La députée Karine Lebon n’a pas signé la proposition de loi relative aux demandes de restitution des restes humains originaires des outre-mer car elle l’estime « tendancieuse ». Elle compte la voter mais surtout l’amender avec d’autres députés du groupe de la Gauche Démocratique et Républicaine (GDR) pour que soit respectées les cultures ultramarines.
Deux événements se télescopent : la découverte, ou redécouverte, de crânes d’esclaves réunionnais dans les collections du Musée de l’Homme, révélée par Parallèle Sud, et la proposition de loi relative aux demandes de restitution de restes humains originaires du territoire national.


Au moment de sa discussion, aucun député réunionnais n’avait co-signé le texte de loi présenté par le député Christophe Marion membre de la majorité présidentielle bien que celui-ci leur en ait fait la demande. Même si ce n’est pas une obligation, la tradition parlementaire veut en effet qu’un texte déposé dans le cadre des « semaines de l’Assemblée » soit co-signé par divers groupes.
À son origine cette proposition de loi répondait surtout à la demande de l’association guyanaise Moliko de restitution des crânes d’ancêtres Kali’nas exhibés dans les « zoos humains » parisiens de la fin du 19e siècle. Ces restes sont conservés dans les collections nationales du Muséum national d’histoire naturelle (MNHN) qui détient 24 000 restes humains dont 8 000 sont français et 1 200 viennent des outre-mer. Pas étonnant donc que des restes réunionnais en fassent partie.
Maintenant que ce fait est confirmé et que l’on sait que les prélèvements d’habitants de l’île Bourbon ont été réalisés en 1840 par Alexandre Dumoutier dans le cadre de la phrénologie, théorie pseudo-scientifique et raciste, les députés réunionnais s’intéressent de plus près à cette proposition de loi. Deux associations culturelles, Ankraké et Rasine Kaf ont déjà demandé la restitution des crânes.
Compatibilité avec les « principes de la République » ?
Karine Lebon, députée de la 2e circonscription, est la première à s’exprimer sur ce sujet qui lui tient à cœur. Elle aussi souhaite le retour des crânes d’esclaves et des bustes « moulés sur nature » sur le territoire réunionnais. Elle estime donc nécessaire l’adoption d’une loi cadre qui rende possible ces restitutions et en fixe les modalités.
En revanche, le texte présenté, tout comme le rapport qui a été remis à la ministre de la Culture Rachida Dati, lui pose question. « Le texte précise que la demande de restitution ne poursuive aucun objectif incompatible avec les principes de la République, tels que les objectifs séparatistes, déplore-t-elle. Le rapport va plus loin en préconisant « d’ exclure toute forme de demande motivée par des revendications identitaires ou victimaires destinées à créer une autonomie ou tout au moins une radicalité politique ou séparatiste ». « Avec mon groupe nous allons déposer des amendements pour enlever tous les aspects tendancieux et idéologiques que contient ce texte ».
« Des gens pourraient ne jamais avoir cette restitution de restes humains parce qu’on va leur dire : “Oui mais attendez, c’est bon, l’esclavage, c’est terminé, ou alors c’est identitaire, c’est les vilains indépendantistes…” »
Karine Lebon, députée
Le Groupe parlementaire de la Gauche Démocratique et Républicaine (GDR), par la voix du député guyanais Jean-Victor Pastor et de la députée polynésienne Mereana Reid Arbelot, juge « totalement inconcevable » cette disposition visant la radicalité politique ou séparatiste. « Ce principe tendancieux vise à maintenir une version unique de l’Histoire, il veut ignorer la raison de base de restes humains dans des collections publiques françaises à savoir le fait colonial. Pire, cette disposition entend bloquer toute revendication identitaire en outre-mer, y compris quand elle serait issue des urnes », ont-ils relevé.
La maison Desbassayns n’est pas le lieu approprié
« Dans le rapport que Christophe Marion a remis au gouvernement, il préconisait d’exclure toute forme de demande motivée par des revendications identitaires ou autonomistes. Ça veut dire que des gens pourraient ne jamais avoir cette restitution de restes humains parce qu’on va leur dire : “Oui mais attendez, c’est bon, l’esclavage, c’est terminé, ou alors c’est identitaire, c’est les vilains indépendantistes…” », prévient la députée saint-pauloise.
Outre ce biais visant à limiter les demandes de restitutions en fonction de considérations idéologiques, Karine Lebon s’inquiète du financement des restitutions. Selon elle, ce devrait être à l’Etat de payer sans faire contribuer les collectivités locales car c’est l’Etat français qui a procédé aux prélèvements du temps des colonies.
Elle évoque également le fait que la proposition de loi ne prévoit la restitution qu’à des fins funéraires : « Si c’est pour les enterrer discrètement, dire qu’on a récupéré les restes de nos ancêtres, moi je suis pas d’accord. On peut enterrer les crânes peut-être, mais les bustes méritent d’être mis en valeur. »
Reste que le travail de recherche et d’exposition, également abordé par l’historien Loran Hoarau dans l’entretien qu’il a accordé à Parallèle Sud, risque de buter sur la question du qui fait quoi, et où ? Karine Lebon regrette que La Réunion ne dispose pas de sa « Maison des Civilisations » pour aborder l’histoire de son peuplement. Le musée de Villèle, qui honore la maison de l’esclavagiste Mme Desbassayns, n’est pas, selon elle, le lieu approprié. « Ce serait… enfin, pour moi, c’est… comment dire… un manque de respect à notre culture, à notre histoire. Voilà, je vais être très douce, mais c’est à tout le moins un manque de respect », conclut-elle.
Franck Cellier
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