depuis ensevelie sous la végétation. La petite fille du militant communiste décédé en 1994 demande sa réhabilitation. En attendant la lente réaction des administrations, elle a rendu hommage à son grand-père et à l’histoire de sa ville dimanche 10 décembre à travers une petite cérémonie et des concerts.
« Dann somin marone, na la limière, nana lamour, légalité ». Assise sur son roulèr, Nicole Bassonville entonne les chansons de son nouvel album « Nini èk Ras la kour » dans la lumière orangée du lampadaire. Ce dimanche 10 décembre n’est pas un jour comme un autre. C’est le jour qu’elle a choisi pour rendre hommage à son grand-père, Louis Joseph Abner, ancien militant communiste à Saint-Louis.
Inaugurée le 20 décembre 1998, la place de l’église porte son nom. En début d’année 2023, Nicole a découvert dépitée la stèle détruite, au sol, tombée lors de travaux entamés par la commune de Saint-Louis. Aujourd’hui, elle est recouverte d’herbes, dans un parterre non entretenu.
Concerts, fonkèr et kabar
La nuit est tombée, Nicole Bassonville s’apprête à découvrir le panneau commémoratif dédié à son grand-père. « Mesdames et messieurs, aterla sé la place Louis Abner, in grand figir la ville Saint-Louis. Aswar nena zanfan, ti zanfan, arièr ti zanfan, arièr arièr ti zanfan. Et, de plus en plus, mi espèr ke lé zotorité konserné zot va rekonèt’. »
Elle aurait aimé réhabiliter la stèle au moment de la journée du patrimoine, en septembre, mais, sans nouvelles de la commune, elle a décidé de ne pas attendre. Elle a donc rassemblé famille, amis et gens du quartier pour un hommage non officiel. Au programme : concerts, fonkèr et kabar, stands divers.
Entourée de sa mère et de son oncle, Nicole Bassonville relève le drap, découvre un article de l’ancien journal communal le Flamboyant daté de 1996 qui relate la vie de son pépé, éclairé par la guirlande lumineuse qu’elle y a suspendue.
Stèle détruite
Elle a retrouvé l’article dans les affaires familiales lorsqu’elle a cherché à en apprendre davantage sur son grand-père, après avoir découvert la stèle détruite. « Louis Abner est né à la Ravine des Cabris en septembre 1910 dans une famille de petits cultivateurs », raconte l’article du flamboyant.
Alors qu’il travaille sur le chemin de fer, Louis Abner est conseiller municipal du maire Hyppolite Piot entre 1945 et 1949. A partir des années 50, quand le chemin de fer Port / Réunion est dissout, il se lance dans l’élevage bovin.
« Té sony in pé zanimo dann son kour, lavé o mwin 80 tèt bef », raconte Edmond Bassonville, le beau-fils du militant communiste. C’était le temps des charrettes bœuf. Edmond mime la scène. « A gos, a drwat… Si ou koné pa manié le bef, li sava li! » Les petites filles se rappellent cette époque où, toutes jeunes, elles venaient le matin chercher le lait qui sortait du pis. » Leur grand-père était aussi un grand pêcheur de bichiques, comme l’explique Edmond à qui il a transmis la passion et le canal.
A la fin des années 50 et au début des années 60, la cour de Louis Abner accueille des réunions politiques, toutes les figures du PCR y ont fait un tour. « Il était un symbole de la résistance pour Saint-Louis, un homme de conviction, un homme sincère pour son parti », s’exclame Yves Antou, un Saint-Louisien qui a bien connu le militant.
« Lontan la politik té dir »
Pendant la révolte des planteurs en 1962, il est accusé de violences, soupçonné d’être un leader du mouvement, et passera 13 mois en prison. Son fils, Axel, aujourd’hui âgé, rassemble ses souvenirs de la révolte avec émotion. « Dézan de droite la trap amwin, son garson, pou trap Abner. Lontan la politik té pa kom koméla, lontan la politik té dir. »
C’est une partie de l’histoire de La Réunion, de la ville de Saint-Louis, que l’on retrace en suivant le parcours du militant. Edmond Bassonville poursuit : « komunis té mal vi dovan la lwa dann zané la. Mèm la parois té ve pa komunis i rant dann légliz. La droite té i komand. »
Dans la commune de Saint-Louis, on se rappelle surtout que c’est Louis Abner qui distribuait le journal du PCR, Témoignages. Il arpentait la ville. Après une longue maladie, il est décédé en 1994 à l’âge de 84 ans.
Après ce premier hommage, la petite fille de Louis Abner entend bien renouveler l’événement au cours des journées du patrimoine, jusqu’à la réhabilitation officielle de la stèle. « Mi espèr ke lané prosèn mwin nora le bust mon gran pèr. Mi nena lartist ke lé paré pou fèr le stèl mé kom mi na pwin lotorizasyion mi pe pa met in pièr. Mi souèt ke la vil St Louis li rekonèt é lé zot osi pask mwin mi ve ke domin lé liv lékol i rakont ce zistwar la. Sé lo patrimwan la vil. »
Jéromine Santo-Gammaire