Homo Sapiens Sapiens : vraiment ?

[LIBRE EXPRESSION]

Linné, le chantre du modèle de l’Homme blanc tout-puissant, fut contemporain de Voltaire, symbole des Lumières. Tous deux moururent en 1778. En prônant l´égalité des hommes, c´est l´humanisme des Lumières qui incita l´abolition de l´esclavage. Cependant Voltaire ne peut être absous de ses allégations racistes. La convention scolaire passe sous silence la vision voltairienne du monde africain. Pour preuve, on peut lire dans son Essai sur les mœurs : « La plupart des Nègres, tous les Cafres, sont plongés dans la même stupidité, et y croupiront longtemps » ; ou encore dans son Traité de Métaphysique : « Je me suppose donc arrivé en Afrique, et entouré de nègres, de hottentots, et d’autres animaux ».

Et non, M. Arouet, Homo Sapiens n’est qu’une espèce parmi 2 millions d’autres. Certes l’Humain est apte à la position debout, possède un langage articulé et complexe, est doué d´un système cognitif à l’abstraction, à l’introspection et jouit d’une conscience de soi et du monde. Mais cette ultime dotation, conscience universelle, ne serait qu’un postulat, une conscience mauvaise, en perdition.

En qualité de dernier représentant du genre Homo, l’Homme appartient à la famille des hominidés qu’il partage avec les singes anthropoïdes. Sa bipédie, son cerveau plus volumineux et une pilosité moins abondante le différencient des autres singes. La domestication du feu et la conception d´outils, avec tout un cortège de progrès dont la dernière période est illustrée par la maitrise du génie génétique et le développement des nanotechnologies, font que notre Homo Sapiens est finalement plus génial tant que l’orang-outan son cousin qu’il a déshérité de son habitat que de l’escargot qu’il écrase sous ses pas avec la désinvolture de ses mocassins en crocodile. L’Humain est aussi un artiste. Enfin, et n’est-ce pas là son moindre défaut, il brille par l’ampleur des transformations, des déconstructions et des destructions qu’il opère sur les écosystèmes. Sans doute parce qu’il n’a pas pris conscience qu’il s’agissait des murs de sa propre maison, dont il retire chaque jour une ou plusieurs briques. L’Humain est un saccageur (Hubert Reeves).

Et voilà quelques exemples, de cette « sagesse » :

  • Deux millions de Gaulois assassinés par les Romains ;
  • Des millions de morts lors des croisades, des pèlerinages armés et dévoyés, durant la Guerre de cent ans et au fil d’innombrables guerres de religions ;
  • Dix à quarante millions de Chinois massacrés par les Mongols au XIIIe siècle ;
  • Le peuple Tasman décimé par les Britanniques lors du génocide « le plus parfait » de l’histoire ;
  • Des centaines de milliers d’Aborigènes australiens décimés par les mêmes colons britanniques ;
  • L’extermination de vingt à soixante millions d’Amérindiens, depuis la « découverte » espagnole, l’évangélisation et la colonisation, jusqu’à la Conquête de l’Ouest ;
  • Les traites négrières totalisèrent plus de 50 millions de victimes ;
  • Un million deux cent mille Arméniens périssent dans le premier génocide du XXe siècle ;
  • Quarante millions de morts (WW1) et soixante-cinq millions (WW2) ;
  • Le régime stalinien : quarante-trois millions de morts ;
  • Le régime maoïste : trente millions de victimes et des famines à la chaîne ;
  • La terreur sanguinaire de Pol Pot : un million cinq cent mille Cambodgiens.
  • Un million de victimes du Biafra, huit cent mille Rwandais, en majorité Tutsi, ayant trouvé la mort durant les trois mois de génocide, trois cent mille morts et trois millions de déplacés au Darfour.

Depuis l’esclavage du peuple Noir jusqu’au Nouvel Ordre mondial, soit de 1900 à l’aube du troisième millénaire, en passant par Hiroshima, Nagasaki, la guerre au Vietnam, le capitalisme porte à lui seul la responsabilité d’un bilan amplement supérieur à cent millions de morts.

Déforestation, productivisme agricole, agro-terrorisme, mort biologique du sol, désertification, sixième crise de la vie et extinction massive d’espèces de cause anthropique, pollutions, réchauffement du climat, fonte des glaces, montée des océans, tarissement accéléré de toutes les ressources non-renouvelables, nous entrons de plain-pied dans un monde immonde. 20.000 ha de forêts disparaissent chaque jour. Selon un rapport du WWF, nous avons perdu en 30 ans près de 30 % de tout ce qui vivait sur Terre. L’eau vient à manquer : la Terre est bleue comme une orange.

L’ours polaire marche sur les eaux, l’aigle impérial se fait éboueur, le vautour se cannibalise, l´orang-outan est exproprié, l’orque et le dauphin tournent en rond dans des bassins de ciment, le panda géant porte un collier-émetteur, le crocodile est mocassin, la panthère se porte dans les beaux quartiers, les oiseaux chantent sur des barbelés, les libellules se noient dans des piscines, il n’y a plus rien à butiner, les ruches sont désertées, les papillons sont en volière, la grande forêt est vide, terriblement silencieuse, le corail est souvenir, mais Total veille sur les océans, Monaco protège la faune… et Areva attend que fonde le Grand Nord pour s’en approprier les richesses. Aucun insecte nocturne ne vient plus virevolter autour du lampadaire, on ne voit plus de hannetons, on n’entend plus chanter les grenouilles et depuis longtemps, la chevêche ne perche plus sur le poteau téléphonique. Où sont le carabe doré, la cétoine, les papillons multicolores, la rainette verte, la jolie couleuvre de notre enfance ? 

Veau, vache, cochon, couvée, homme, sont réifiés. Voir ce qu’en disent Laurent Alexandre ou Jacques Attali : l’avenir de l’Humanité, c’est le Trans-humanisme, c’est-à-dire rien d’autre que l’aspiration à l’immortalité au travers de modifications génétiques ; qui dit immortalité dit réification, car nous sommes mortels, un objet est immortel. En plein délire, le vivant est industrialisé, nous élevons des poulets sans plumes, des lapins géants. Dans ses zoos, ses cirques, ses laboratoires, ses batteries, l’Homme enferme, dompte, torture, exploite, les espèces compagnes et aussi la sienne. Pommes de terre, maïs, riz, tomates, tous aliments transgéniques. La grande parade des inconnus est dans nos assiettes.

En guise de bénéfices : cancers, maladies environnementales et génétiques, perte de fécondité, maladies nouvelles concoctées de toutes pièces, cent mille molécules chimiques lâchées dans les sols, les eaux et les airs, pesticides et biocides dans la rosée et dans nos urines, un milliard de Terriens souffrant chaque année les méfaits de la pollution, recul des terres fertiles, catastrophes « naturelles » plus nombreuses et plus meurtrières, hordes de réfugiés de l’environnement…

D’ici à 2050, on prévoit des sécheresses drastiques susceptibles d´affecter 2 à 3 milliards d’humains.

Depuis l’an 1 de l’Ère chrétienne, la population humaine est passée de 250 millions à bientôt 8 milliards d´habitants. Pour les trois quarts de l´humanité, la Terre-nourricière ne l’est plus. A l´horizon 2050, la fourmilière humaine comptera peut-être 10 milliards d’individus malheureux. Plus d´un million de personnes se suicident chaque année, au chômage, au travail, dans les villes, dans les champs, en prison, en liberté. Notre démographie galope, il est dit que si nous ne décroissons pas, nos maîtres bienveillants vont nous décimer. Cette décimation est déjà dans les tuyaux : lisez « The Limit of Growth », du Club de Rome (premier auteur : Dennis Meadows, 1972). Exterminateur et invasif, Homo sapiens est la seule espèce de grande taille à investir selon une croissance infernale la quasi-totalité des niches des autres espèces. Avec comme posture : « ôte-toi de là que je m´y mette », dorénavant surnuméraires, nous sommes trop encombrants dans le fragile équilibre et représentons le vrai syndrome de la planète. Nous sommes les auteurs du plus effroyable laminoir de biodiversité. Nous souffrons d’une incurable cécité écologique doublée d’un besoin d’asservir, de dominer, régner, contrôler, ordonner, gérer, intervenir, décider, nous ne sommes bons qu’à saccager, détruire, modifier, altérer, uniformiser, aligner, nettoyer, vider, couper, tailler, tondre, scalper, raser, décapiter, brûler, sans comprendre, ni donner, admirer, ou même regretter.

Guerres et discriminations envers et contre tout, contre soi, contre l’homme, surtout contre l’autre et le différent, en un mot… contre la Nature. Sexisme, sectarisme, racisme, spécisme, pillage du vivant réduit à la notion de ressources, saccage des paysages défigurés. Où est la sagesse ?

Notre politique est celle de la terre brûlée. Ne rien laisser derrière soi qui puisse profiter à l´ennemi. Mais quel ennemi, sinon nous ?

Sapiens, nos ancêtres cueilleurs-chasseurs que nous avons persécutés, l´étaient. Nous qui prenons tout, Homo pseudo-sapiens economicus ou demens, peuple dernier et civilisé, vils urbanistes, économistes imbus, agronomes-valets ou politiciens bouffis de suffisance, nous ne le sommes plus. Sans vouloir offenser Léonard de Vinci…, Homo sapiens n´est qu´une sombre brute.

Aujourd’hui qu’apparaissent des dégâts anthropiques irréversibles, nous sommes les propres artisans de l’anéantissement de notre milieu. Voilà une bien étrange capacité. Est-ce pour en arriver là que nous aurions engrangé tant de pensées et de connaissances dans nos bibliothèques pharaoniques ? Les comparant à celles des animaux ou de nos ancêtres antédiluviens, ne peut-on pas conclure que nos facultés, nos exceptionnelles aptitudes s’avèrent contre-productives ? L’aspect coupable réside davantage dans nos acquis que dans notre inné. Homme, qu’as-tu fait de ton talent ? Sapiens comme exterminateur de sa propre espèce, comme destructeur de la biodiversité, comme apprenti-sorcier génétique, finalement comme suicidaire en détruisant notre biotope. Ne sommes-nous que cela ?

Bruno Bourgeon, aid97400.re

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