Alain Joron nous a quitté récemment et les médias en ont peu parlé. Pourtant, cet animateur et artiste a apporté énormément à la culture réunionnaise. Ses nombreux amis ont organisé un hommage en son honneur, au Domaine du Café-Grillé à Pierrefonds le 26 janvier dernier.
Si l’événement n’a pas été vraiment rendu public, il a quand même réuni plus d’une centaine de personnes, la plupart ayant un lien avec Alain Joron. Un kabar regroupait Baster, Lamkaf, Rézonans, et d’autres artistes comme Mari Sizay, autour d’un Patrice Treuthardt animateur en pleine forme. Thierry Gauliris avait réalisé une vidéo avec des interviews de nombreux amis et membres de la famille d’Alain Joron, décrivant les différentes facettes de cet ancien délégué culturel de la Fédération des Oeuvres Laïques en 1981, et fondateur de l’association Baster dans ce quartier un peu délaissé. Il y créa de nombreuses activités pour les jeunes, sport, maloya, théâtre, astronomie, défilés de charrettes… Et plus de quarante ans après, il en reste le groupe Baster.
Renaissance identitaire
La chanson « Oté Kréol » reste l’une des plus connues de son répertoire. Au début des années 80, elle était très mal vue de certains élus. Comme beaucoup d’artistes de la nouvelle génération, Alain Joron mettait en avant les problèmes d’inégalités sociales, d’injustices post-coloniales, avec une vision des problèmes locaux qui reste plus que jamais d’actualité. Pourtant, la France venait d’élire Mitterrand. Mais à La Réunion, beaucoup d’élus restaient accrochés à leur ancien monde.
A Saint-Pierre, la mairie de droite avait commencé à promouvoir le maloya, pour ne pas laisser les communistes le récupérer, mais ne voyait pas d’un bon œil le Mouvement Culturel de Basse-Terre trop incontrôlable. Il suffit de reprendre quelques archives des journaux de 1981 et 1982, pour constater que du chemin restait à faire afin d’ouvrir la culture et les esprits, pour que la renaissance identitaire se transforme en reconnaissance officielle.
Acteur dans la troupe Vollard
Faut-il rappeler qu’Alain Joron joua à cette époque le rôle principal de la seconde création du théâtre Vollard, « Tempête », version d’Aimé Césaire. Pièce qui valut d’ailleurs quelques problèmes à la troupe, à qui des élus voulaient fermer l’accès à la salle ? Alain incarnait parfaitement l’esclave Caliban, à la limite de la folie. A ce propos, un journaliste du Quotidien, sous le pseudo : « l’interne de garde » avait signé un billet intitulé : « la folie d’Alain Joron ». Je ne peux résister à la tentation de vous en dévoiler le début, qui est symptomatique d’une époque qu’on espère révolue : « Ce jeune cafre de Basse Terre a peut-être trop étudié ? Au point d’obtenir les diplômes nécessaires à l’exercice du métier d’enseignant, doublé d’une vocation d’animateur. Au point de se faire détacher par l’Education Nationale auprès de la…F.O.L (et on ne l’a vraiment pas fait exprès). » Fin de citation. De l’humour au quatrième degré dont je crois reconnaître la plume, mais au premier degré, on aurait dit un papier du JIR. (1)
Un fou… de culture
Il est vrai qu’Alain était un passionné, enthousiaste, toujours en mouvement, et se battait jusqu’au bout pour ses idées. Comme l’a noté l’un de ses amis lors de l’hommage musical privé du 26 janvier, il était plus qu’un « zarboutan », un pilier de la culture. Il était le pilier du milieu, celui qui, même si on l’enlève après l’achèvement des travaux, aura rempli son rôle en permettant à tout l’ensemble se se prendre en charge sans lui.
Je retrouve également dans un vieil article ce rôle de transmetteur accompli par Alain Joron. Après l’échec de la création de sa pièce de théâtre « Oui May » annulée juste avant les premières représentations, j’avais alors écrit « ..Former les bases d’un groupe de quartier, et l’amener à se prendre en charge par lui-même, tel était le pari d’Alain Joron lorsqu’il avait lancé, un an auparavant, le Mouvement Culturel de Basse Terre. »Mais il était exigeant, et probablement découragé par le manque d’implication d’une partie du groupe, ainsi que de la Mairie. La pièce a été écrite, répétée, remaniée durant des mois, mais finalement jamais jouée, et ne le sera jamais, car Alain n’en a jamais été pleinement satisfait.
Oui, May… Elle existe pourtant cette pièce, blottie dans un tiroir, mais comme toutes les œuvres inachevées, ne ce serait pas trahir son auteur que d’en exhumer le texte ?
Alain Bled
Contribution bénévole
(1) Quotidien de la Réunion, 22 avril 1982 page 5
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