FESTIVAL DU FILM MILITANT
A l’occasion du Festival du film militant, le mois dernier à Saint-Leu, nous avons rencontré Viktor Dedaj, conférencier qui dédie sa vie au combat pour la liberté de Julian Assange. Portrait.
« Le premier des maux dont souffre notre société, c’est la malinformation », assure Viktor Dedaj, l’un des spécialistes les plus déterminés de l’affaire Julian Assange. Il était invité à la septième édition du festival du film militant qui s’est déroulé du 26 au 28 avril aux Yourtes en scène à Saint-Leu pour présenter le film Hacking Justice sur Julian Assange en compagnie de Parallèle Sud. Et d’expliquer : « La malinformation, qui participe à la désinformation, c’est comme la malbouffe, ça va vite, c’est pas cher, c’est facile à fourguer. Le sédentarisme intellectuel mène à l’obésité intellectuelle ». Pour finir la liste des punchline sur un métier – celui de journaliste – devenu « un métier de cols blancs », Viktor Dedaj estime que « la profession s’est considérablement dégradée » depuis que «des cons embauchent des cons pour faire un métier de cons ».
On l’aura compris, Viktor Dedaj ne mâche pas ses mots quand il s’agit de parler du droit du citoyen à être informé, une notion qu’il préfère à celle de liberté de la presse. « La liberté de la presse, c’est aussi la liberté de faire de la merde », juge-t-il. Mais le spécialiste de l’affaire Assange a des solutions : « A vous d’aller chercher la bonne info ; jetez votre télé et redistribuez le coût de votre redevance aux médias indépendants ».
L’homme est rond, souriant, affable et, avec sa barbe bien taillée et son chapeau citoyen, il est difficile de savoir qu’il descend tout juste de l’avion pour une première visite à La Réunion. Sur Julian Assange, Viktor Dedaj est absolument intarissable, indigné qu’il est du sort réservé au journaliste australien fondateur de Wikileaks. « Je suis moi-même australien », dit-il. « Et quand un Australien n’est ni chasseur de crocodiles ni rugbyman, ça m’intéresse. »
Rédemption
D’autant que le modèle créé par Julian Assange le passionne au plus haut point. « Je le suis au jour le jour sur son compte Twitter. C’est une histoire passionnante, et Wikileaks une invention révolutionnaire qui est née du constat que les guerres sont déclenchées grâce à des mensonges (Ndlr: au moment de la première guerre d’Irak), qu’elles sont donc évitables en révélant la vérité », poursuit-il. Simple. Basique. Quand la mère de Julian Assange a lancé un appel, Viktor Dedaj a anticipé sa retraite et, depuis, consacre toute sa vie « à ce qu’il ne termine pas dans l’oubli » dans un combat quasi christique. Une sorte de quête de rédemption.
Avant ça, Viktor Dedaj était informaticien et consultant en gestion financière pour des sociétés multinationales. « Même si très à gauche, en bon pédagogue, on venait me chercher », sourit-il. Il a aidé Union Carbide au moment de la catastrophe de Bophal, en Inde, « chargé des manoeuvres dilatoires face à la justice indienne ». Il avoue aujourd’hui qu’il aurait pu être lanceur d’alerte à ce moment là. Ce qu’il réalise quand un journaliste du journal belge Le Soir le contacte et lui explique qu’il pourrait changer la vie de 150 000 personnes. « J’en fais encore des cauchemars », remarque le conférencier. « Je me considérais comme un observateur, j’ai vu le capitalisme dans le blanc des yeux. »
Il se passionne ensuite pour la révolution sandiniste au Nicaragua. Et réalise sur place la manipulation médiatique, la différence entre ce que raconte la presse et ce qu’il voit sur le terrain. Il collabore puis prend la direction du média Le Grand Soir, publie des livres, notamment sur l’embargo cubain, puis se passionne pour Assange.
« Le journaliste le plus primé, quarante ou cinquante prix, neuf chefs d’Etat le soutiennent, il a même été nommé diplomate », énumère Viktor Dedaj. Parce que la force de Wikileaks, ça a été, grâce au génie informatique qu’est Julian Assange, de garantir l’anonymat aux lanceurs d’alerte, un outil pour assurer leur sécurité. Résultat, « au delà de ses espérances », dix millions de documents publiés, la guerre en Irak arrêtée, la dénonciation des manoeuvres de Hilary Clinton pour écarter Bernie Sanders – « qui aurait gagné la présidence américaine en 2016 » – et faire monter Trump contre qui elle pensait gagner. « Assange est en prison alors qu’il n’a jamais rien fait d’illégal. Mais les Etats Unis continuent de mettre tout en oeuvre pour le démolir. » « Le travail de Julian Assange constitue une menace existentielle pour tous les pouvoirs corrompus », estime Viktor Dedaj.
Pour autant, après six années à prêcher la bonne parole, l’Australien a décidé de jeter l’éponge. « Après ce festival, j’ai encore une conférence en France et puis j’arrête », nous a-t-il confié. Pourra t-il ? Pas sûr : dès le lendemain, une annonce sur un réseau social proposait une conférence sur Julian Assange à qui pourrait mettre une salle à sa disposition.
Philippe Nanpon